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litiques, le plus difficile de l'ouvrage étoit fait, quand on avoit pu parvenir à inspirer de la confiance, et à ne laisser aucun lieu de douter qu'on ne fût disposé à sacrifier les vues fausses, injustes, et bornées de l'esprit d'agrandissement et de conquêtes, à celles que donne un esprit de modération, de sagesse, et d'équité.

Le choix qu'on a daigné faire de moi a paru confirmer la droiture de nos intentions; et cette bonne opinion, c'est toujours à vous que je la dois. On se souvient ici du dernier traité que vous avez conclu, et dont les suites subsisteroient encore, si d'autres conventions, accompagnées de clauses beaucoup moins précises et moins sages, n'y eussent pas dérogé. On se rappelle la franchise de vos procédés; et l'on veut bien croire, que, formé à votre école, imbu de vos principes, je ne chercherai point à m'envelopper dans un tissu de ruses et de détours, à tendre des piéges à la bonne foi par l'artifice et la duplicité, et à embarrasser ce qu'il n'est question que d'éclaircir et de simplifier.

Telle est l'idée avantageuse que d'anciens Ministres ont conservée par rapport à vous, et qu'ils veulent bien étendre jusqu'à moi. A leur exemple, le Prince, trop prévenu en ma faveur, se flatte de retrouver dans

le fils toutes les qualités du père. Souvent il m'entretient de vous; il me répète les éloges qu'il en a entendu faire par la bouche même de son auguste prédécesseur; il m'expose le désir qu'il a ressenti, depuis qu'il est sur le trône, de vous voir à sa Cour, et combien il avoit été sensible, dans les premiers tems de votre exil, au peu de justice qu'on vous avoit rendu. Ce sont là, mon père, autant d'avances pour moi, et d'heureux préjugés pour l'avenir. Cependant ce ne sont, après tout, que des espérances; et dans un Royaume, où l'autorité suprême éprouve tant de contradictions, où l'exercice de son pouvoir exige tant de ménagemens, où, de l'opposition de vues et d'intérêts entre les différens partis et les différens corps, nous voyons naître si souvent le trouble et la discorde, on ne sait sur quoi compter.

Une autre source d'inquiétude pour moi, est le caractère même du Monarque auprès duquel on m'a envoyé. Depuis plus de dix ans qu'il est sur le trône, il ne s'est point formé de principes fixes, et n'a pas encore appris à gouverner par lui-même. Entouré de Ministres sages et éclairés, ce ne sont pas toujours eux qu'il consulte : des favoris,, qui l'obsèdent, s'emparent quelquefois de sa confiance, et décident trop souvent ses

opinions et sa conduite. Flottant sans cesse entre les idées et les sentimens contraires, que les uns et les autres s'efforcent à l'envi de lui faire adopter, il forme à chaque instant de nouveaux projets. Tantôt il paroît entrer dans l'esprit des plus sages de son Conseil, et aspirer sincèrement à nous donner la paix; tantôt, se prêtant aux vues intéressées des Courtisans, il paroît désirer la guerre avec ardeur, et ne consentir à se lier avec nous que pour la perpétuer, s'il se peut, afin de partager la dépouille des peuples vaincus. La politique, la passion des armes, l'ambition de conquérir; le projet plus noble et plus magnanime de procurer, par une législation mieux entendue, le bonheur de son peuple, la sûreté et l'indépendance de sa Couronne; celui de pacifier l'Europe, et d'influer sur le bonheur des autres Nations; que dirai-je enfin? l'attrait plus séduisant, pour un Prince jeune encore, de la mollesse et des plaisirs, semblent se disputer l'empire sur son ame: et l'on ne peut dire lequel de ces goûts si opposés, qu'on lui insinue tour à tour, pourra l'emporter.

a

La Religion même, dans l'esprit du Monarque, n'est pas exempte de ces vicissitudes. Placé à côté de plusieurs États, divisés sur cet article si intéressant, et accou

tumés par de longues querelles à la liberté de penser, il est souvent tenté de tout rejeter, ou de tout admettre sans examen. Un esprit de Pyrrhonisme et d'incrédulité, qui se répand insensiblement jusque dans son Royaume, lui est inspiré en secret par ceux qui croiroient gagner le plus à être sans frein, sans loi, et qui ne trouvent pas de plus sûr moyen d'y réussir, que de parvenir à le faire penser comme eux.

De tout ce que je viens de vous exposer, il est aisé de conclure, qu'avec les meilleures espérances d'une part, il me reste de l'autre de justes sujets de crainte. Si tout est disposé favorablement du côté du Ministère, si les vues actuelles, si les vrais intérêts de la Nation s'accordent avec les nôtres, si l'opinion qu'on a bien voulu se former de moi nous est avantageuse, si le Prince lui-même est prévenu en ma faveur; avouons néanmoins que, dans un État aussi agité que l'est celui-ci, dans une Cour où règnent tant de dissensions et où les sentimens sont si partagés, sous un Monarque dont les idées varient si aisément, un seul moment peut tout changer. Ce qui me tranquillise et qui soutient mon espoir, c'est la facilité que j'éprouve à entretenir ce Prince, d'ailleurs affable, ouvert, et qui, ramené à des principes plus

sûrs, acquerroit, par-là même, un caractère plus décidé, et seroit capable de se porter au plus grand bien. Aidez-moi, mon père, par la sagesse de vos conseils, par toutes les lumières que je puis vous devoir encore, à tirer parti des circonstances, de l'amitié qu'il me témoigne, et de l'estime qu'il a pour vous.

LETTRE

XLIII

Réponse du Marquis.

IL ne me reste rien à t'apprendre, cher Valmont. Les mémoires que je t'ai remis sur mes ambassades, les conversations que nous avons eues à ce sujet dans le séjour que tu as fait ici, l'état actuel des choses, que tu es plus que personne à portée de connoître et d'apprécier, t'instruiront mieux que tout ce que je pourrois t'écrire de si loin. Je me bornerai donc à te féliciter du bien que tu peux faire. Le Ciel, en t'ouvrant une nouvelle carrière, te prépare de nouveaux

succès.

Ce n'est plus seulement à ta Patrie que tu vas être utile; tu lui dois sans doute tes premiers soins et tes voeux les plus ardens ́;

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