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traités latins qui ne furent publiés que cinquante ans après la mort de Descartes : les Règles pour la direction de l'esprit, et la Recherche de la vérité par les lumières naturelles. M. Cousin est le premier qui ait songé à recueillir ces deux traités dans la collection des œuvres complètes de l'auteur; le jugement qu'il en a porté était bien fait d'ailleurs pour exciter la curiosité : « Ils égalent en force, dit-il, et surpassent peut-être en lucidité les Méditations et le Discours sur la méthode. On y voit encore plus à découvert le but fondamental de Descartes, et l'esprit de cette révolution qui a créé la philosophie moderne, et placé à jamais dans la pensée le principe de toute certitude, le point de départ de toute recherche régulière : on les dirait écrits d'hier, et composés tout exprès pour les besoins de notre époque.

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Malheureusement, de ces deux ouvrages, l'un, les Règles pour la direction de l'esprit, s'est trouvé mutilé dans ses derniers chapitres; l'autre ne fut point achevé par l'auteur. La Recherche de la vérité par les lumières naturelles devait se composer de deux livres nous ne possédons que le premier.

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Le point de départ de Descartes fut la démonstration de l'existence de l'homme : Je pense, donc j'existe; son point d'arrivée fut la démonstration de l'existence de Dieu l'idée de Dieu est en nous, done Dieu existe. Le recueil que nous publions aujourd'hui renferme donc à la fois la science de l'homme et la connaissance de Dieu, c'est-à-dire toute la philosophie.

L. AIMÉ-MARTIN.

SA VIE ET SES OUVRAGES.

On distingue parmi les grands philosophes deux classes très-différentes d'intelligences, qu'on peut appeler les esprits novateurs ou initiateurs, et les esprits organisateurs. Les premiers sont ceux qui, s'écartant de toutes les routes battues, ouvrent une voie nouvelle dans la science, et changent les bases mêmes de la philosophie par l'invention de nouvelles méthodes. Les seconds sont ceux qui, prenant leur point de départ dans la méthode, créée avant eux, élèvent des systèmes par cette méthode, et organisent la science avec les bases fournies par leurs prédécesseurs. L'histoire de la science nous présente trois grands philosophes novateurs qui sont le point de départ de trois grandes époques dans l'histoire de la philosophie : Socrate, Descartes, et Kant. Aucun d'eux ne se présente comme voulant continuer l'œuvre des philosophes qui l'ont précédé; ils prennent une position révolutionnaire et agressive par rapport à toutes les doctrines de leur temps. Voyez, au contraire, leurs successeurs : Platon et Aristote, Spinoza et Leibniz, Schelling et Hégel; ils acceptent le point de départ de la science, tel qu'il leur est donné par les philosophes qui les ont précédés, et se présentent seulement comme voulant continuer et perfectionner la philosophie de leur temps.

C'est à la science de la méthode que se sont attachés tous les philosophes novateurs; car la méthode engendre le système, et c'est par des innovations dans la méthode qu'ont commencé toutes les grandes révolutions philosophiques. C'est la méthode de Socrate qui fait sa gloire philosophique; il n'a pas même eu la prétention de créer un système. Descartes a fait à la fois une méthode et un système; mais on sait que sa méthode a renversé la scolastique, et est devenue le point de départ de toute la philosophie moderne ; tandis que son système a, au contraire, arrêté pendant longtemps les progrès de la science. Sans l'excellence de la méthode de Descartes, la gloire qu'il s'est acquise par quelques découvertes positives aurait été obscurcie, sans aucun doute, par le contraste de ses doctrines

traités latins qui ne furent publiés que cinquante ans après la mort de Descartes : les Règles pour la direction de l'esprit, et la Recherche de la vérité par les lumières naturelles. M. Cousin est le premier qui ait songé à recueillir ces deux traités dans la collection des œuvres complètes de l'auteur; le jugement qu'il en a porté était bien fait d'ailleurs pour exciter la curiosité : « Ils égalent en force, dit-il, et surpassent peut-être en lucidité les Méditations et le Discours sur la méthode. On y voit encore plus à découvert le but fondamental de Descartes, et l'esprit de cette révolution qui a créé la philosophie moderne, et placé à jamais dans la pensée le principe de toute certitude, le point de départ de toute recherche régulière : on les dirait écrits d'hier, et composés tout exprès pour les besoins de notre époque. »

Malheureusement, de ces deux ouvrages, l'un, les Règles pour la direction de l'esprit, s'est trouvé mutilé dans ses derniers chapitres; l'autre ne fut point achevé par l'auteur. La Recherche de la vérité par les lumières naturelles devait se composer de deux livres nous ne possédons que le premier.

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Le point de départ de Descartes fut la démonstration de l'existence de l'homme : Je pense, donc j'existe; son point d'arrivée fut la démonstration de l'existence de Dieu l'idée de Dieu est en nous, done Dieu existe. Le recueil que nous publions aujourd'hui renferme donc à la fois la science de l'homme et la connaissance de Dieu, c'est-à-dire toute la philosophie.

