Images de page
PDF
ePub
[ocr errors][merged small]

(3) Je pourrois demander s'il y auroit des pauvres sans ce luxe destructeur, qui arrache le nécessaire à tant d'hommes, pour fournir à quelques autres le superflu. Sembla

ble à ces vents brûlans du midi, qui, couvrant l'herbe et la verdure d'insectes dévorans, 6tent la subsistance aux animaux utiles, et portent la disette et la mort dans tous les lieux où ils se font sentir; le luxe, dans quelque État, grand ou petit, que ce puisse être, pour nourrir des foules de valets et de misérables qu'il a faits, accable et ruine le laboureur et le citoyen. Sous prétexte de faire vivre les pauvres qu'il n'eût pas fallu faire, il appauvrit tout le reste, et dépeuple l'État tôt ou tard «. M. Rousseau..

» Le luxe nourrit cent pauvres dans notre ville, et en fait périr cent mille dans nos campagnes. Le laboureur n'a point d'habits, précisément parce qu'il faut du galon aux autres. Il faut des jus dans nos cuisines; voilà pourquoi tant de malades manquent de bouillon. Il faut dẹs liqueurs sur nos tables; voilà pourquoi le paysan ne bojt que de l'eau. Il faut de la poudre à nos perruques ; voilà pourquoi tant de pauvres n'ont pas de pain «. Ibid.

Que de sens dans ce mot attribué à une femme du peuple, qui, voyant l'habillement simple et modeste d'un des plus grands Monarques voyageant parmi nous, lui dit avec transport: Heureux les peuples qui paient les galons de vos habits!

Il ne seroit peut-être pas hors de propos d'observer ici que le luxe établit au dehors, par la seule recherche des choses rares et étrangères, une balance de commerce, qui n'est que trop. souvent à notre désavantage. « Les seuls véritables moyens d'empêcher le transport des espèces, écrivoit autrefois un homme vraiment respectable, qu'on n'accusera pas d'avoir manqué de lumières sur cet objet, c'est de modérer le luxe et la fureur pour les manufactures étrangères, et de les modérer encore plus par l'exemple du Prince et de la Cour que par les

Loix, afin que, la France tirant moins de l'étranger qu'il ne tire d'elle, elle ne soit pas débitrice; que par consé. quent le change ne nous soit pas désavantageux, et qu'il ne faille point faire sortir d'argent pour solder le compte ". Dernière partie du Mémoire du Duc de Noailles sur les Finances, inséré dans l'Ouvrage de M. de Forbonnais sur la même matière «. Voyez Mémoires Politiques et M litaires, tome V, p. 115.

IBID.

(4) Qu'on voie donc si l'on peut allier les mœurs avec le luxe, etc. Combien est digne de mépris la politique de ces prétendus Philosophes, qui nous vantent éternellement le luxe! Ils regardent comme un grand bien, les dépenses impertinentes des riches; mais n'est-ce pas un mal qu'il y ait des riches qui fassent des dépenses impertinentes ? Elles font vivre les pauvres. Mais remédier à la misère des pauvres par la folie des riches; c'est réparer une faute par une faute; c'est en faire deux. Les riches feroient mieux d'enfouir leur or; ils ne rendroient méprisables qu'eux; et ils rendent vicieux ceux qui les envient, qui les admirent, ou qui veulent les imiter. Les Anciens pensoient plus sensément que nous ; dans aucun de leurs écrits vous ne trouverez l'éloge des richesses, ni P'absurde apologie du luxe. On éprouve je ne sais quelle amertume dans l'ame, et on sent naître cependant sur ses lèvres un rire de pitié, quand on voit des États se plaindre de leur corruption, et se tourmenter en même tems pour augmenter leurs richesses et encourager le Juxe. De la Législation, l. 2, ch. 2.

L'Auteur d'un Ouvrage fait en saveur du luxe, a dit : Il faut se faire une morale qui puisse aller avec le luxe". Cette maxime est très-commode; mais n'eût-il pas mieux fait de dire il faut se défaire du luxe comme contraire à toute Morale, le restreindre du moins, autant qu'on le pourra, dans l'état présent des choses, et régler nos opinions sur celles qui favorisent les mœurs 2

» Henri IV, qui pensoit bien et avec beaucoup de justesse, regardoit avec raison le luxe, dont le luxe seul peut faire l'apologie, comme le fléau des États, dont il prépare la ruine et annonce la décadence. Voyant que tous les Édits portés contre le luxe, devenoient inutiles, il en rendit un enfin, dans lequel, après avoir expressément défendu à tous ses sujets de porter ni or ni argent sur leurs habits, il ajouta : » Excepté pourtant aux filles de joie et aux filoux, en qui nous ne prenons pas assez d'intérêt, pour leur faire l'honneur de donner notre attention à leur conduite n. Journal Encyclopédique.

PAGE 168.

(5) En attachant.... les distinctions les plus flatteuses, les prérogatives les plus honorables, au patriotisme de ceux qui se signaleroient par le digne emploi de leurs richesses au profit du bien public «. Le luxe, faute de bonnes loix, va s'établissant dans tous les États riches : et tout cela vient de ce que, dans ces États, les Législateurs n'ont point encore fait enseigner à leurs Sujets, dans leur éducation, les dépenses plus ou moins honorables, plus ou moins méprisables, et fait des loix conformes à ces premiers enseignemens.....

