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Pour prouver ce qu'il avance, c'est ainsi qu'il raisonne Dans les Monarchies, la Politique sait faire les grandes choses avec le moins de vertu qu'elle peut; comme dans les plus belles machines, l'art emploie aussi peu de mouvement, de forces, et de roues qu'il est possible. On va loin avec des comparaisons; mais il faut quelque chose de plus pour établir des propositions telles que celle-ci. Il eût été mieux de dire, ce semble, que moins il y aura de vertu dans une Monarchie, moins il s'y fera de grandes choses, et plus mal elles se feront.

L'État, continue-t-il, subsiste indépendamment de l'amour pour la Patrie, du désir de la gloire, du renoncement à soi-même, etc. Mais si ces vertus sont anéanties, si ce feu sacré de l'amour de la gloire et de la Patrie est éteint dans tous les cœurs, l'État conservera-t-il sa force et sa splendeur? Subsistera-t-il long-tems? C'est à l'histoire même des grandes Monarchies que j'en appelle.

Les Loix y tiennent la place de toutes ces vertus dont on n'a aucun besoin. Mais qu'y deviendront les Loix, et quelle force auront-elles, s'il n'y reste aucune vertu ?

L'État vous en dispense : une action qui se fait sans bruit, est en quelque façon sans conséquence. Quoi ! la fidélité, lors même qu'elle ne se manifeste point par des actions d'éclat; la trahison, lorsqu'elle est sourde et cachée, seront sans conséquence pour l'État ! Quoi ! il voudra bien nous dispenser de l'une, et l'autre lui sera indifférente !

Dans les Monarchies, les crimes publics sont plus privés ; c'est-à-dire, choquent plus les fortunes particulières que la constitution de l'État même. Quoi encore, le crime de lèze-Majesté, la félonie, choqueront moins en France la constitution de l'État, que la fortune des Particuliers !

Qu'on lise ce que les Historiens de tous les tems ont dit sur la Cour des Monarques; qu'on se rappelle les conversations des hommes de tous les pays sur le misérable caractère des Courtisans..... Or, il est très-mal aisé que la plupart des Principaux d'un État soient malhonnêtes gens, et que

les inférieurs soient gens de bien. Mais en laissant à part ceux qui ne sont que Courtisans, la vertu ne peut-elle pas être le partage des Grands et de la Noblesse dans une Monarchie; du moins si les principes y sont ce qu'ils doivent être, et sur-tout si le Prince y est vertueux ? Ce qui influe le plus sur la Nation, c'est le choix des gens en place, c'est l'exemple du Monarque, et non les mœurs des Courtisans.

Si, dans le peuple, il se trouve quelque malheureux hon→ nête homme, le Cardinal de Richelieu, dans son Testament Politique, insinue qu'un Monarque doit se garder de s'en servir. Il ne faut pas, y est-il dit, se servir des gens de bas lieu; ils sont trop austères et trop difficiles. Tant il est vrai que la vertu n'est pas le ressort de ce Gouvernement! Sans ramener les difficultés qu'on a formées contre ce Testament, et qui n'ont pas paru suffisantes pour en détruire l'authenticité; quelques paroles du Cardinal de Richelieu, mal citées et mal interprétées, devoient-elles fonder une pareille maxime? Voici comme il s'exprime : >> Une basse naissance produit rarement les parties néces>saires au Magistrat ; et il est certain que la vertu d'une > personne de bon lieu a quelque chose de plus noble que » celle qui se trouve en un homme de petite extraction. Les esprits de telles gens sont d'ordinaire difficiles à > manier; et beaucoup ont une austérité si épineuse, » qu'elle n'est pas seulement fâcheuse, mais préjudicia» ble «. Première partie, c. 4, sec. I. Le célèbre Auteur de l'Esprit des Loix, dit M. de Voltaire, n'a que trop abusé de ce passage. Le prendre dans le sens qu'il lui a donné, c'est faire dire au Testament ce qu'il ne dit pas, c'est citer peu exactement.