L. AIMÉ-MARTIN.

SA VIE ET SES OUVRAGES.

On distingue parmi les grands philosophes deux classes très-différentes d'intelligences, qu'on peut appeler les esprits novateurs ou initiateurs, et les esprits organisateurs. Les premiers sont ceux qui, s'écartant de toutes les routes battues, ouvrent une voie nouvelle dans la science, et changent les bases mêmes de la philosophie par l'invention de nouvelles méthodes. Les seconds sont ceux qui, prenant leur point de départ dans la méthode, créée avant eux, élèvent des systèmes par cette méthode, et organisent la science avec les bases fournies par leurs prédécesseurs. L'histoire de la science nous présente trois grands philosophes novateurs qui sont le point de départ de trois grandes époques dans l'histoire de la philosophie : Socrate, Descartes, et Kant. Aucun d'eux ne se présente comme voulant continuer l'œuvre des philosophes qui l'ont précédé; ils prennent une position révolutionnaire et agressive par rapport à toutes les doctrines de leur temps. Voyez, au contraire, leurs successeurs : Platon et Aristote, Spinoza et Leibniz, Schelling et Hégel; ils acceptent le point de départ de la science, tel qu'il leur est donné par les philosophes qui les ont précédés, et se présentent seulement comme voulant continuer et perfectionner la philosophie de leur temps.

C'est à la science de la méthode que se sont attachés tous les philosophes novateurs; car la méthode engendre le système, et c'est par des innovations dans la méthode qu'ont commencé toutes les grandes révolutions philosophiques. C'est la méthode de Socrate qui fait sa gloire philosophique; il n'a pas même eu la prétention de créer un système. Descartes a fait à la fois une méthode et un système; mais on sait que sa méthode a renversé la scolastique, et est devenue le point de départ de toute la philosophie moderne ; tandis que son système a, au contraire, arrêté pendant longtemps les progrès de la science. Sans l'excellence de la méthode de Descartes, la gloire qu'il s'est acquise par quelques découvertes positives aurait été obscurcie, sans aucun doute, par le contraste de ses doctrines

bizarres sur les esprits animaux, sur les tourbillons, sur les animaux machines, etc. Il en a été de même de Kant: par sa méthode critique, il a fondé l'idéalisme allemand; mais son système inconséquent et contradictoire est maintenant universellement abandonné.

Un caractère distinctif de tous les philosophes novateurs, c'est qu'ils ont tous dans l'esprit plus d'originalité que d'étendue. Doués d'une individualité puissante, ils se heurtent contre la science de leur temps, et y font une brèche profonde qui laisse une trace ineffaçable de leur passage; mais ils manquent de cette étendue d'intelligence sans laquelle il est impossible d'élever aucun édifice scientifique durable et complet. C'est par l'originalité audacieuse de leurs idées que se distinguent Socrate, Descartes et Kant; tandis que l'étendue et l'universalité caractérisent leurs successeurs, Aristote, Leibniz, Hégel. Pour faire juger combien les idées de Socrate manquaient d'étendue, il suffit d'exposer ses doctrines. Ses prédécesseurs avaient erré en dédaignant la psychologie, et en s'occupant exclusivement, les uns de physique et de mathématiques, les autres de subtilités dialectiques et métaphysiques. Socrate est tombé dans l'exagération contraire: il réduit tout à la psychologie et à la morale; il rejette la haute métaphysique, il proscrit même les sciences physiques et mathématiques. Nous trouvons chez Descartes le même esprit exclusif, le même manque d'étendue dans les idées. Avant lui, Aristote passait pour infaillible; on croyait terminer toutes les discussions par ces paroles : « Le maître l'a dit. Descartes a substitué l'examen à l'autorité, et c'est là le plus beau titre de sa gloire philosophique. Mais ne tombe-t-il pas aussi dans l'exagération quand il proscrit absolument les sciences historiques, quand il demande que le philosophe rejette les livres et la tradition, pour se fier uniquement à ses méditations individuelles?

Nous trouvons le même caractère dans toute la vie littéraire de Descartes: beaucoup d'originalité dans les idées, et en même temps très-peu d'étendue 1. C'est là ce qui nous explique ce qu'il y a de

'Très-peu d'étendue. Ce jugement pourra paraitre trop sévère ; et il le serait en effet, si sous ce mot d'étendue on comprenait la profondeur d'intelligence qui juge les choses de haut et de loin, et la vigueur dialectique qui poursuit un principe dans ses dernières conséquences. Ce sont des qualités qui distinguent éminem. ment Descartes, et qu'il serait absurde de lui refuser. Nous lui contestons seulement cette souplesse et cette universalité d'intelligence qui, sans adopter aucune idée exclusive, fait marcher de front tous les principes et toutes les réalités. Descartes n'est en cela qu'un des exemples d'une loi qui paraît inhérente à l'imperfection de la nature humaine : il semble qu'il soit interdit à l'esprit philosophique d'être créateur et original, sans être en même temps absolu, intolérant et exclusif.

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