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s'accoutument enfin à mépriser les loix. Quand une loj est tombée dans l'oubli, et qu'on la renouvelle, il semble que ce ne soit que par caprice, et on ne prend presque jamais les mesures nécessaires pour empêcher qu'elle n'éprouve une seconde disgrace *. Un État qui n'a point d'objet fixe, ou qui ne consulte pas la nature des choses, doit nécessairement beaucoup multiplier ses loix, parce qu'il n'agit que relativement aux circonstances dans lesquelles il se trouve, et que ces circonstances changent et varient continuellement. C'est un grand malheur, quand les loix sont en si grand nombre, qu'on ne daigne plus s'en instruire, et qu'elles sont pour la plupart ignorées de ceux mêmes qui font une étude du Droit Public et de la Jurisprudence d'une nation. La coutume et la routine usurpent alors l'autorité qui n'appartient qu'aux loix; et c'est le propre de la coutume et de la routine de n'avoir rien de fixe, et, en se prêtant aux évènemens, d'ouvrir la porte aux injustices les plus criantes.

» Multiplier les Magistrats n'est pas une chose plus salutaire que de multiplier les loix. Moins ils sont nombreux, plus on est porté naturellement à les respecter, et plus ils sont eux-mêmes attentifs à remplir leurs devoirs. Créer de nouveaux Magistrats dans une République dont les loix et les mœurs se corrompent, ce n'est souvent qu'y introduire de nouveaux abus et donner des protecteurs à la corruption. En général il est inutile de prétendre avoir de bons Magistrats, si on n'a pas com

* Il y a dans l'Esprit des Loix un chapitre sous ce titre: Combien, pour les meilleures Loix, il est nécessaire que les esprits soient préparés. Liv. 19, chap. 2.

Il faut d'ailleurs se souvenir de ce qu'a dit, dans un autre endroit, M. de Montesquieu : » Lorsqu'un Prince veut faire de grands changemens dans sa Nation, il faut qu'il réforme par les Loix ce qui est établi par les Loix, et qu'il change par les manières ce qui est établi par les manières et c'est une très-mauvaise politique de changer par les Loix ce qui doit être changé par les manières «‹. Liv. 19. thap. 14.

mencé par donner de bonnes mœurs aux Citoyens «. Entretiens de Phocion.

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(14) Qu'elles soient claires, précises, prises dans la nature, et qu'elles ne laissent rien à l'arbitraire. A en juger par ces caractères, combien, dans la plupart des États de l'Europe, les loix civiles et criminelles sont imparfaites ! Louches, embarrassées, opposées quelquefois au droit naturel * dans mille circonstances opposées entre elles, que peut-on en attendre, sinon qu'en Justice réglée, les titres les plus clairs soient éludés par les détours de la chicane, et deviennent inutiles par ses frais ou par ses longueurs ? Aussi ne voit-on le plus souvent que des directions où le créancier est ruiné, en attendant qu'on ait jugé sa créance ; que des procès interminables, ou qui, à la faveur de tant de loix contraires, ne se décident qu'au gré de la passion et du caprice; et, pour le dire en un mot, qu'une justice souvent bien injuste. Avouons - le, puisqu'aussi bien la vérité nous y contraint; à en juger par leur code civil, moral, et politique, toutes les nations sont encore bien barbares,

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(15) Dans le Corps politique, après la Religion et les Mœurs, rien n'est plus sacré que la propriété. » Dans tout État où la propriété est une fois établie, il faut la reʼn garder comme le fondement de l'ordre, de la paix, et » de la sûreté publique «. De là Législation, liv. I, ch. 4.

n

* Selon une des plus sages maximes de Constantin, on doit avoir plus d'égard à l'équité naturelle qu'au droit positif et rigoureux. Ce Prince se réservoit néanmoins la décision des cas où l'on ne pourroit les concilier. La Législation, dit M. l'Abbé Millot, ne devroit en laisser aucun.

Cicéron s'exprimoit ainsi sur la Loi: Est Lex justorum injustorumque distinctio, ad illam antiquissimam et rerum omnium principem, pressa naturam, ad quam leges hominum diriguntur, que supplicie improbos afficiunt, defendunt ac tuentur bonos, De Leg, 1, 2, c. 13.

» Une assemblée d'hommes n'est société, qu'en tant que tous les individus qui la composent, ou le plus grand nombre qui impose aux autres, se trouvent intéressés au maintien de cette société. Une foire, par exemple, n'est qu'une assemblée momentanée, d'où chacun est prêt à s'éloigner, et qui ne subsiste qu'autant de tems que chacun des assistans a quelque intérêt, ou de commerce, ou de curiosité, à s'y tenir. L'intérêt tombant, ou cédant au plus fort intérêt de la retraite, l'assemblée se dissout d'elle-même. Pour faire une assemblée plus longue et plus durable, il faut un intérêt plus durable aussi : pour en faire une permanente, il faut un intérêt permanent. Cela posé, cherchons quel peut être l'intérêt le plus permanent, et nous aurons trouvé le plus fort lien de la société.