Aussi est-ce le reproche qu'on a fait en général à M. de Montesquieu *. M. Dupin, Fermier-Général, qui avoit * Le savant M. Crévier s'en est expliqué en ces termes dans ses Observations sur l'Esprit des Loix, chez Desaint et Saillant. » Les faits sont quelquefois présentés, non pas suivant ce qu'ils sont en eux-mêmes, mais teints de la couleur qu'ils ont prise en passant à travers l'imagination de l'Auteur; le vrai sens des passages cités n'est

une Bibliothèque choisie et très-nombreuse, dont il savoit faire usage, avoit relevé dans une brochure qu'il fit imprimer, beaucoup de fautes en ce genre. M. de Montesquieu alla s'en plaindre à Madame la Marquise de P. au moment où il n'y avoit que cinq ou six exemplaires de distribués à quelques amis. Madame de P. fit venir M. Dupin, et lui dit qu'elle prenoit l'Esprit des Loix sous sa protection, ainsi que son Auteur. Il fallut retirer les exemplaires, et brûler toute l'édition. C'est ce que M. Dupin a raconté lui-même à la personne de qui je

tiens cette anecdote.

Il eût été à dé irer que, dans un Ouvrage de la nature de celui coat il s'agit, l'Auteur n'eût établi son systême et ses principes que d'après des faits, au lieu que, par une marche toute contraire, il s'est vu souvent dans le cas de plier les ci'a'ions et les faits à son systême. M. de Montesquieu paroît avoir fait usage, mais à sa manière, de la République de Bodin, ainsi que d'un Livre Italien de Doria, qui a pour titre la Vita Civile, et qui, quoique diffus, ne laisse pas d'être estimé de bien des Politiques.

IBID.

(11) L'honneur le soutiendra. C'est ainsi qu'en parle M. de Montesquieu : Si le Gouvernement Monarchique manque d'un ressort, il en a un autre. L'honneur, c'est-àdire, le préjugé de chaque personne et de chaque condition, prend la place de la vertu politique dont j'ai parlé, et la représente partout. Il y peut inspirer les plus belles actions ; il y peut, joint à la force des Loix, conduire au but du Gouvernement comme la vertu même. (Dans cette Lettre et ailleurs, on a suffisamment répondu à cela.) Ainsi, dans les Monarchies bien réglées, tout le monde sera à peu près bon Citoyen, et on trouvera rarement quelqu'un qui soit

est toujours exactement rendu; les citations sont négligemment énoncées, etc. «.

homme de bien. En laissant de côté l'à peu près, peut-on ne pas être homme de bien, et être bon Citoyen?

Je crois que M. de Montesquieu auroit parlé d'une manière plus exacte, en posant pour principe général de tout Gouvernement, la Religion et les Mœurs, pour principe particulier de la Monarchie, l'amour des Sujets pour le Monarque, identifié avec leur amour pour la Patrie *.

*» Il en est par rapport aux François, écrivoit à Louis XV le » Maréchal de Noailles, de l'attachement à leur Prince, toujours » inséparable de l'amour du bien public, comme autrefois de l'a»mour de la Patrie, par rapport aux Romains. Tandis qu'il se sou» tint dans la République, il rendit les Romains invincib.es et les » maîtres du monde. Tout fut perdu pour eux, quand il s'affoiblit. »émoires Polit. et Milit, tome 5 » Vous avez trop bon esprit et trop bon cœur, marquoit-il à son fils, pour préférer vos intérets particuliers au service d'un Maftre à qui nous sommes si redevables, et au service de la Patrie «. Ibid. tome IV. Ainsi pense, sur-tout sous les bons Princes, tout vrai Citoyen au sein d'une Monarchie,

LETTRE LII I.

Du même.

Τουτ a réussi, mon père, de la manière la plus favorable aux intérêts de la France et la plus satisfaisante pour moi. Le Monarqué forme avec nous un traité d'alliance, qui nous donne une supériorité trop marquée sur les ennemis, pour ne pas les forcer bientôt à la paix. Il a souscrit à toutes les conditions que je lui ai proposées, et qui concilient parfaitement ses intérêts avec les nôtres. C'est lui-même qui a daigné m'instruire des résolutions de son Conseil et du succès de ma négociation. Il m'a donné en même tems, sur notre séparation prochaine, des témoignages de sensibilité, qui ne me permettront jamais d'oublier les bontés qu'il a eues pour moi, et j'ose dire, l'amitié dont il m'a honoré. J'ai tâché d'y répondre autant qu'il étoit en moi, en lui faisant partager les lumières que j'ai reçues de vous pendant les dernières années de notre exil.

Il m'a remis, dès la première entrevue, sur le même objet que nous avions traité précédemment. Vous m'avez fait assez sentir, m'a-t-il dit, de quelle importance étoient

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