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biens et les maux d'un État, et qui en éprouve le plus sensiblement les effets, lorsqu'elle en pénètre le moins la véritable cause. Nous comparons l'histoire des siècles passés avec la situation présente, et nous conjecturons par l'une et par l'autre ce qu'on peut attendre de l'avenir.

Pour bien juger de l'agriculture et de la population, pour juger même du caractère de la Nation, nous ne nous en rapportons pas aux habitans des villes; nous ne restons pas renfermés dans la capitale; nous visitons les campagnes, nous allons prendre au loin des éclaircissemens (3).

En tous lieux nous nous instruisons des Loix, de la Police, des Moeurs, et de la Religion. Nous ne voyons que trop souvent les Loix en contradiction avec elles-mêmes; nous les voyons plus souvent en contradiction avec les Moeurs, ou parce qu'elles ne remontent pas à la source du mal, ou par le peu de vigueur qu'on leur donne, ou par la manière dont on s'y prend pour les faire exécuter. Nous voyons même quelquefois les Loix, et presque toujours les Mœurs, en contraste avec la Religion, et nous sommes forcés d'en rapporter la cause au défaut d'exemple de la part des chefs, et au défaut d'instructions solides de la part de ceux à

qui il appartient de servir tout à la fois de guides et de modèles.

Par rapport à la Religion, M. de Verzure me met en garde contre les fausses conséquences qu'on n'est que trop porté à tirer des abus qui s'y glissent, en me faisant sentir combien ils sont opposés à son esprit, qui de lui-même est inaltérable. Il me prémunit d'avance contre l'espèce de séduction qui pourroit naître, par la suite et en d'autres contrées, de la variété des opinions, de la différence des cultes, de la contrariété des sectes; et s'en sert pour me faire mieux comprendre les fondemens, la nécessité, et le prix d'une autorité. Il m'apprend en mêmetems à tirer, de cette diversité d'opinions, un motif pressant, non pas d'indifférence pour la vérité et pour l'erreur, mais de modération, de ménagement et de charité, par rapport à ceux qui s'égarent (4).

Son attention se porte en dernier lieu à empêcher que je ne décide trop aisément du caractère, des usages, des mœurs d'une nation, et que je ne les critique trop légèrement *. Ce n'est que d'après des observations

"Il seroit aussi déraisonnable de condamner toute une nation pour les crimes éclatans de quelques particuliers, que de la canoniser pour la réforme de la Trappe M. de Voltaire.

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viennent qu'aux hommes assez fermes sur eux-mêmes pour écouter les leçons de l'erreur sans se laisser séduire, et pour voir l'exemple du vice sans se laisser entrainer. Les voyages poussent le naturel vers sa pente, et achèvent de rendre l'homme bon ou mauvais. Quiconque revient de courir le monde, est, à son retour, ce qu'il sera toute sa vie ; il en revient plus de méchans que de bons, parce qu'il en part plus d'enclins au mal qu'au bien. Les jeunes gens mal élevés et mal conduits contractent, dans leurs voyages, tous les vices des peuples qu'ils fréquentent, et pas une des vertus dont ces vices sont imêlés : mais ceux qui sont heureusement nés, ceux dont on a bien cultivé le bon naturel, et qui voyagent dans le vrai dessein de s'instruire, reviennent tous meilleurs et plus sages qu'ils n'étoient partis . M. Rousseau.

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(2) Et que, ne vous arrêtant pas aux vues bornées qui pourroient convenir à un Amateur, à un Artiste, à un Savant même, etc. Ce qui rend les voyages infructueux à la Jeunesse, c'est la manière dont on les lui fait faire. Les Gouverneurs, plus curieux de son amusement que de son instruction, la mènent de ville en ville, de palais en palais, de cercle en cercle; ou, s'ils sont savans et gens de lettres, ils lui font passer son tems à courir des bibliothè ques, à visiter des antiquaires, à transcrire de vieilles inscriptions. Dans chaque pays ils s'occupent d'un autre siècle : c'est comme s'ils s'occupoient d'un autre pays; en sorte qu'après avoir à grands frais parcouru l'Europe, livrés aux frivolités ou à l'ennui, ils reviennent sans avoir rien vu de ce qui peut les intéresser, ni rien appris de ce qui peut leur être utile «. Idem.

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(3) Nous ne restons pas renfermés dans la capitale ; nous visitons les campagnes, nous allons prendre au loin des

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éclaircissemens. Toutes les capitales se ressemblent; tous les peuples s'y mêlent, toutes les mœurs s'y confondent... C'est dans les provinces reculées, où il y a moins de mouvement, de commerce, où les étrangers voyagent moins, dont les habitans se déplacent moins, changent moins de fortune et d'état, qu'il faut aller étudier le génie et les mœurs d'une nation. Voyez en passant la capitale. Mais allez observer au loin le pays.... C'est à ces grandes distances qu'un peuple se caractérise, et se montre tel qu'il est sans mélange : c'est là que les bons et les mauvais effets du Gouvernement se font mieux sentir, comme au bout d'un plus grand rayon la mesure des arcs est plus égale «. Idem.

De même aussi, c'est le seul moyen de connoître les véritables mœurs d'un peuple, dit encore M. Rousseau, que d'étudier sa vie privée dans les États les plus nombreux ; car, s'arrêter aux gens qui représentent toujours, c'est ne voir que des Comédiens «.

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(4) Il m'apprend en même tems à tirer, de cette diversité d'opinions, un motif pressant, non pas d'indifférence pour la vérité et pour l'erreur, mais de modération, etc. Voici en substance ce que dit à ce sujet M. Pluche, en parlant des voyages. » En rendant le jeune Voyageur inébranlable aux attaques d'une raison ténébreuse, il faut aussi lui inculquer, envers ceux qui pensent autrement que lui, une retenue et une douceur inaltérables. Il n'y a jamais eu qu'une mission. Il doit détester toutes les séparations, puisqu'elles s'entre-détruisent et ne portent en rien le caractère de l'autorité divine, qui a établi un ministère unique mais il ne doit jamais haïr ceux qui restent séparés. Nulle tolérance sur la pluralité des missions, puisqu'il n'y en a notoirement qu'une, et qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour savoir où elle se perpétue depuis plus de dix sept cents ans : mais il y a une tolérance extérieure, juste et nécessaire, qui est le fruit du support et de l'a

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secret désir de les imiter, je suis resté dans la classe des hommes ordinaires.

Si, comme vous, Sire, j'étois né pour régner, lui répondis-je, et que je voulusse me choisir un modèle, ce ne seroit pas sur eux que je jetterois les yeux. Ils ont fait parler d'eux, il est vrai; la terre a retenti du bruit de leurs exploits; le commun des hommes, toujours porté à accorder son admiration à ces qualités brillantes qui nous asservissent, qui font l'étonnement et le malheur du monde, les a mis au nombre des héros. Mais la portion la plus éclairée du genre humain, celle qui distribue la véritable gloire, et qui mérite seule que nous nous montrions jaloux de ses suffrages, parce que la raison les dicte et que la postérité les confirme, ne leur laisse en partage que le vain nom de conquérant qu'elle abhorre, les juge par les maux qu'ils ont faits, oppose leur folle ambition à leur valeur, et ce qui est resté de leurs conquêtes à ce qu'il leur en a coûté pour les faire. Ce sont à ses yeux d'illustres aventuriers; ce ne sont point, à proprement parler, de grands hommes.

Eh! quel est donc le héros, selon vous, reprit le Monarque?

Le héros, mon Prince, n'est pas ce qu'un vain peuple s'imagine. Ce n'est point cet

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