"Je n'imagine pas d'intérêt plus permanent que la propriété. Tout ce que l'homme possède en propre est à lui au présent et au futur. Il est des propriétés que nous tenons de la nature, celle de notre personne, par exemple. L'horreur que nous inspirent les noms seulement de viol et d'esclavage, quoique la chose ne diffère que dans la volonté, et nullement dans le fait, d'autres objets qui ne nous effraient point; cette horreur, dis-je, est une preuve de sentiment de cette vérité, que notre personne est à nous, et que tout attentat contre cette propriété est un sacrilége.

Puisque la propriété nous est chère, il convient de l'étendre sur tout ce qu'il convient de nous rendre cher. Il faut que notre père, que notre femme, que nos enfans soient à nous, parce que plus ils sont à nous, plus ils nous seront chers; et s'il convient de nous attacher à un territoire, il faut qu'il nous devienne propre : ainsi du reste. Ce désir de propriété est, on le sait, extensible à l'infini; mais il est aussi malléable. Nous sommes susceptibles de bien des formes d'intérêts, tous résultans de la propriété, tous proportionnés au degré de propriété qu'on sauroit attribuer à la chose. Ainsi, la Ville, la Province où je suis né, la Patrie, l'État entier, peuvent me devenir

chers, en proportion de ce qu'on saura fondre dans ces objets plus ou moins de mon penchant à la propriété.

Que penser des Gouvernemens dont toutes les démarches, toutes les maximes sembleroient tendre à désintéresser le Citoyen, non seulement de la chose publique, mais encore de la sienne particulière, en altérant et déconcertant chaque jour dans le fait la propriété?.....

La propriété est donc la base et le lien principal de la société. On dissertera, on disputera tant qu'on voudra sur la nature des Gouvernemens ; je n'en connois que deux sortes, l'un solide et prospère; c'est celui qui tend au respect et au maintien de la société ; l'autre périssable et malheureux; c'est celui qui attaque et viole la propriétété «. L'Ami des Hommes, tome 4.

Mais si, comme on vient de le dire, la propriété est la base, ainsi que le lien le plus fort et le plus durable de la société; s'il convient de l'étendre sur tout ce qui doit particulièrement nous intéresser ; si le lieu de notre paissance, si notre Patrie, si l'État tout entier nous deviennent d'autant plus chers, qu'on a su nous y attacher plus étroitement par notre penchant même à la propriété, il s'ensuit assez clairement, ce me semble, qu'on ne sauroit trop réfléchir sur les deux moyens qu'on a proposés pour rendre propriétaires, autant qu'il se peut, au sein de nos campagnes, le peuple même; c'est-à-dire, la portion de l'État la plus considérable, et par cela même la plus impor tante. L'un de ces moyens, a-t-on dit, est entre les mains du Gouvernement; c'est le partage des Communes (en évitant d'ailleurs tous les inconvéniens, tels que le manque de pâturages, et autres semblables, qui pourroient en résulter) : l'autre est entre les mains des particuliers; c'est le partage des fermes en lots de terre plus ou moins cousidérables, loués à des paysans qui les font valoir; ce qui ne peut, il est vrai, s'exécuter facilement que dans les lieux où il y a de l'argent, et où le paysan est solvable. Le Journal de Paris a parlé des mesures que les États d'Artois ont prises il y a quelques années, relativement

aux partages des Communes. Il a parlé aussi du succès qui a couronné les vues bienfaisantes de M. le Maréchal de Mouchy, lorsqu'il a vivifié une de ses Terres en en partageant une ferme générale, et la donnant à cultiver à tous les paysans qui lui en ont demandé quelque partie. Mais pour offrir un exemple frappant de la réunion de ces deux moyens dans une même personne, on peut citer celui de M. d'Aguesseau, Doyen du Conseil, qui les a employés tous deux. Il a fait usage du premier dans sa Terre de Fresne, après avoir obtenu le consentement de la Communauté, et s'être fait autoriser par le Conseil. Un Arpenteur, aidé de quatre députés choisis par les habitans, a levé le plan de la Commune, et a fait le partage. Chaque habitant est devenu propriétaire sous le joug d'une substitution perpétuelle. Nul ne peut aliéner sa portion, dont le revenu seul est saisissable par les Créanciers, et pour la vie seulement. A la mort de l'Usufruitier, la portion se partage entre les enfans, pourvu que chaque part puisse être d'un demi-arpent', sinon elle est possédée par indivis, à moins que l'aîné ne récompense ses frères. Dans tous les cas, la veuve jouit, sa vie durant. Aujourd'hui cette Commune, que les bestiaux fouloient, sans y trouver de quoi pâturer, est devenue une suite de jardins aussi bien cultivés que les marais de nos fauxbourgs. Elle est traversée par un sentier de droite et de gauche ; on voit les petites portions entourées de haies et de fossés ; on y cultive du chanvre, du lin, du bled, des légumes de toute espèce. On y voit même des arbrisseaux à fleurs. M. d'Aguesseau a employé avec autant de succès le second moyen dans sa Terre de Précy. Après l'expiration du bail d'une ferme qui faisoit presque tout le revenu de ́cette Terre, il a éconduit le Fermier, et a proposé des lots de terre aux paysans qui en voudroient prendre à bail. Presque tous se sont présentés, et on n'étoit embarrassé que de trouver de quoi entretenir tout le monde. L'un a pris dix arpens, l'autre cinq, l'autre quatre; et depuis trois ans que cet arrangement a lieu, le Proprié

taire

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