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rieur à la cause. Donc cette idée vient de Dieu : donc Dieu existe. >> Après avoir prouvé l'existence de Dieu, Descartes essaie de prouver aussi l'immatérialité de l'âme. Il la prouve par la différence des attributs de l'âme et du corps. L'attribut essentiel et distinctif de la substance intelligente, suivant Descartes, c'est la pensée; l'attribut de la substance matérielle, c'est l'étendue. Deux substances qui diffèrent par leurs attributs essentiels ne peuvent pas être identiques. L'étendue est toujours caractérisée par les trois dimensions, qui ne se trouvent pas dans les faits intérieurs. Malebranche, qui repro'duit l'argument de Descartes, se sert de l'exemple d'une aiguille qui fait un trou dans le doigt, et provoque par là une douleur. Le trou est plus ou moins grand; il peut être caractérisé par les trois dimensions. Il n'en est pas de même de la douleur, qui est un fait incorporel; elle n'a ni longueur, ni largeur, ni hauteur. Outre cet argument en faveur de la spiritualité de l'âme, Descartes en propose un autre qui a quelque rapport avec son argument en faveur de l'existence de Dieu. « J'ai l'idée de mon esprit, dit-il, non pas seulement abstraction, mais exclusion faite de l'idée de mon corps. Or, toutes les choses que je conçois comme complètes en elles-mêmes, et comme distinctes les unes des autres, sont réellement complètes et distinctes; car elles ne peuvent venir que de la réalité conçue. L'idée d'une substance pensante est distincte dans mon esprit de celle de sa substance étendue; en outre elle est complète en elle-même, car elle n'est point abstraite d'autres réalités plus complètes: donc elle correspond à une réalité véritable. »

L'immatérialité de l'âme prouve, suivant Descartes, son immortalité. Pour concevoir que l'âme est immortelle, il suffit de concevoir la pensée en tant que distincte du corps; ce dernier est une substance divisible, la première une substance indivisible. Les substances sont incorruptibles, à moins que Dieu ne leur retire son concours; le corps, pris en général, c'est-à-dire comme étendue, est donc incorruptible aussi bien que l'âme; mais il a certaines configurations qui peuvent changer : l'âme n'a point de configuration. D'ailleurs, quand on conçoit que l'âme est indépendante du corps, comme on ne voit point de cause qui la détruise, on est naturellement porté à la juger immortelle.

Le problème de la communication de l'âme et du corps était regardé au dix-septième siècle comme la question fondamentale de la philosophie il est important de déterminer exactement le système de Descartes sur cette question. Il renferme trois élé ments distincts: 1o le système de la glande pinéale: 2o celui des

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esprits animaux; 3° celui de l'assistance divine. La glande pinéale est une partie du cerveau qui, suivant Descartes, est le siége principal de la communication entre l'âme et le corps. Descartes donne deux preuves de cette opinion: 1o la glande pinéale est située au centre du cerveau; 2o elle est la seule partie du cerveau qui ne soit pas double: or, tous les mouvements de l'âme sont simples. Nous ne voyons qu'une même chose des deux yeux, nous n'entendons qu'une voix des deux oreilles; nous n'avons jamais qu'une seule pensée dans un moment donné.

Les esprits animaux sont le moyen de communication des différentes parties du corps avec le cerveau, et du cerveau avec les nerfs. Descartes les compare à un air ou à un vent très-subtil. « Ils sont formés, dit-il, des parties du sang les plus agitées et les plus vives. >> C'est dans l'action des esprits animaux sur le cerveau et sur la glande pinéale qu'il faut chercher, suivant Descartes, l'explication du plus grand nombre des phénomènes de la vie humaine. Quand les esprits enflent pleinement le cerveau, ils constituent l'état de veille; quand ils ne l'enflent qu'à moitié, l'état de rêve. L'agitation des esprits animaux, qui, dans une forte intelligence, développe l'invention et l'imagination, peut produire la folie dans un esprit faible; l'appesantissement des esprits animaux produit l'imbécillité.

