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Tel est, encore une fois, mon respectable père, le fruit de vos leçons. Je n'ai fait que répéter celles que je tenois de vous : et si le Monarque, auquel j'ai été assez heureux pour les faire goûter, devient, comme je l'espère, un grand Roi, c'est à vous qu'il en sera redevable.

J'ai reçu il y a quelques jours des nouvelles de M. de Verzure, qui, par les détails dans lesquels il a bien voulu entrer, me donne la plus grande idée de mon fils. Ce que ce jeune homme a de mérite est encore un de vos bienfaits. Ils se flattoient, l'un et l'autre, de pouvoir me rejoindre dans cette Cour: mais étant à la veille de mon départ, je viens de leur écrire, pour les engager à prolonger leur séjour en Italie.

Je n'aspire plus qu'après mon retour, pour tranquilliser Émilie, et pour unir ma fille au Chevalier de Lausane. Je vous l'avouerai, mon père, je ne serai tranquille moi-même, que quand j'aurai revu mon épouse et Julie. Depuis quelques jours, je ne puis me défendre des plus vives inquiétudes sur la santé d'une fille qui m'est si chère. Après m'avoir fait naître des craintes à cet égard, Émilie ne m'en dit rien dans la dernière lettre *

*Retranchée comme tant d'autres, qui n'auroient rien appris de nouveau.

que

que j'ai reçue d'elle; et son silence m'effraie beaucoup plus que tout ce qu'elle auroit pu m'écrire.

NOTES.

PAGE 161.

(1) L'éducation publique se prend sur-tout dans les Colléges; et ici encore quelle influence peut avoir le Législateur! etc. Voici à ce sujet quelques réflexions, qui m'ont paru dignes d'être rappelées à l'attention du Gouvernement, à cause des vues excellentes qu'elles renferment, et de celles auxquelles elles peuvent conduire. Tout le monde sait, par sa propre expérience, que l'habitude est une seconde nature, et que nos opinions, nos sentimens, nos choix, nos actions, nos projets, nos entreprises, se forment sur des habitudes, qui sont fondées elles-mêmes, tantôt sur des opinions vraies, c'est-à-dire, sur la réalité, tantôt sur des opinions fausses, c'est-à-dire, sur l'imagination et sur l'illusion, et par conséquent tantôt justes, tantôt prudentes, et tantôt imprudentes «. > Tout le monde convient, d'un côté, que les habitudes bonnes ou mauvaises, acquises durant les neuf ou dix années d'éducation, influent beaucoup sur le reste de la vie ; et de l'autre, que l'âge où il est le plus facile de donner aux hommes des habitudes, c'est l'âge de la jeunesse, dans lequel il n'y a point de longues habitudes mauvaises à combattre et à détruire avant que de pou voir établir les bonnes.

Tout le monde convient que les habitudes les plus importantes au bonheur d'un Élève, au bonheur de ses parens, au bonheur de la nation, ce sont les habitudes à la vertu, c'est-à-dire, l'habitude à craindre de faire tort, de faire mal à quelqu'un, de lui faire injustice de peur Tome V.

I

de déplaire à Dieu, et l'habitude de faire du bien aux autres pour lui plaire.

» Tout le monde convient qu'il y a beaucoup de connoissances qui seroient beaucoup plus utiles aux Ecoliers que celles qu'on leur donne présentement ;........ et qu'il est raisonnable d'employer, dans l'éducation des enfans, plus ou moins de tems aux habitudes et aux connoissances, à proportion que ces habitudes et ces connoissances peuvent leur être utiles pour augmenter leur bonheur et le bonheur de leurs parens et de leurs concitoyens.

Tout le monde convient que, si la Cour, par un Bureau de gens sages, érigeoit tous les Colléges des garçons et des filles du Royaume, sur un plan d'une pratique vertueuse, et incomparablement plus utile à la société que celui que l'on suit présentement, tous les emplois publics, au bout de cinquante ans, se trouveroient remplis d'hommes incomparablement plus vertueux qu'ils ne le sont; et les familles, de femmes plus vertueuses et de domestiques plus raisonnables. On yerroit incomparablement plus de justice et de bienfaisance, soit parmi les Officiers de guerre, grands et petits, jeunes et vieux, soit parmi les Magistrats, soit parmi tous ceux qui ont quelque supériorité ou commandement.

"Or, si l'on voyoit incomparablement plus de justice et de bienfaisance parmi les hommes, n'est-il pas évident que l'on y verroit incomparablement plus de bonheur dans cette vie?

