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leur; et si nous jugeons que sous les chapeaux et les manteaux il y a des honimes, rien ne prouve que ce soit l'entendement qui juge ici plutôt que la faculté imaginative le chien d'ailleurs reconnaît son maître aux mêmes signes.

:

IX. Il ne s'agit pas de prouver que vous êtes, mais ce que vous êtes. Vous avez beau n'admettre rien en vous que l'esprit, et vous parlez néanmoins de la cire et de ses accidents, que vous ne pouvez connaître sans mains et sans yeux. Dire que l'esprit est une chose qui pense, ce n'est pas nous faire connaître la substance de l'esprit.

CONTRE LA TROISIÈME MÉDITATION.

De Dieu; qu'il existe.

I. Tout ce qui résulte de la clarté d'une idée, c'est qu'elle vous paraît ce qu'elle vous paraît. Les opinions des hommes sont différentes, et chacun conçoit clairement celle qu'il défend. Il faudrait trouver une méthode qui, parmi les choses clairement conçues, nous fît démêler les vraies d'avec les

fausses.

II. Les idées factices sont composées des idées extérieures. Les idées de choses en général, de vérité et de pensée, sont des généralisations.

III. Si vous doutiez des idées adventices, vous ne marcheriez pas sur la terre. Si l'aveugle-né n'a aucune idée de la lumière, c'est que les choses extérieures ne peuvent lui faire parvenir leur image. Les deux idées que nous avons du soleil sont également vraies; ou plutôt celle que l'astronomie nous procure n'est pas une véritable idée, car nous ne pourrions nous représenter l'astre tel qu'elle nous le démontre.

IV. On n'a qu'une idée confuse et contrefaite de la substance, et non pas une idée véritable qui contienne quelque réalité objective; et quand elle en contiendrait, cette réalité ne serait pas plus grande que celle des accidents; car l'idée de substance leur emprunte tout ce qu'elle a de réalité, puisqu'on ne peut concevoir la substance que comme quelque chose d'étendu, de figuré, de coloré, etc. L'idée de Dieu

vous vient de l'éducation. Elle ne contient pas plus de réalité objective que l'idée d'une chose finie, car nous ne sommes pas capables de concevoir l'infini; et l'idée des attributs de Dieu n'est que celle de nos propres qualités agrandies.

V. La cause efficiente diffère souvent de son effet. L'arIchitecte ne donne rien de sa réalité à la maison. Je suis la cause de l'idée que vous avez de moi-même; or cette réalité, étant une émanation de ma substance, a bien moins de réalité formelle que moi-même, et sa réalité objective n'est que l'arrangement des parties de sa réalité formelle, et par conséquent ce n'est rien de réel.

VI. Il n'est pas besoin de raisons pour nous prouver qu'il existe dans le monde autre chose que nous. Vous n'avez pas l'idée de vous-même; comme l'œil ne se voit point, l'entendement ne peut s'entendre; et quand vous auriez cette idée, comment en pourriez-vous dériver celle de la substance corporelle?

VII. L'idée que les anciens philosophes se formaient d'un monde infiniment étendu, d'une infinité de principes et d'une infinité de mondes, ne prouvait pas la réalité formelle de ces objets. Dire que pour avoir une idée claire de l'infini il suffit d'en concevoir quelque chose, c'est dire que vous feriez mon portrait en traçant l'extrémité d'un de mes che

veux.

VIII. Ce que vous désirez n'est pas toujours plus parfait que vous le pain n'est pas plus parfait que le corps. Les choses que l'on conçoit sont actuellement dans l'idée, mais non pas pour cela dans la nature.

IX. Il n'est pas besoin qu'une cause extérieure plus parfaite que vous préside à votre conservation, par une sorte de création perpétuelle : il y a des effets qui persévèrent dans l'existence, alors même que leur cause n'existe plus. Rien n'est plus indissolublement lié que les parties du temps, et d'ailleurs le temps est extérieur à votre vie, et n'y contribue pas plus que les flots au rocher qu'ils arrosent. Vous avez en vous-même une vertù qui vous conserve, bien que vous n'en ayez pas conscience. Pourquoi ne procéderiez-vous pas de

vos parents, et pourquoi ne remonterait-on pas de vos parents à une série infinie de causes? Le progrès à l'infini est absurde entre ces causes dont l'une ne peut agir sans l'autre, comme les anneaux d'une chaîne, mais non entre les causes dont la seconde peut subsister et continuer son action, alors même que la première est détruite. Vous avez pu former l'idée d'un être parfait des perfections qui sont dans ce monde, et que vous avez amplifiées.

X. Il n'est pas vrai qu'on ne puisse rien retrancher ni rien ajouter à l'idée de Dieu; elle n'a pas toujours été dans notre esprit ce qu'elle est maintenant, et vous ne pouvez pas affirmer qu'elle ne se perfectionnera pas encore. Si l'idée de Dieu est en nous, comme la marque de l'ouvrier empreinte sur son image, quelle est la forme de cette marque? Si elle n'est point différente de cet ouvrage, vous êtes donc semblable à l'idée de Dieu, et par conséquent vous êtes à la fois la marque et l'objet marqué. Pour que Dieu nous eût faits à son image, il faudrait qu'il eût la forme humaine; l'ouvrage n'est jamais semblable à l'ouvrier. Vous concevez, dites-vous, cette ressemblance, en même temps que vous vous reconnaissez incomplet et dépendant: n'est-ce pas plutôt une différence que vous devriez concevoir? Enfin, si Dieu a empreint en nous son idée, pourquoi tous les hommes en ont-ils une idée si différente?

