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n'aurai plus à craindre pour Valmont ; ses ennemis l'oublieront enfin. Il ne risquera plus d'être la victime d'une injuste haine ou d'un fol amour. Les noirceurs du crime ne me feront plus trembler pour sa vie. Bornée à lui plaire, à prolonger vos jours par mes soins et par mes caresses, à former sur vos exemples et sur ceux de mon mari les vertus de mes enfans, je jouirai avec transport de la paix et du bonheur... Hélas! trop flatteuse espérance, pourquoi me trompez-vous? Non, non, ce n'est point ici le terme marqué à nos épreuves. La haine qui nous poursuit veut une autre vengeance, et compte pour trop peu de chose les maux qu'elle nous a faits.

Dans peu, vous serez instruit de notre sort. La Reine, toujours sensible et compatissante, s'intéresse pour nous. Mais que peut son crédit contre les complots des méchans? Ah! que du moins, en me portant à detester leur injustice, ils ne prennent jamais assez d'empire sur moi pour me faire oublier ce que je dois à la Religion que je professe, et pour me forcer à les haïr.

LETTRE L X.

Du Comte de Valmont au Marquis.

Nous ne sommes point assez heureux, mon père, pour qu'il nous soit permis d'aller vous rejoindre. Mais un autre genre de bonheur me console. On me laisse encore les moyens de faire du bien.

C'est dans mon Gouvernement que le Prince m'envoie; et je regarde cette sorte d'exil, moins comme une disgrâce que comme la plus précieuse faveur. Quelle satisfaction pour moi d'aller remplir, dans la Province qui m'a été confiée, le plus touchant de tous les devoirs! Dans le peu de tems que j'y ai passé, je n'ai pu juger de sa situation et de ses besoins, que d'après un coup d'oeil bien rapide; mais ce que j'en ai vu m'a éclairé sur la nécessité d'y faire un plus long séjour. Je me proposois de supplier Sa Majesté de me laisser libre d'y retourner, dès que ses affaires me le permettroient. Elle a prévenu ma demande, et rempli mes vœux sans le savoir.

Vous désirez, sans doute, mon père, que, reprenant les choses de plus loin, je vous

instruise des causes de mon éloignement, et, à proprement parler, de mon exil. J'ai su par vous-même, que M. de Verzure vous avoit confié ce que je n'avois d'abord osé écrire que pour lui seul *. La crainte de vous trop alarmer dans les premiers tems qui ont suivi ce triste évènement, m'avoit porté à vous le cacher, jusqu'à ce que ce digne ami, plus éclairé par les circonstances, crût ne rien risquer à vous l'apprendre.

La conduite que j'ai tenue dans des momens si critiques, auroit dû ramener M. de Lausane à des sentimens plus honnêtes : elle ne lui inspira que plus de circonspection dans ses procédés. De retour de ma négociation, nos premières entrevues furent telles qu'elles pouvoient l'ètre avec un caractère aussi dissimulé que l'est le sien. On eût dit, à l'entendre, que je n'avois point de meilleur ami que lui, et qu'il m'avoit rendu auprès du Roi, pendant mon absence, les plus grands services. Il chercha mème, dans un entretien secret, à faire retomber sur le Marquis de L.... le crime de ceux qui avoient attenté sur mes jours. C'étoit lui, à en croire le Vicomte, qui avoit séduit un des domestiques de la Vicomtesse, à l'instant où elle venoit de le chasser de sa maison: sans la crainte de per* Voyez la trente-neuvième Lettre.

dre toute une famille aussi distinguée que celle du Marquis, en lui imprimant une tache ineffaçable, M. de Lausane en savoit assez, disoit-il, pour le convaincre de toutes ces noirceurs, et lui faire faire son procès. Ne voulant paroître ni rejeter ni admettre cette justification mal-adroite et ce tissu d'impostures, je brisai sur ce sujet ; et le Vicomte feignit de croire qu'il m'avoit persuadé. Il ne cessa depuis ce moment, et à mesure que Julie s'affoiblissoit, de me presser sur le mariage de son frère. La Vicomtesse joignoit ses instances aux siennes. Aussi dissimulée que son mari, elle avoit pris avec moi le ton de l'amitié et de la décence, et sembloit avoir oublié la haine qu'elle m'avoit jurée et les menaces qu'elle m'avoit faites.

Dans ce même tems je reçus, du Monarque auprès duquel on m'avoit envoyé, une lettre écrite de sa main, par laquelle il m'avertissoit de me défier du Vicomte, qu'il soupçonnoit d'être en relation avec ceux des principaux Seigneurs de sa Cour qui s'étoient ligués contre l'État et contre lui. Cet avis n'étoit que trop bien fondé. Peu de jours après la mort de ma fille, M. de Lausane, ne croyant plus avoir rien à ménager, me fit appeler dans le cabinet du Roi; et après un propos assez peu mesuré, que je ne m'empressai

point de relever, il lut, en présence de sa Sa Majesté, une lettre d'un des conjurés, par laquelle on m'accusoit d'avoir trahi les intérêts de mon Souverain, en empèchant une révolution, qui non seulement lui eût procuré les avantages qu'il s'étoit promis, et que j'avois, disoit-on, si difficilement obtenus, mais qui de plus lui eût assuré, dans le démembrement qui devoit se faire de quelques possessions éloignées, un riche et vaste pays sur lequel la France pouvoit former des prétentions. J'entendis cette lecture de sang-froid; et dès qu'elle fut finie, m'adres sant au Roi avec toute la confiance que m'inspiroit la cause que j'avois à défendre, je lui rappelai tout ce que je lui avois écrit dans le tems, sur l'injustice qu'il y auroit eu à se prévaloir des circonstances, contre le Monarque même avec lequel je traitois en son nom; sur les véritables intérêts des Princes entre eux et relativement à des sujets rebelles; sur les conséquences de la violation du droit des gens qui ne laisseroit plus de principes fixes de Souverain à Souverain, de Nation à Nation, et qui n'offriroit plus rien sur quoi l'on pût compter : je lui fis sentir d'ailleurs le peu de fond qu'il y avoit à faire sur des hommes, qui, devenus perfides envers leur Prince et leur Patrie, n'au

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