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LETTRE LX V I.

Du même à son Fils.

E ne me plains point de ta valeur, mon fils; tu as fait tout ce que l'on pouvoit attendre de toi. N'ayant pu te défendre d'une destinée, qui t'est commune avec tant d'illustres guerriers, c'est assez qu'à leur exemple tu te sois comporté comme tu le devois, et que tu ayes sauvé l'honneur.

Mais, mon fils, il est un autre bien, dont le véritable honneur est inséparable; c'est la vertu. Abandonné à toi-même, sois toujours, sous les yeux du Public, sous les yeux de Dieu même, ton censeur le plus sévère. Au milieu d'une Cour impie et licen cieuse, parmi des jeunes gens dissipés et sans moeurs, garde-toi de l'avilissement où tu tomberois en suivant leur exemple, et de la malheureuse honte de faire le bien *. Fuis la volupté, qui ne tarderoit pas à te rendre vil comme eux. Si tu ne peux te lier avec

* Tel vaincroit les tentations, qui succombe aux mauvais exemples; tel rougit d'être modeste, et devient effronté par honte ; et cette mauvaise honte corrompt plus de cœurs honnêtes que les mauvaises inclinations. M. Rousseau.

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des amis qui te ressemblent, puise en toi seul les ressources que tu y as trouvées jusqu'ici. Que la religion, l'étude, et la lecture te garantissent des faux besoins qu'engendrent la mollesse, le désouvrement, et l'ennui. Dans les périls que tu pourrois courir, crois que ton père te regarde. Non, mon fils, quoique dans un si grand éloignement, je ne te perdrai point de vue; tu seras toujours présent à mon esprit et à mon cœur: eh! quelle douleur seroit-ce pour moi, si j'apprenois que mon fils eût oublié les principes qu'il a reçus, les tendres soins d'un père, les conseils d'un ami; et que s'oubliant lui-même, il se fût rendu indigne d'appartenir un jour à l'épouse dont il a fait choix !

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LETTRE LX VI I.

Du même au Marquis de Valmont. JE me hâte, mon père, de vous faire part de la lettre que vient de m'écrire le Prince aimable et généreux auprès duquel j'ai négocié les intérêts de la France; et j'y joins la réponse que je me suis cru obligé de lui faire. Elle est la seule que mon père m'eût dictée.

» J'apprends à l'instant, cher Comte, par » mon Ambassadeur, que, non contens de >> vous avoir fait exiler dans votre Gouver» nement, de vous y avoir suscité mille tra» verses, de vous avoir ôté le commande» ment des troupes, dans un tems où vous >> eussiez été si nécessaire à la tête de nos » armées, puisqu'on ne vouloit pas de la » paix que mon alliance devoit procurer, >> vos ennemis touchent au moment de re>> cueillir, par la perte de votre liberté, et >> peut-être de votre vie, le fruit de toutes >> les intrigues qu'ils n'ont cessé de tramer >> contre vous. Ils ont réussi à faire croire >> que vous étiez d'intelligence avec les Puis>>sances qui nous sont opposées, et que vous » vous prépariez à leur faciliter la conquête >> de la Province qui est sous vos ordres. C'est » le Vicomte de Lausane qui conduit tout. >> Rien ne coûtera à des ames si noires, pour >> assouvir leur haine. Je vous en conjure, >> par l'amitié que je vous ai vouée, par tous » les services que vous m'avez rendus; ve>> nez, cher Comte, chercher un asile dans >>mon Royaume. La place que je vous y » ai déjà offerte vous attend. Vous épargne>> rez à votre Cour la plus criante injustice, » vous pourrez encore être utile à votre pa>>trie, et vous m'aurez conservé un ami «.

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» Que ne puis-je accepter les offres de » Votre Majesté, sans manquer à ce que » mon Prince est en droit d'attendre de moi ! » Vos bontés me pénètrent; mais j'en serois » indigne, si je balançois un seul moment » entre ma sûreté et mon devoir. Je ne quit>> terai point, sans la permission de mon Sou» verain, le poste qu'il m'a confié; et je me » reposerai sur sa justice, tant que je pourrai » compter sur mon innocence. Je connois, >> Sire, la droiture de son cœur; on peut le » surprendre, mais il ne demande qu'à être » éclairé. Un jour du moins il saura quel a » été mon attachement pour lui. Victime de » la haine, s'il le faut, mais toujours soumis » et fidèle, j'aurai mérité ses regrets; et » j'emporterai au tombeau votre estime, >> mon Prince, avec l'éternelle reconnois»sance que je vous dois «<.

Telle est, mon père, la situation de votre fils. J'attends à chaque instant le dernier coup qu'on doit me porter; et il a fallu prendre sur moi d'y préparer Émilie.

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LETTRE LXVIII.

D'Émilie.

mon père! ô père, si digne de pitié ainsi que vos malheureux enfans! votre fils, mon époux, va périr. Ah! certainement il périra; il tombera sous les coups de l'injustice, et ses vertus ne le sauveront pas. Eh! que dis-je,. ce sont elles qui l'ont perdu. Elles lui ont fait un ennemi irréconciliable de celui dont il eût pu étouffer la haine, s'il se fût montré aussi vicieux que lui; elles ont excité contre lui les dépits de l'amour, et allumé ses fureurs; elles lui ont fait refuser l'asile qu'on venoit de lui offrir; et maintenant il est au pouvoir des méchans. Cette nuit on l'a arrêté dans son appartement. On lui a signifié un ordre du Roi pour partir à l'instant; on l'a arraché d'entre mes bras: et l'on ne m'a pas laissée libre de partir avec lui. Je voulois le retenir, je voulois appeler...... » Émilie, » m'a-t-il dit en me serrant la main, un » esprit de révolte pourroit-il souiller une >> ame telle que la tienne? Le Roi s'est expli» qué..... Chère épouse, respectons son au»torité, jusque dans l'abus qu'on en fait !

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