NOTES. PAGE 118. (1) Presque tous les bons Princes ont eu des amis. Qui est-ce qui a mieux senti les avantages et les douceurs de l'amitié que M. le Dauphin, père de notre auguste Monarque *? aussi a-t-il mérité d'avoir un ami; ami de ses devoirs, de sa gloire, de ses vertus, et plus occupé du soin de lui devenir utile que de celui de lui plaire : car tel étoit le Comte du Muy. On sait que M. le Dauphin accordoit toute liberté aux personnes de mérite qu'il admettoit dans sa société ; un jour que, dans un entretien familier, on agitoit devant lui cette question, si, en supposant qu'il fût jamais Roi, il seroit un bon Roi, ce Prince voulut aussi donner son avis sur lui-même, et dit : » Nous sommes foibles; si jamais j'ai le malheur de régner, cela n'ira pas trop bien pendant les trois premières années; mais le Chevalier du Muy est ferme ; il me corrigera et vous aussi «. Manuscrit de famille. M. le Dauphin avoit bien raison de penser que la bonté toute seule dégénère en foiblesse, et que la fermeté jointe à la bonté est absolument nécessaire pour faire un bon Roi! mais comme on n'a pas moins besoin de lumières que de fermeté pour bien régner, ce Prince avoit recours au Chevalier du Muy pour s'en procurer. Toujours disposé à lui donner des preuves de son zèle, M. du Muy s'éloignoit souvent de sa personne pour connoître dans cette vue les Provinces de la France; il fit particulièrement le tour des frontières et des côtes de ce Royaume, et composa des Mémoires qui contiennent leurs moyens * Ce digne Prince vouloit avoir un ami : mais, comme il l'a dit luimême dans un de ses Écrits, un Roi ne doit point avoir de Favoris ; (et c'étoit aussi la maxime de Louis XIV), à plus forte raison, le nam de Maîtresse fait-il horreur à un Chrétien, de défense, les Traités qui y ont rapport, et les soins que le Gouvernement doit prendre, soit pour leur maintien, soit pour leur perfection. Ces études des lieux, ces courses pénibles n'étoient que les préludes des voyages que le Prince se proposoit de faire lui-même. Il eût voyagé par devoir, sans étiquette, sans faste, sans toutes ces dépenses que les Courtisans regardent comme les attributs nécessaires de l'autorité : la France auroit vu son maître prendre connoissance de ses besoins, sans lui en donner de nouveaux. Ibid. Ce commerce d'amitié établi entre M. le Dauphin et le Chevalier, depuis Comte du Muy, formoit au milieu de la Cour un spectacle bien rare, et que la vertu seule peut donner. Quand ils étoient séparés l'un de l'autre, une union si intime s'entretenoit par une correspondance suivie, où se mêloient aux expressions de l'attachement le plus tendre les leçons de la vérité. Dans une lettre à M. le Dauphin, de Cassel, le 4 Mars 1762, M. du Muy dit en finissant: » Conservez vos jours; ils sont la consolation des miens et l'espérance de tous les citoyens. Je souhaite qu'ils soient heureux. Ils le deviendront, si l'ordre règle les finances; la discipline, les troupes; la fermeté, le gouvernement. Ces trois points, dirigés par le génie, rendent le Marquis de Brandebourg égal à la plus grande partie de l'Europe depuis cinq ans, et par conséquent supérieur à chacune des grandes Monarchies qui l'assiègent «. Nous ne devons pas oublier ici la prière que, dans le cours de la guerre, M. le Dauphin adressoit tous les jours au Seigneur pour le Comte du Muy, et qu'on a trouvée dans ses papiers écrite en latin de sa propre main: Seigneur, Dieu des armées, arbitre souverain de la vie " et de la mort, qui, au milieu des combats, détournez les coups que porte l'ennemi, loin de ceux dont vous avez résolu de prolonger les jours, exaucez ma prière, en prenant sous votre protection votre fidèle serviteur » L. N. V. (Louis-Nicolas-Victor): qu'elle soit pour lui » un bouclier impénétrable; qu'elle éloigne de lui le fer net le feu; les maladies et les atteintes mortelles de la > contagion. Soutenez-le dans ses travaux, afin que, de >> retour en une santé parfaite, il continue à me donner, » comme il a toujours fait, des conseils pleins de piété et » de sagesse ; qu'il m'aide à défendre la religion et la justice; et qu'il me montre la voie droite qui conduit à Ce Prince, au lit de la mort, et voyant arriver ses derniers momens sans frayeur et sans regret, adressa au Comte du Muy ces paroles : » Ne vous abandonnez point » à la douleur, conservez-vous pour servir mes enfans; 29 ils auront besoin de vos lumières et de vos vertus. » Soyez-leur de la même utilité dont vous m'auriez été, » Donnez à ma mémoire cette preuve de votre tendresse, et sur-tout que leur jeunesse, dans laquelle j'espère n que Dieu les guidera, ne les éloigne jamais de vous. Le Comte du Muy le promit à son maître; et quand Louis XVI, étant monté sur le trône, l'appela à ce même Ministère, qu'il avoit refusé sous le règne précédent, et qui, depuis cette époque, étoit devenu