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les bornes étroites de la vie présente? Eh! pourquoi ces principes de propre intérêt, d'accord parfait des intérêts de l'amour-propre avec ceux des sens, offensent-ils une ame tant soit peu délicate, un cœur bien fait, dès qu'ils sont exposés nuement, et sans tout cet appareil de conséquences et de sophismes qui en imposent; si ce n'est, parce que nous nous sentons nés pour agir, dans mille circonstances, par des principes plus nobles, plus dignes de notre nature?

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(7) C'est de la sagesse, des lumières, et des mœurs de cette portion de vos Sujets, etc. Si ce que l'on dit ici est vrai, il est aisé de concevoir de quelle importance il est pour l'État et pour ceux qui le gouvernent, de faire la plus grande attention au choix des Ministres de la religion, ainsi qu'aux moyens les plus propres à les former. Après celui qu'offrent les Séminaires, institués pour la piété, comme les Écoles le sont pour la science, et dirigés par des hommes remplis de vigilance, de fermeté, d'intelligence, et de sagesse, je n'en vois pas, d'après l'expérience même, de plus efficace que l'exercice des diverses fonctions du ministère, au sein des Paroisses. C'est là, en général, que sous la conduite d'un digne Curé, d'un Pasteur respectable, on prend le plus sûrement l'esprit essentiel à cet état, le vrai zèle qui le caractérise, la décence qui lui convient, le goût des fonctions qui lui sont propres, le respect pour les choses saintes, la connoissance intime des besoins du peuple, et des ressources qu'on doit employer pour guérir ses vices et pour l'attacher à la vertu. Il y a, parmi cette classe de Ministres, des hommes, comme il y en a partout; il y a de mauvais Prêtres, comme il y en eut parmi les Apôtres. Mais, j'ose le dire, il y en a moins que partout ailleurs *. Qu'on y

* Et peut-être s'y en trouveroit-il plus rarement encore, si quel-que portion des biens de l'Eglise, au lieu d'accroftre la vaine et stérile opulence de riches Bénéficiers, étoit a ectée dans les différentes Paroisses, sous l'inspection des Évêques et des Curés, non aux per

pense sérieusement : si l'obligation de passer un certain nombre d'années au sein des Paroisses, devenoit une loi formelle pour tous les Ecclésiastiques, sans exception, sans dispense, sous quelque prétexte que ce pût être ; je ne doute pas que ce seul Réglement ne donnât à tout le Clergé le plus grand lustre, et n'influât en peu de tems sur la religion, le caractère, et les mœurs de toute la Nation. Ajoutons une autre réflexion bien importante : c'est que, dans le siècle d'incrédulité où nous sommes, il n'y a pas un Ecclésiastique, qui, pour être reçu à la Prêtrise, ne dût être examiné à la rigueur sur ces deux Traités si essentiels, religieusement et politiquement parlant, celui de la Religion et celui de l'Église.

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(8) Que servent de bonnes Loix, si les mœurs leur sont contraires ? La plus importante de toutes les Loix, celle qui ne se grave ni sur le marbre ni sur l'airain, mais dans les cœurs des Citoyens ; qui fait la véritable constitution de l'Etat; qui prend tous les jours de nouvelles forces, qui, lorsque les autres Loix vieillissent ou s'éteignent, les ranime ou les supplée ; qui conserve un peuple dans l'esprit de son institution, et substitue insensiblement la

Tonnes, mais aux places; de manière que, quoiqu'amovibles au jugement des Supérieurs légitimes, elles fussent fondées comme il convient, et que leur revenu fût le prix du travail de ceux qui se oient en état de les remplir. Alors la subsistance des Ministres inférieurs étant assurée, ils ne seroient pas forcés de la chercher au dehors, ni exposés à perdre, au milieu d'un certain monde, l'esprit qui doit les animer. Ils n'auroient plus rien à prétendre d'ailleurs, pour l'exercice de quelques-unes des fonctions de leur ministère ; et les inhumations elles-mêmes assujetties sans peine à tous les réglemens qu'on voudroit faire, n'éprouveroient plus, sous aucun rapport, les mêmes inconvéniens. Eh: pourquoi toujours des plaintes qu'on pourroit prévenir, et des contradictions qu'on pourroit si aisément s'épargner! On veut, et on a raison de le vouloir, que nos Prêtres de Paroisse soient désintéressés; et l'on ne s'inquiète pas où ils Fourront prendre de quoi vivre et s'entretenir, je ne dis pas avec faste, mais avec décence.

force de l'habitude à celle de l'autorité : cette Loi, si forte et si solide, ce sont les mœurs, les coutumes, et sur-tout l'opinion. Nos Politiques ne connoissent point cette partie, de laquelle dépend le succès de toutes les autres ; mais le grand Législateur s'en occupe en secret, tandis qu'il paroît se borner à des Règlemens particuliers qui ne sont que le cintre de la voûte, dont les mœurs plus lentes à naître, forment enfin l'inébranlable clé «. M. Rousseau.

Sans les mœurs, avoit dit aussi M. de Mirabeau, une légion d'Anges ne gouverneroit pas un État. Sans les mœurs, les ressorts de l'administration la mieux combinée fléchissent et demeurent sans effet dans les mains qui veulent les faire agir ; mais les bons principes font les bonnes institutions, et celles-ci les bonnes mœurs. Quand une société s'abâtardit, n'en cherchez pas le vice dans les raisons physiques ; il est dans le Gouvernement. Toute la vertu du Gouvernement consiste à tenir toutes les parties de la voûte bien ensemble par les mœurs; tout le vice, à les désunir. L'Ami des hommes.