Le système de l'assistance divine de Descartes ne doit pas être confondu avec celui des causes occasionnelles. Le véritable auteur de ce système est un philosophe hollandais, nommé Arnold Geulinx. Il a été développé avec un admirable talent par Malebranche, auquel on en attribue ordinairement l'invention. Ce système établit qu'il n'y a aucune communication réelle entre les deux parties de l'homme; Dieu est la seule cause reelle; l'âme et le corps ne sont que des causes occasionnelles, des occasions de l'action divine. Cette théorie a été évidemment suggérée par celle de Descartes, qui en est cependant fort distincte. Descartes admet une action réelle de l'âme sur le corps et du corps sur l'âme; mais il croit que l'assistance divine est nécessaire pour que cette action puisse s'exercer.

Descartes regarde l'existence de Dieu et de l'âme comme prouvée immédiatement par l'idée que nous en avons. Il n'en est pas de même de la réalité du monde matériel. Descartes ne croit pas que l'idée claire et distincte que nous avons de cette réalité puisse suffire pour la démontrer. Il présente à l'appui de cette opinion trois arguments: 1o rien ne nous prouve que Dieu n'ait pas voulu nous tromper à cet égard; 2o les sens nous trompent sans cesse; 3° nous avons dans le sommeil des illusions dans lesquelles nous croyons

voir et entendre des choses qui n'existent pas. C'est sur la véracité de Dieu que Descartes fait reposer la certitude de l'existence du monde matériel. « Dieu, dit-il, ne peut pas avoir voulu nous tromper par ce rapport à une croyance qui a une si grande force dans notre esprit et une si grande influence sur nos actions. » Il y a dans ce système un principe d'idéalisme panthéistique qui a été beaucoup développé par les disciples de Descartes, par Malebranche, et surtout par Spinoza.

Sur l'essence même du monde matériel, Descartes admettait le système qu'on a appelé le système mécanique. Il ne croyait cependant pas aux atomes; il n'admettait pas que la matière fût divisible à l'infini. Mais il regardait l'étendue comme étant la seule propriété essentielle de la matière, et admettait une action mécanique des molécules les unes sur les autres. La théorie contraire, qu'on a appelée le système dynamique, n'admet d'autre réalité dans la nature que des forces agissant de différentes manières. Leibniz peut être considéré comme l'auteur de ce système; mais il n'en a pas vu les conséquences. C'est par cette théorie seulement que l'on peut résoudre le problème de la communication de l'âme et du corps, qui a tant embarrassé les philosophes du dix-septième siècle. Descartes et Malebranche, regardant les deux substances comme absolument différentes, ne pouvaient pas admettre qu'elles agissent l'une sur l'autre, et étaient obligés de recourir à l'intervention divine. La difficulté disparaît lorsqu'on admet que ce sont les forces ou les monades qui constituent l'essence de la matière aussi bien que celle de l'esprit. La théorie dynamique place le spiritualisme dans la physique, tandis que le système cartésien introduit le matérialisme dans cette partie de la science.

C'est la séparation absolue établie entre les deux substances matérielle et spirituelle qui a conduit Descartes à cet étrange système sur les animaux qui lui a été reproché. Il refuse aux animaux toute espèce d'intelligence et de volonté; il ne leur accorde pas même la sensibilité; il dit qu'ils voient et sentent, mais sans avoir conscience de leur vision et de leur sentiment. Les brutes, suivant lui, ne sont que des automates mieux faits que ceux qui sortent de la main des hommes. Les adversaires de Descartes ont fait justice de cette théorie bizarre, qui est en contradiction formelle avec le sens commun et avec l'expérience; mais ils ont négligé d'en signaler la conséquence pratique, qui est de détruire dans les hommes les sentiments et les devoirs d'humanité par rapport aux animaux. Baillet nous apprend que Descartes, lorsqu'il était à Amsterdam, allait presque tous les

jours voir tuer des animaux chez le boucher qui le servait, pour ses travaux anatomiques. On raconte que Malebranche avait une chienne qu'il battait sans miséricorde, persuadé qu'elle ne sentait pas la douleur. Le biographe de Spinoza raconte que le seul plaisir qu'on lui ait jamais vu prendre était celui de faire battre entre elles des araignées, ou de leur faire prendre des mouches. Cette indifférence pour la souffrance des animaux est le résultat du système qui ne voit en eux que des automates.

