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nouvelles de mon fils. Il falloit tous les soins d'un guide aussi sage, pour l'aider à modérer sa douleur. Elle se calme insensiblement, et ne le met pas du moins, comme je le craignois, hors d'état de continuer ses voyages, jusqu'au tems où il sera obligé de rejoindre l'armée.

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Du Marquis au Comte de Valmont. C'EST hier, mon fils, qu'est arrivé le triste

cortège qui nous amenoit le corps de Julie. De tous les lieux d'alentour on accouroit en foule sur son passage, pour lui donner des bénédictions et des regrets. On se pressoit autour de son cercueil, et on l'arrosoit de ses larmes. De tous côtés nous n'entendions que des gémissemens et des sanglots, nous ne voyions que le spectacle de la désolation et de la douleur. Cruels momens pour Madame de Veymur, pour Hortense, et pour moi! Chère Julie! que de pleurs tu as fait répandre! Aujourd'hui, mon fils, le tendre souvenir des qualités qui brilloient en elle, l'idée toujours présente de cet assemblage si parfait et si rare de la beauté, des grâces, Tome V.

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et des vertus, voilà ce qui nous occupe, ce qui nous absorbe tout entiers. Insensibles à tout le reste, nous avons appris avec une sorte d'indifférence ton éloignement de la Cour. De quelque nom qu'on l'appelle, non, cher Comte, non, ce n'est point une disgrâce. Remplis ta destinée, fais des heureux: un jour viendra, où, en dépit de l'envie, tu le seras toi-même.

Quelle école, cher Valmont, que celle du monde ! Et quelle source d'instructions, pour l'ame attentive et fidèle, que cette contrariété d'évènemens qui mélange le cours de notre vie! Ne crains plus de me faire partager tes peines. Avec l'aide du Seigneur, je me sens encore assez fort pour les porter avec toi.

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De la Comtesse au Marquis de Valmont.

TOUJOURS remplie des mêmes sentimens à notre égard, toujours disposée à rendre justice à Valmont, la Reine n'a vu qu'avec le plus sensible déplaisir son départ et le mien. Quelque désir qu'elle eût de me retenir auprès d'elle, quelque affligée qu'elle fût de cette nouvelle séparation, elle n'a pas cru devoir s'opposer à ce que j'accompagnasse mon mari dans son Gouvernement.

Sa réputation l'avoit devancé ; la haute idée qu'on s'est faite de son équité, de sa sagesse, et de sa bonté, avoit prévenu presque tous les esprits en sa faveur. J'ai vu les coeurs voler au devant de lui ; j'ai vu la joie publique éclater par les plus vifs et les plus doux transports. Tout étoit prêt pour le recevoir; et malgré les précautions qu'il avoit prises pour cacher son arrivée, notre entrée a eu tout l'air d'un triomphe. La modestie de Valmont en a souffert; quant à moi, j'ai craint que la jalousie de ses ennemis n'en fût irritée, et ne lui fit un crime de l'amour qu'on lui témoigne ; j'avoue cependant que

ma tendresse pour lui s'en est trouvée si flattée, que je ne me fusse portée qu'avec peine à lui sauver ces marques d'estime et de bienveillance, si cela même eût été en mon pouvoir. Eh! qui les mérita mieux que lui? Déjà tous ses instans sont consacrés à des soins pénibles et au soulagement du peuple. A travers l'alégresse commune il a vu percer la misère. Il en gémit; il y cherche les plus puissans remèdes; occupé des besoins d'une infinité d'hommes, il ne lui reste pas le tems de penser à lui-même ; et sûre de son amour, je lui pardonne d'être si rarement occupé de moi.

Quand je serai plus instruite, je ne vous laisserai rien ignorer de ce qui le concerne; si je ne peux faire quelque bien par moimême, j'aurai du moins le foible mérite de vous retracer celui qu'il fait.

LETTRE

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LXIII.

Du Comte à son Père.

C'EST maintenant, mon père, que j'ai plus lieu que jamais de regretter votre présence. Combien la maturité de vos conseils suppléeroit avantageusement à mes foibles lumières! Souvent incertain sur le parti que je dois prendre, risquant de perdre, à trop consulter, le peu de momens qui me sont donnés pour agir, je vous exposerois les difficultés qui m'arrêtent ; vous dissiperiez mes craintes; vous fixeriez mes irrésolutions; et ce que me dicteroit la sagesse de vos vues seroit toujours pour le mieux. Je sais que le désir de le procurer doit avoir ses bornes; qu'il est un terme où il faut s'arrêter, quand on ne veut pas s'exposer à tout perdre pour avoir voulu trop entreprendre : et c'est de là que naissent presque toujours mon embarras et mes perplexités. Je vois dans la Province de grands maux, et je ne puis sans danger y apporter de grands remèdes. Des voies douces, des moyens lents sont l'unique ressource dont je puisse attendre quelque succès. Le zèle que vous m'avez inspiré pour le bien s'en irrite; je frémis des obstacles qui

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