CONTRE LA QUATRIÈME MÉDITATION.

Du vrai et du faux.

I. Comment pouvons-nous recevoir l'erreur du néant, et pourquoi Dieu ne nous a-t-il pas donné, puisqu'il le pouvait, une faculté qui nous empêchât de consentir à l'erreur? Sans doute on ne doit pas s'occuper des causes finales dans les sciences physiques, mais cela est permis en théologie naturelle. Que serait en vous l'idée de Dieu, si vous n'aviez jamais fait usage de vos sens extérieurs?

II. L'univers n'aurait-il pas été plus parfait si aucune de ses parties n'eût été défectueuse, c'est-à-dire si vous n'eussiez pas été sujet à l'erreur? Dire que la présence de quel

ques parties imparfaites est une grande perfection dans l'univers, c'est affirmer qu'une république composée de bons et de méchants est plus parfaite que celle où ne figureraient que des gens de bien. Quand l'erreur serait une négation qui ne procéderait de rien, ni par conséquent de Dieu, Dieu, en vous créant, ne pouvait-il pas remédier à cette négation? III. La volonté n'est pas plus vaste que l'entendement; jamais elle ne s'applique à une chose dont nous n'ayons pas idée. Quand il n'y a dans l'entendement aucune raison qui incline la volonté d'un côté ou d'un autre, il ne s'ensuit aucun jugement. Si l'entendement conçoit clairement, le libre arbitre porte son jugement sans hésitation; mais il ne le prononce qu'avec crainte lorsque la conception de l'entendement est obscure.

IV. Je répète que la difficulté est de savoir dans quel cas une conception claire nous égare, et dans quel cas elle nous conduit bien.

CONTRE LA CINQUIÈME MÉDITATION.

De l'essence des choses naturelles, et de l'existence de Dieu.

I. Ce qu'on appelle l'essence d'une chose n'est que ce qui convient généralement à tous les individus, et ne peut exister que par les individus. L'homme est, voilà, dit-on, l'existence; l'homme est animal, voilà l'essence: mais quiconque dit que l'homme existe, entend aussi qu'il est animal; et quiconque dit que l'homme est animal, entend par là même qu'il existe. L'existence et l'essence ne peuvent donc se séparer. Il n'est pas vrai que vous eussiez eu l'idée du triangle, si vous n'eussiez jamais vu ou touché de corps.

II. Vous prétendez que l'existence fait partie de l'essence de Dieu, comme il est de l'essence d'un triangle rectiligne que ses trois angles soient égaux à deux droits. Or, ceite égalité est un mode qui fait sans doute partie de l'essence du triangle, de même que la toute-puissance est un mode qui fait partie de l'essence de Dieu. Mais si l'existence appartient à l'essence divine, on peut prétendre, avec une égale raison, que l'existence appartient aussi à l'essence du triangle.

Comme on ne reconnaît le rapport des trois angles d'un triangle avec deux droits que par la démonstration, de même le rapport de l'existence à l'idée de Dieu a besoin d'être démontré.

III. Vous faites reposer la certitude de l'évidence sur l'existence de Dieu; mais vous étiez pleinement convaincu des vérités géométriques, et vous aviez admis cette proposition je pense, donc je suis, avant d'être assuré de l'existence de Dieu. Plusieurs révoquent Dieu en doute, et personne ne tient pour douteuses les démonstrations de la géométrie.

CONTRE LA SIXIÈME MÉDITATION.

De l'existence des choses matérielles et de la distinction réelle entre l'âme et le corps de l'homme.

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I. Vous ne concevez pas mieux le chiliogone que vous ne l'imaginez; vous savez que ce mot signifie une figure de mille angles voilà en quoi. consiste ici toute l'opération intellectuelle, c'est un nom. L'intellection et l'imagination suivent le sort l'une de l'autre quant à la clarté; elles ne diffèrent que de degré.

II. Si quelquefois les sens nous trompent, ils nous montrent quelquefois la vérité.

III. De ce qu'il vous est donné de vous concevoir sans votre corps, vous concluez que vous en êtes distinct. Il ne s'agissait pas de savoir si vous étiez ce corps grossier composé de membres, mais un corps plus subtil répandu dans l'autre.

IV. Comment l'espèce représentative du corps, qui est étendue, formée, etc., pourrait-elle être reçue en vous, si vous étiez inétendu? Vous ne savez pas ce que vous êtes, en supposant même que vous sachiez que vous n'êtes pas étendu. Pouvez-vous n'avoir pas d'extension, vous qui êtes dans toutes les parties de votre corps? Si vous n'êtes point corporel, comment pouvez-vous mouvoir le corps?

V. Comment l'union est-elle possible entre un être corporel et un être incorporel? La douleur n'est qu'une sépara

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