Le système de Descartes sur l'origine de l'erreur est une de ses théories les plus ingénieuses. L'erreur provient, suivant lui, de ce que la volonté est plus étendue que l'entendement. L'entendement est limité; la volonté ou la liberté est illimitée dans son essence. L'entendement par lui-même ne nous trompe jamais ; il nous donne des idées claires et distinctes qui correspondent, toujours à la réalité; mais l'imagination nous donne des idées confuses, et la volonté, étant plus étendue que l'intelligence, peut surajouter les idées de l'imagination à celles de l'entendement, et leur attribuer ainsi la certitude logique qui leur manque. C'est d'après la même théorie que Descartes explique comment Dieu a pu permettre dans le monde le mal et l'erreur. L'intelligence d'un être fini devait nécessairement avoir des limites; et sa liberté, suivant Descartes, ne pouvait pas ne pas être illimitée, car la volonté est quelque chose d'indivisible on n'en peut rien retrancher sans la détruire. Il fallait ou que Dieu ne la donnât pas aux hommes, ou qu'il la donnât illimitée, et par conséquent plus étendue que l'entendement.

On a mis en question si Descartes croyait aux idées innées. Il nous paraît impossible d'en douter; seulement on peut dire qu'il ne donnait pas aux idées innées la signification que Locke a conçue ou feint de concevoir dans sa réfutation du cartésianisme. Descartes n'admet pas que les idées naissent en nous développées; elles se développent avec l'âge, et dans les imbéciles elles restent toujours enveloppées. Il n'admet pas non plus que les idées innées soient toujours présentes à notre pensée; seulement nous avons toujours en nous la faculté de les produire. Les principales idées innées, vant Descartes, sont l'idée que nous avons de notre substance personnelle, l'idée de la substance en général et en particulier de celle des corps, l'idée de Dieu, les idées d'étendue, de nombre, de situa tion, de mouvement, les vérités logiques qui ne sont rien hors de notre pensée; enfin toutes les idées qui ne contiennent ni négation

sui

ni affirmation, comme les idées de figure, de couleur, de son et d'odeur.

Nous avons énuméré les principes les plus saillants du système de Descartes; nous sommes obligés de négliger plusieurs théories accessoires, dans lesquelles éclate aussi son génie profond et original. Il nous resterait à faire connaître le rapport de la doctrine de Descartes avec celle de ses disciples, et en particulier avec le système de Spinoza, qui n'est que le cartésianisme poussé dans ses dernières conséquences. Nous reviendrons sur le rapport des deux doctrines en parlant de Spinoza; nous l'indiquerons ici très-brièvement. Le principe par lequel Descartes nous semble surtout avoir frayé la route à Spinoza, c'est la prescription des causes finales. Préoccupé du désir de séparer la théologie et la philosophie, et de mettre un terme à la confusion qui avait régné sous ce rapport dans la scolastique, Descartes proscrit entièrement les causes finales, et veut que dans l'étude du monde on ne s'occupe que des causes secondes. Spinoza conteste absolument la réalité des causes finales; Descartes ne les nie pas, mais il ne veut pas qu'on les étudie : il y a un rapport manifeste entre les deux théories. Sous le point de vue psychologique, Descartes a donné naissance au fatalisme de Spinoza en attribuant plus d'importance à la pensée qu'à la volonté. Spinoza nie absolument la volonté libre; Descartes ne la nie pas, mais il place toujours la pensée en première ligne. On reconnaît déjà cette tendance dans son point de départ : Cogito, ergo sum. Descartes fait reposer la certitude du monde matériel sur la véracité divine, ce qui a conduit Spinoza à ne voir dans le monde extérieur qu'un mode et une manifestation de la substance infinie. Descartes explique la communication de l'âme et du corps par l'assistance perpétuelle de la Divinité, ce qui a pu aussi suggérer l'explication panthéistique de Spinoza. Dans sa théorie métaphysique, Descartes place toujours la notion de substance avant celle de cause; même lorsqu'il parle de la cause, par exemple au sujet de la notion de l'infini, on reconnaît qu'il a dans l'esprit la notion de substance. Dans le spinozisme la notion de cause disparaît entièrement; tout est rapporté à l'idée de substance. Enfin, ceci nous paraît fondamental, Descartes rejette le savoir du cœur et n'admet que celui de l'esprit; il repousse absolument le mysticisme, il est purement rationaliste. Ceci nous paraît être la grande erreur de Descartes et de son école. Nous croyons qu'il y a des choses que nous ne pouvons comprendre que par les affections qu'elles excitent

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