Selon l'excellente remarque de M. de Montesquieu, il ya de mauvais exemples qui sont pires que des crimes; et plus d'Etats ont péri parce qu'on a violé les Mœurs, que parce qu'on a violé les Loix. Causes de la grandeur des Romains, etc. chap. 8.

IBID.

(9) Les richesses ne font pas plus réellement le bonheur et la gloire d'une Nation, si elle ne sait pas en jouir, qu'elles ne procurent, etc. Vous pensez qu'il est très-agréable de multiplier ses jouissances, et, en rassemblant chez soi les richesses et les voluptés des quatre parties du Monde, de se faire, pour ainsi dire, une existence nouvelle et plus étendue ; j'y consens, et je crois que vous n'avez pas tort, quand je ne fais attention qu'aux plaisirs qui accompagnent les richesses et les voluptés. Mais quand j'en considère les suites fâcheuses, quand je vois qu'elles tien

nent nécessairement à plusieurs vices très-pernicieux, qu'elles dégradent l'homme, et contrarient les vues de la Nature; je pense qu'il est bon d'apprendre à se contenter des plaisirs qui sont sous nos mains, et que, pour être véritablement heureux, les Etats, comme les Particuliers, doivent savoir l'être avec sobriété. Ne nous accoutumons pas, je vous prie, à traiter la Nature de marâtre; ce seroit être ingrat, ou ne pas la connoître. Par-tout où elle a placé des hommes, elle a placé, à côté d'eux, le bonheur ; et il ne tient qu'à nous d'en jouir : c'est que le bonheur est bien plus dans nous-mêmes, que dans les objets qui nous entourent; il nait de notre manière de penser; et ce n'est point, croyez-moi, une denrée que les Marchands vendent aux peuples chez lesquels ils trafiquent, qu'ils rapportent pêle-mêle avec du sucre et de la cochenille «. De la Législation, Liv. I, chap. I.

"Ce sont nos passions, et non pas notre raison, dit ailleurs M. l'Abbé de Mably, qui nous ont persuadé que l'argent est le nerf de l'État. Les trésors les plus immenses s'épuisent: on en voit la fin en peu de tems, quand les ames sont mercenaires et avares; et elles le sont toujours, quand l'État a pris le parti de payer en argent les services qu'on lui rend. Comment donc est-il prudent de compter sur les richesses? Plus au contraire on dépense en vertus, si je puis parler ainsi, plus la massse des vertus augmente par l'exemple et l'émulation. La vertu est donc le seul nerf des États; il n'est donc sage que de compter sur elle. Les personnes qui ne parlent que d'étendre le Commerce et d'enrichir l'Etat, ont-elles pesé les avantages et les inconvéniens attachés aux richesses? Ont-elles trouvé, après un calcul bien exact, que les avantages étoient plus considérables que les inconvéniens? en ce cas, je les invite à nous faire part de leurs découvertes. Qu'elies réfutent Platon, Aristote, Cicétous les politiques de l'Antiquité; qu'elles ayent le front de nous dire que Tyr, Carthage, etc. étoient des Républiques plus sagement gouvernées que Lacédémone

ron,

et Rome; que ces deux dernières villes devinrent plus heureuses et plus puissantes à mesure qu'elles devinrent plus riches ; et que les Romains, par leur constitutution, devoient être vaincus par les Carthaginois «. Entretiens de Phocion, septième remarque sur le quatrième Entretien.

En parlant du Commerce, cette source de richesses si préconisée par les uns, trop déprimée par les autres, le Docteur Brown, cité par M. l'Abbé de Mably, s'exprime ainsi : » Je crois que, si l'on veut en étudier la nature et les effets, on demeurera convaincu, que, soit dans ses commencemens, soit dans sa médiocrité, il est très-avantageux à une Nation; mais qu'arrivé à son plus haut période par des progrès ultérieurs, il lui devient réellement dangereux et funeste. D'abord il pourvoit aux nécessités mutuelles des Nations commerçantes, il prévient leurs besoins, il augmente leurs connoissances, il les guérit de leurs préjugés, il y étend les sentimens de l'humanité; ensuite il procure au peuple des agrémens, il multiplie le nombre des citoyens, il fait naître les Sciences et les Arts, il dicte des Loix équitables, il répand au loin l'abondance et la prospérité; mais parvenu enfin à son troisième et plus haut période, il change de nature et produit de tout autres effets; il amène les superfluités avec l'opulence, il engendre l'avarice, il enfle le luxe ; et en même tems qu'il porte parmi les personnes du plus haut rang un raffinement de délicatesse qui achève de les amollir, il corrompt visiblement les principes de toute la Nation «. Observations sur le Gouvernement et les Loix des États-Unis de l'Amérique.

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(10) Pourquoi l'État Monarchique seroit-il incompatible avec la vertu? M. de Montesquieu a du moins prétendu que la vertu n'étoit point le principe du Gouvernement Monarchique. Je sais très-bien, a-t-il ajouté, qu'il n'est pas rare qu'il y ait des Princes vertueux; mais je dis que, dans une Monarchie, il est très-difficile que le peuple le soit.

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