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homme, qui, rapportant tout à lui seul, connoît d'autre droit que celui du plus fort; qui court à l'immortalité à travers le meurtre et le carnage; qui s'embarrasse peu de faire périr des millions d'hommes, d'être le fléau du monde, pourvu qu'il en soit la terreur; qui n'a de force et de courage, que pour maî triser ses semblables; et qui n'en a point pour dompter les plus extravagantes, les plus furieuses de toutes les passions, et pour se vaincre lui-même. Le vrai héros, c'est, dans tout état, celui qui ne se proposant que de grandes vues, fait de la bienveillance universelle l'ame de tous ses projets et la première de toutes ses passions; qui se dévoue tout entier à la félicité de ses semblables; qui ne donne rien à l'opinion, et qui sacrifie tout à la justice et à la vérité. Le vrai héros, Sire, c'est sur-tout un Roi, qui, père de ses sujets, s'applique constamment à les rendre heureux; qui, plein de courage pour les défendre, se tenant toujours prêt pour la guerre, et se ménageant toutes les ressources de la prudence pour la faire avec succès, emploie tous les moyens qui sont en son pouvoir pour leur faire goûter sans altération les douceurs de la paix : c'est celui, qui, par une sage économie, par une administration éclairée, par une vigilance con

tinuelle, met tous ses soins à leur en faire recueillir les fruits au sein de l'abondance et de la sécurité; qui concilie leurs intérêts avec ceux des Nations dont ils sont environnés, et ce qu'il doit à son peuple avec l'amour dont il est redevable à tout le genre humain; celui, en un mot, qui fait consister sa gloire la plus pure à s'oublier luimême, son plaisir le plus doux à faire du bien, son intérêt le plus pressant à se faire aimer; qui ne voit de grand que ce qui est. juste, de vraiment utile que ce qui s'accorde avec le bonheur de tous; et qui, doué d'une ame magnanime et d'un cœur excellent, compte pour rien tous les sacrifices qu'il fait à l'humanité. Voilà, Sire, quel est mon héros; et, malgré tous les préjugés d'une fausse grandeur et d'une fausse gloire, ce sera le héros de tous les siècles et de toutes les Nations.

Vous m'éclairez, cher Valmont, me dit le Roi, après quelques momens de silence. En me désabusant des idées d'un faux héroïsme, vous me ramenez à celles que je m'étois faites de la vraie grandeur dans un Prince. Il faut, pour être grand, qu'il gouverne en sage, qu'il soit le père de son peuple et l'ami des hommes. C'est donc à la Philosophie à former un grand Roi.

C'est moins encore à la Philosophie qu'à la Religion, repris-je à l'instant, qu'appartient un si noble emploi; et je serois beaucoup moins sûr d'un Roi purement Philosophe, que d'un Roi vraiment Chrétien. La Philosophie, mon Prince, a quelque chose de trop incertain, de trop peu lié dans ses principes et dans ses conséquences. Ses systêmes portent sur une base trop peu ferme, et n'ont point assez de consistance. Elle nous instruit par ses variations perpétuelles et ses étonnantes contradictions, du peu de fond qu'on doit faire sur elle.

Mais sur-tout la Philosophie de nos jours, que nous offre-t-elle qui puisse nous instruire et nous diriger? Audacieuse et téméraire, secouant tout joug, opposée à tout culte, ennemie de la Divinité même, elle rompt maintenant les liens les plus sacrés de la religion et de la Morale, et n'en vouloit, disoit-elle, qu'à la superstition et au fanatisme. Sous prétexte de prendre en main les intérêts des peuples, elle les divise d'avec le Souverain, et porte le Souverain à se défier de son peuple, tandis que la confiance et l'amour doivent les réunir. Par-tout où elle voit des chefs et des maîtres, elle crie au despotisme et invite à le confondre avec une autorité légitime, dont toutefois les abus mêmes

que ceux

seroient moins à craindre d'une liberté excessive et d'une entière indépendance. Elle nous arme contre les Princes et contre les Loix, en ne cessant de déclamer contre leur tyrannie. Elle resserre les cœurs et les rend durs et insensibles, en leur inspirant un secret égoïsme, en les attachant à l'intérêt personnel, dans ces mêmes livres où elle nous parle si souvent d'humanité et de bienfaisance. Elle énerve les hommes, et prépare la ruinedes empires, en faisant l'éloge des passions, du luxe, et de la volupté. Elle détruit, et se vante de réformer. Elle nous rend féroces et barbares, sous le masque de la douceur, et avec la réputation qu'elle veut bien nous donner de vivre dans un siècle humain et policé. Elle nous inspire un fol orgueil et le mépris de nos semblables, en nous faisant accroire que par elle nous sommes les seuls grands, les seuls sages. Que dirai-je enfin? Elle nous trompe, nous éblouit, nous aveugle, en promettant de nous éclairer.

Sous quels traits, s'écria le Monarque, me peignez-vous la Philosophie?

Sous ces mêmes traits, Sire, que nous retracent en foule les Ouvrages modernes de nos Philosophes les plus célèbres (1). Je sais que, quand ils veulent faire l'éloge de leur prétendue sagesse et s'exalter eux-mêmes,

ce n'est pas ainsi qu'ils nous la peignent. Ils empruntent alors les couleurs les plus séduisantes, les idées les plus relevées, et les expressions les plus magnifiques. Mais c'est d'après leurs maximes que je les juge, et non d'après leurs éloges : et si leurs écrits passent jusqu'à la postérité, remplie d'étonnement et d'horreur, elle ne pourra qu'avouer le jugement que je viens d'en porter. Ce n'est pas, au reste, que je ne reconnoisse une Philosophie plus vraie qui suppose la Religion bien loin de l'exclure; qui nous instruit à remonter des effets à leur véritable cause; qui, s'exerçant à des sciences utiles, y fait briller la lumière, dissipe les nuages que répand sur elles un dangereux pyrrhonisme, les enchaîne l'une à l'autre, et les dirige vers un but moral propre à les ennoblir; qui respecte les vérités aimables et consolantes, qu'elle trouve imprimées au fond de notre coeur, ou que nous offre une Révélation qu'elle envisage comme un supplément nécessaire à notre foible raison; qui resserre les vrais liens de la société au lieu de les rompre; qui, ne s'arrêtant pas à de vains discours, réforme nos mœurs, dompte nos passions, nous soumet à l'autorité par l'amour du devoir, nous rend doux, humains, bienfaisans dans la conduite de la

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