Le but d'un bon Gouvernement, c'est de procurer aux sujets deux choses difficiles à concilier. La première est l'augmentation du travail; car c'est le travail qui produit le surperflu dans les Etats: la seconde, c'est le bon usage de ce superflu. Le mauvais usage du superflu, est ce que j'appelle luxe. Or, le luxe est chez ceux qui n'ont pour but, que d'être distingués entre leurs pareils par des dépenses de pure ostentation, et inutiles ou peu utiles aux autres, tandis qu'ils pourroient faire grand nombre de dépenses beaucoup plus honorables pour eux, et très-utiles à leurs concitoyens. Mais il nous manque des loix qui honorent suffisamment les dépenses utiles au public, à proportion de leur utilité *; et qui jettent en

* C'est dans cette proportion, et selon les différentes classes de

même tems du mépris sur les grandes dépenses vicieuses, qui sont presque inutiles aux autres, en comparaison des dépenses vertueuses.

"C'est faute de ces loix sages, que les plus riches États 'ont péri, par le mauvais usage de leur superflu. C'est faute de pareilles loix, que la République Romaine, devenue riche, s'est corrompue au point que les Romains n'avoient presque plus de respect pour de grands hommes pauvres, ni aucun mépris pour les riches qui menoient une vie fainéante et pleine de vices. C'est faute de pa- · reilles loix, qu'ils donnoient des louanges aux folles somptuosités de Lucullus et à d'autres dépenses vaines, méprisables, et même souvent honteuses et injustes....

Il est vrai qu'il y eut quelques loix somptuaires; mais elles furent très-mal faites. Il falloit des marques publiques de mépris, pour ceux qui y contrevenoient; il falloit des marques d'honneur pour ceux qui donnoient, soit pendant leur vie, soit après leur mort, à certaines communautés, destinées à augmenter la commodité et l'utilité du public, comme hôpitaux, colléges, académies, grands chemins, ports, canaux, etc. Aussi, ces loix somptuaires ne furent point exécutées, et ne purent jamais être regardées que comme de bons désirs de Législateurs peu habiles «. L'Abbé de Saint-Pierre. Voyez tout l'article sur le luxe dans les Rêves d'un homme de bien qui peuvent être réalisés, p. 225 et suiv.

IBID.

(6) Le pauvre seroit mis en œuvre par le riche, non pour des objets futiles, mais pour l'État qui y gagneroit en tout sens. Feu M de.... un an avant sa mort, disoit à M....

[ocr errors]

bienfaits, qu'on établiroit les récompenses, telles que » statues, dit >> le même Écrivain, peintures, médaillons, inscriptions, monu

mens, louanges enregistrées, louanges imprimées, suivant le jugement public du Bureau qui auroit, dans sa direction, la dis»tribution des honneurs publics «, que l'on pourroit étendre sur Tous les actes de vertus héroïques et signalés.

1

à l'égard des dépenses qu'il faisoit à..... Je suis sur le seizième million, et c'étoit à vingt-huit livres le marc. Il est vrai que les quinze millions étoient à lui. Il est vrai que cent sortes d'ouvriers ont gagné cet argent, durant quinze ou vingt ans. Mais quand on fait réflexion, que ces énormes dépenses n'aboutissent qu à une petite augmentation du plaisir d'un particulier, ou de quelques particuliers en petit nombre; tandis que cette même dépense pourroit être employée à rendre la Seine plus navigable en été ; et en hiver à donner plus de fontaines de l'eau de la Seine, dans les fauxbourgs de Paris, par des pompes sur les ponts ; à donner plus de places de marchés, pour débarrasser les rues; à des pavés, à des ponts, à des ports, à des colléges dans les divers quartiers de Paris *; à des hôpitaux dans les Provinces, qui diminueroient considérablement les maux et augmenteroient de beaucoup les biens d'une infinité de personnes, et qui feroient incomparablement plus d'honneur au maître de ces richesses et à sa famille, que les fades louanges que quelques complaisans donnent à sa magnificence et à son goût : alors je trouve cette dépense de quinze millions, pour une maison de campagne, d'un homme puissamment riche, très-mal placée pour sa réputation. Faire travailler une grande quantité d'ouvriers

* Disons-le encore, à un hospice où l'on recevroit de jeunes personnes exposées, au sein même de leur famille, ou par quelque autre circonstance, à des dangers évidens. Deux particuliers, revenus de leurs égaremens, offrirent autrefois 2c0,000 liv. pour commencer un pareil établissement On ne les accepta pas, et leur zèle est resté inutile. Mais, depuis ce tems-là, que de nouveaux asyles ouverts à la prostitution et au libertinage!

Je sais quelqu'un qui a eu le bonheur d'arracher plus d'une fois de jeunes personnes aux périls les plus pressans, et à la séduction de parens mêmes, qui, par les droits du sang et de la nature, devoient veiller de plus près à leur éducation. Le Magistrat respectable, chargé alors de la Police, autorisa, par les ordres les plus précis et les précautions les plus sages, des démarches de ce genre, très-difficiles et tris-délicates. De quelle ressource ne seroient pas, en pareil cas, des maisons de refuge, telles qu'il s'en trouve en Italie, sous le nom de Conservatoires?

« PrécédentContinuer »