» La bonne éducation est le moyen le plus efficace que nous propose la Providence, pour opposer avec succès la force de l'habitude, c'est-à-dire, la force d'une seconde nature, juste, bienfaisante, éclairée, patiente, à la force de la première nature, ignorante, imprudente, injuste : et de là il suit que la bonne éducation de la Jeunesse est une des plus importantes parties de la police d'un État

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D'après ces réflexions, l'Abbé de Saint-Pierre suggère plusieurs questions importantes, qu'un Bureau du Conseil, établi pour cet objet, pourroit proposer aux Princi

paux des Colléges, afin d'avoir leurs réponses et leurs avis, et de parvenir ainsi à une nouvelle méthode d'éducation, plus sage et plus utile que celle qui a eu lieu jusqu'ici. Voyez les Rêves d'un homme de bien qui peuvent êtro réalisés. Un volume in-12, chez la Veuve Duchesne, 1777.

Il y a assez long-tems que nous nous endormons sur de si grands objets; et, si les réflexions les plus sages ne sont encore que des rêves, tâchons du moins de les réaliser en nous réveillant.

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(2) Ce n'est pas qu'à tout prendre, l'éducation des pert sonnes du sexe soit moins importante que l'autre ; car on në sauroit dire combien les femmes influent en bien ou en mal sur toute la nation. Plus les usages et les mœurs publiques laissent aux femmes de liberté, plus elles se trouvent mêlées avec les hommes, plus ils leur accordent une sorte d'empire; et plus aussi leur éducation doit exciter l'attention du Législateur, à proportion de l'activité et de la force avec laquelle elles réagissent sur les mœurs. Si la vertu est nécessaire dans tous les États, comme il paroit assez par ce qui a été dit dans la Lettre précédente, on doit appliquer, à tout espèce de Gouvernement, les réflexions que fait M. de Montesquieu sur la vertu des femmes dans les Républiques.

Il y a tant d'imperfections attachées à la perte de la » vertu dans les femmes, toute leur ame en est si dégra➡ dée, ce point principal ôté en fait tomber tant d'autres, » que l'on peut regarder, dans un État populaire, l'incontinence publique, comme le dernier des malheurs » et la certitude d'un changement dans la constitution.

» Aussi les bons Législateurs y ont-ils exigé des fem>mes une certaine gravité de moeurs. Ils ont proscrit de » leurs Républiques, non seulement le vice, mais l'apparence même du vice. Ils ont banni jusqu'à ce.com» merce de galanterie, qui produit l'oisiveté, qui fai »que les femmes corrompent avant même d'être corrom

pues, qui donne un prix à tous les riens et rabaisse ce » qui est important, et qui fait que l'on ne se conduit plus » que sur les maximes du ridicule que les femmes entendent si bien à établir «. Esprit des Loix, liv. 7, chap. 8. Pour prévenir de si grands maux, pour former des ames nobles, élevées, bienfaisantes, chastes et pures, de dignes épouses, des mères de famille éclairées sur tous leurs devoirs et attentives à les remplir; pour préserver les personnes du sexe de l'orgueil, de la fierté, de l'esprit de vanité et de coquetterie, du goût excessif de la parure et des frivolités, de l'esprit de dissipation et de désœuvrement; que de choses à désirer, que d'abus même à réformer dans l'éducation qu'on leur donne au sein de bien des Communautés ! Le défaut d'instructions solides, le défaut de culture suffisante du côté de l'esprit et du cœur, le trop de recherche des agrémens futiles, le manque de simplicité, l'ignorance des devoirs domestiques : tels sont les écueils où l'on vient échouer, pour l'éducation des filles, dans la plupart des Couvens; et il ne seroit pas impossible sans doute qu'on y apprît à s'en garantir.

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Quoi qu'il en soit, » Vous n'avez rien fait, dit l'Auteur de la Législation, si vous négligez l'éducation des femmes. Il faut choisir ou d'en faire des hommes comme à Sparte, ou de les condamner à la retraite. Si vous ne leur donnez pas la force, le courage, et l'élévation dont je parle, elles vous communiqueront toutes leurs foiblesses... Élevez les jeunes filles à la modestie et à l'amour du travail. Formez leurs premières mœurs, de façon qu'elles n'ambitionnent point d'autre gloire que celle d'être d'excellentes mères de famille. Si elles sont oisives dans leur maison, la retraite leur paroîtra insupportable ; et dès que la dissipation leur sera nécessaire, elles aimeront toute autre chose que leur mari et leurs enfans «. Liv. 42 chapitre T.

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