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Ah! Monsieur le Marquis, que l'orgueil philosophique m'a paru petit auprès de cet acte de religion! Mais ce n'étoit encore là qu'un des moindres effets de cette élévation, de cette noblesse de sentimens, qui caractérise M. de Valmont. Lorsque nous étions prêts à sortir de l'espèce de cachot, auquel j'avois fait jusque là peu d'attention, j'ai vu arriver le Vicomte de Lausane. Ici, Monsieur, peignez-vous l'abattement, la consternation, l'extrême foiblesse d'un homme, dépouillé de toute sa grandeur, réduit à l'état le plus misérable, et qui ne trouve aucune ressource en lui-même. En entrant, il s'est appuyé contre le mur. Il pleuroit, il se désoloit, il poussoit des gémissemens et des sanglots; absorbé dans sa douleur, il ne voyoit rien de ce qui l'environnoit. Mais dès qu'il a entendu la voix de M. de Valmont, qui se retiroit en le plaignant, il s'est jeté à ses pieds, et l'a conjuré d'avoir pitié de lui. Déjà prenant le ton du repentir, il s'accusoit luimême, il commençoit un long aveu de ses crimes. M. de Valmont a fait signe aux gardes de s'éloigner, et relevant son ennemi; vous rouvrez, Monsieur, lui a-t-il dit, une plaie qui saigne encore. Ce ne sont point les attentats formés contre moi, que j'aurai peine à effacer de ma mémoire. Mais ma

fille * !... elle vous a pardonné. Reconnoissez, Monsieur, le pouvoir d'une Religion que je vous ai entendu blasphémer. C'est en l'oubliant que vous avez causé tous vos malheurs; c'est en la suivant, qu'à l'exemple de Julie mon coeur vous pardonne, et que je vais m'employer tout entier à adoucir votre sort, ou du moins à vous sauver la vie. Il est sorti...., après avoir embrassé M. de Lausane. Je sentois tout ce que cet acte avoit d'héroïque, et après tout, me suis-je dit à moi-même, voilà le Christianisme.

Maintenant, Monsieur, je n'entreprendrai pas de vous exprimer les transports des deux époux, l'attendrissement, la joie d'un père et de ses enfans, Le Gouverneur partageoit tous les mouvemens que nous ressentions. Il est venu nous conduire jusqu'à la porte du château. Mais lorsqu'elle s'est ouverte, quelle a été notre surprise! Une foule d'équipages remplissoient la cour. Les personnes de la première distinction nous attendoient. Le bruit du retour prochain de M. de Valmont s'étoit à peine répandu, que

** Voyez la cinquante-septième Lettre, qui explique suffisamment ce qui est dit ici. M. de Valmont en avoit écrit une à M. de Verzure, dans laquelle il s'ouvroit à lui sans réserve sur cet affreux mystère; mais comme il y a des choses qu'il suffit de laisser entrevoir, on a supprimé cette Lettre.

l'on s'étoit empressé à venir au-devant de lui, et à prévenir en quelque sorte les intentions du Prince. C'est avec ce nombreux cortège que nous avons été conduits devant Sa Majesté. Quelles bontés, et je puis dire quels regrets elle a marqués à M. de Valmont! La Reine, de son côté, lui a fait tout l'accueil qu'il pouvoit s'en promettre.

Après avoir rendu à Leurs Majestés le juste tribut de sa reconnoissance, après avoir reçu les complimens de toute la Cour, il n'est occupé dans cet instant qu'à répondre aux tendres épanchemens de ses amis les plus intimes, et de tous ceux qui composent sa maison. Ses moindres domestiques s'empressent de le voir, de l'approcher, de le servir. C'est leur bon maître, disent-ils, c'est leur père. Le sentiment éclate de toute part; tous les cœurs sont émus; c'est une sorte de tumulte, c'est une ivresse; on ne se connoît pas, on ne se possède pas de joie. Parmi cette commune alégresse, une seule chose a affligé M. le Comte. On lui a appris que, dans son renversement de fortune, Madame de Lausane avoit éprouvé une révolution subite, qui faisoit craindre pour ses jours.

Voilà, Monsieur tous les évènemens d'une journée, que je ne pouvois mieux terminer que par le récit que je viens de vous faire.

Elle

Elle a été pour M. votre fils un jour de triomphe, le plus beau jour de sa vie; et ce triomphe est celui de la vertu et de la Religion.

pas

Je ne dois oublier de vous dire que nous avons reçu de la Cour de.... des nouvelles de M. le Baron. Sa conduite ne s'y est point démentie, et au mérite solide, aux qualités essentielles dont il est orné, on reconnoît sans peine le digne fils de M. de Valmont. Le Roi lui-même s'est chargé de le rendre à son père.

LETTRE LXX VI I.

Du Comte de Valmont au Marquis.

Mon père, votre présence manqueroit à mon bonheur, à celui d'Émilie : le Ciel prévient tous nos désirs. Le Roi vous veut auprès de lui. Ce n'est point moi qui ai dicté ses ordres. Vous le savez, j'ai respecté comme je devois vos volontés, votre goût pour la retraite, votre détachement du monde, de ce monde qui mérite si peu d'être servi, d'ètre aimé pour lui-même. Je n'insistois plus depuis long-tems; je ne vous pressois plus de vous rendre à mes vœux ; je sacrifiois ma satisfaction la plus chère à la vôtre; et je Tome F. P

la sacrifierois encore, si, ne pouvant être heureux que dans la solitude où vous êtes, vous exigiez que je fisse un effort auprès de Sa Majesté, pour qu'elle vous y laissât jouir en paix de Dieu et de vous-même. Mais vous me l'avez dit tant de fois; pour le vrai Sage, pour le Chrétien fidèle, Dieu se trouve partout où nous pouvons servir à sa gloire.

Voyez, mon père, comme il semble vous appeler ici, et comme il se plaît à nous réunir. Le Roi a fait partir un Courrier pour redemander le Baron à quelque prix que ce soit. Il veut que l'union de mon fils avec Hortense se contracte sous ses yeux; il exige que vous accompagniez M. de Veymur, son épouse et sa fille. Je ne vous dirai pas qu'il vous destine à des titres, des honneurs ; vous m'avez trop appris à en démêler la vanité et à en craindre les dangers, pour que j'imagine que leur faux attrait soit propre à vous séduire, et que j'aye la foiblesse de vous les proposer pour objet. Mais le Roi veut s'aider de votre sagesse, la perpétuer en moi par vos exemples, et nous employer l'un et l'autre au grands desseins qu'il a conçus pour le bonheur de ses Sujets. Pourriez-vous résister à de si puissans motifs? Et si toute autre ambition est peu digne d'une ame telle que la vôtre, auriez-vous renoncé à celle

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