encore plus difficile, » Il m'étoit possible, dit le Comte, de refuser le mais je ne puis oublier les droits qu'a sur moi le fils de M. le Dauphin «. Ibid. Roi; ንግ Telle est en partie la lettre qu'il avoit écrite à Louis XV en refusant la place à laquelle il l'avoit nommé : » Je n'ai jamais vécu dans la société de votre Majesté : par con» séquent je n'ai jamais été dans le cas de me prêter à bien > des choses d'usage pour ceux qui y vivent ; à mon âge, on ne change point sa manière : mon caractère inflexi»ble changeroit bientôt ce cri public dont votre Majesté na la bonté de s'appercevoir, en bláme et en haine. On me feroit perdre les bontés de votre Majesté, et j'en > serois inconsolable. Je la prie donc de vouloir bien jeter » les yeux sur un sujet plus capable «. Ibid. Lorsque la France eut le malheur de perdre M. le Dauphin, personne ne se montra plus inconsolable de sa mort, que ce vertueux et fidèle ami. Ayant obtenu du Roi qu'il seroit enterré à ses pieds, il désigna lui-même l'endroit de sa tombe, sur laquelle il fit graver l'expression de sa douleur : huc usque luctus meus, leur m'a suivie jusqu'ici * «. Vie du Dauphin, père de Louis XVI,1. 3. PAGE 120. » ma dou (2) Tous vos sujets vont se regarder comme vos enfans, etc. » L'amour du Prince, a très-bien dit un Auteur moderne, est le ressort le plus puissant pour mettre en action tout un peuple, le remplir d'enthousiasme, et le porter à tous les sacrifices. Alors la Nation n'est composée que de fils qui vengent un père et volent aux combats avec joie. Rien ne paroît difficile. L'homme, qui craint naturellement le pouvoir de la grandeur, s'il peut donner le change à ce sentiment, s'il a quelques raisons d'aimer au lieu de craindre, s'il apperçoit un sourire au lieu de la foudre, pousse alors cet amour jusqu'à l'ivresse ; et l'on a vu des miracles incroyables enfantés par cet amour. Que penser d'un Roi, qui, ayant ce ressort entre les mains, le briseroit volontairement?.... Privé de cet amour tendre, ciment éternel des cœurs, aliment des grandes choses, l'État n'existeroit plus. On feroit du devoir un trafic honteux ; et l'idée du patriotisme étant anéantie, ce mot, comme privé de sens, ne trouveroit plus de place dans aucun livre «. IBID. (3) Leurs richesses seront à vous, parce qu'ils sauront que vous ne voulez être riche que pour eux. » Un jeune Roi, à * L'Éditeur croit pouvoir se permettre de faire observer, en passant, qu'il avoit remis sous les yeux de M. le Comte du Muy, dans le temps de son ministère, et en présence d'une personne respectable qu'il pourroit citer, le précis des entretiens politiques que ces lettres renferment Il a usé de semblables précautions à l'égard de quelques autres lettres, qu'il a soumises également à l'autorité de ceux qui étoient les plus capables d'en bien juger, par le rang qu'ils occupent dans le monde, par leur expérience, et parleurs lumières. son avènement au Trône, avoit trouvé un trésor considérable dans les coffres de son père. La main de la bienfaisance s'ouvrit, et les richesses du Prince se répandirent sur son peuple. Un courtisan en fit des reproches au Prince. Si l'ennemi, lui dit-il, 'vient vous attaquer, › quels moyens aurez-vous pour lui résister, après avoir » distribué votre argent à vos Sujets «? Alors, répondit le Roi, je le redemanderai à mes amis. M. de Bury. D Ceci rappelle le trait d'un Monarque, qui, dans une circonstance à peu près semblable, fit publier qu'il recevroit, pour des besoins très-urgens, ce que les plus affectionnés et les plus riches de ses sujets voudroient bien lui faire remettre. Il ordonna en même tems qu'on enregistrât les noms de ceux qui se présenteroient, ainsi que la somme d'argent ou les effets qu'ils auroient apportés. Dès le lendemain, il se trouva une quantité immense d'or et de bijoux dans son palais. Vous voyez, dit-il à celui qui avoit paru douter de sa puissance, que je ne pouvois mieux placer mon trésor qu'entre les mains et dans le cœur de mes Sujets ; et il fit rendre à l'instant tout ce qu'on lui avoit donné. Le duc de Savoie demandoit un jour à Henri IV quels étoient ses revenus : Je n'en sais rien, répondit le Roi; je ne compte point avec mes Sujets : comme je m'en fais aimer, ils croient que tous leurs biens sont à moi, et je pense que tous les miens sont à eux. Léopold, Duc de Lorraine, étoit si persuadé qu'un Prince n'est sur le Trône que pour faire le bonheur de son peuple, qu'une personne lui faisant un jour le récit des avantages qu'un Souverain venoit de procurer à ses Sujets : Il le devoit, répondit-il : je quitterois demain ma Souveraineté, si je ne pouvois pas faire du bien *. Une autre fois, un des Ministres représentoit à ce Prince que ses * Charles V, surnommé le Sage, avoit dit aussi : Je ne trouve les Rois heureux, qu'en ce qu'ils ont le pouvoir de faire du bien. Villaret, tome XI. |