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mais, en la servant dans le grand art des négociations, comme tu l'as servie par les vertus guerrières, tu vas étendre tes vues et les élever vers des objets plus grands encore. Ami des hommes et citoyen du monde, c'est le bonheur de plusieurs peuples que tu peux procurer par la paix; c'est en particulier celui de la France; c'est celui de la Nation avec laquelle on t'a chargé de traiter. Tu y trouveras de sa part de grands obstacles, j'en conviens. Déjà tu rencontres au milieu d'elle, comme par-tout ailleurs, des Courtisans faux et intéressés: tu y vois des Vassaux fiers, puissans, et souvent ennemis de leur Maître; des Sujets jaloux à l'excès d'une ombre de liberté, qui couvre un véritable esclavage, des esprits ombrageux et difficiles à manier: mais ce qui doit animer ton zèle et t'encourager, c'est que ce ne sera point en les divisant que tu procureras l'alliance que nous recherchons ; ce sera au contraire en les réunissant. Il y faut plus de génie et plus d'art sans doute. Mais aussi quels plus grands mérites et quelle plus noble fin pourrois-tu te proposer? Ministre de paix, sous l'ombre mème de faire un traité d'alliance pour la guerre, tu es heureusement appelé à tout concilier. En ménageant le caractère du Monarque et celui d'un petit nombre

d'hommes qui influent sur toute la Nation, en les éclairant sur leurs droits respectifs et sur le prix de l'union et de la concorde, tu leur donneras, pour l'objet que tu envisages, une même impulsion, pour leur accord entre eux une même volonté; et cet État, dont ton premier but est de joindre les forces aux nôtres pour tenir la balance égale, te devra par la suite sa propre tranquillité en assurant celle de l'Europe. Ainsi, mon fils, la politique ne sera point pour toi un art malfaisant, celui de faire oublier aux autres leurs véritables intérêts, pour les plier uniquement à ce que nous croyons follement les nôtres; elle sera, par tes soins et par la droiture de tes intentions, ce qu'elle doit être, l'art de faire du bien aux hommes, en les liant par des vues générales, par un intérêt commun, et en faisant sortir le bien de tous de celui même qui nous est personnel.

Sers - toi, pour obtenir un si précieux avantage, de tout l'ascendant que tu parois prendre sur l'esprit du Monarque. Puisqu'il daigne t'écouter, ne néglige rien pour lui inspirer cet esprit de sagesse et de modération, qui bientôt lui soumettra les esprits les plus rebelles, et lui attachera les cours de tous ses Sujets; ramène-le à ces principes fixes et invariables dont tu sens toute l'im

portance, et qu'il bénisse à jamais les lumiè res que tu lui auras données.

Tes lettres, mon fils, me deviennent plus intéressantes encore qu'elles ne me l'ont été jusqu'ici; elles portent sur de si grands objets ! Détaille-moi tout ce qu'il te sera permis de me rapporter de tes entretiens; tu sais à qui tu les confies. O Valmont ! si j'avois quelque chose à t'envier, ce seroit le noble emploi auquel le Ciel semble te destiner.

LETTRE XLI V.

De la Comtesse de Valmont à son Mari.

L'UNIQUE chose qui pût me consoler, en quittant mon père, mon amie, et en me séparant de mon fils, c'étoit, cher Valmont, l'idée de me rapprocher de la Cour, pour y être plus à portée de veiller sur les sentimens et sur les démarches de M. et de Madame de Lausane. La nouvelle que tu m'avois donnée de ton départ avoit diminué mes craintes, sans pouvoir les dissiper entièrement. Mais, à mon arrivée ici, elles se sont renouvelées plus vivement que jamais, quand on m'a appris que tu avois été attaqué sur la route, et ce qui me surprend, est que tu ne m'en

ayes rien dit dans ta dernière lettre *. Ce silence m'a donné à penser, beaucoup plus que tout ce que tu aurois pu m'écrire. On s'accorde, d'après le rapport d'un des postillons qui t'ont conduit, à rejeter sur une troupe de brigands, dont cette route est infestée, le danger que tu as couru. Je veux le croire, cher époux, et je rends grâces au Ciel de la protection visible qu'il t'a accordée; mais j'ai peine à calmer des soupçons, peut-être injustes, et toutefois bien capables d'alarmer ma tendresse. L'empressement du Vicomte et de son épouse ne m'a point rassurée. Il me paroissoit étrange, après ce que tu m'as marqué, de les voir l'un et l'autre affecter, sur cet évènement, un intérêt et une sensibilité si peu conformes aux dispositions de leur coeur. Le Roi, la Reine, tout ce qui nous environne, tes amis les plus chers, m'ont donné à cette occasion des témoignages éclatans de leur attachement pour toi; mais personne n'a tant insisté que M. de Lausane et son épouse. Je les retrouvois partout attentifs à me prévenir. Ce n'étoient de leur part que félicitations, que

On ne l'a point trouvée parmi les autres. Ce que dit Madame de Valmont, quelques lignes plus bas, montre assez qu'elle n'a pas été bien informée, et cela ne doit pas nous paroître surprenant.

et

protestations réitérées d'une amitié à toute épreuve, qu'épanchemens continuels, démonstrations les plus vives de la joie qu'ils ressentoient de te voir si heureusement échappé à un si grand péril. Sans cesse ils m'interrogeoient sur les lettres que tu m'avois écrites, et s'étonnoient plus que moi de ton silence. Je te l'avouerai, cette affectation m'a déplu. J'ai étudié leur contenance et leurs discours, et j'y ai remarqué je ne sais quoi de contraint et d'embarrassé, qui a porté le trouble dans mon ame. Je ne sais s'ils se sont apperçus de mes alarmes et de ma méfiance; mais depuis quelques jours, ils. ont redoublé de soins et d'attentions pour les faire cesser. Ils te comblent d'éloges; ils relèvent la noblesse, la générosité de tes sentimens. Au lieu de se tenir comme auparavant sur la réserve par rapport au mariage de son frère, le Vicomte s'honore en tous lieux de cette alliance; il ne cesse de m'en entretenir; il en parle souvent à la Reine; il lui tarde, à l'entendre, que tu sois de retour pour se lier le plus étroitement avec nous.

Le Chevalier, qui est revenu de l'armée, paroît lui-même ne compter que très-foiblement sur ces dehors trompeurs. Il connoît assez son frère, pour savoir que les choses, sur lesquelles il se montre le plus ardent,

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