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vie, et fait de nous des sages dans la pratique. Car tel est, mon Prince, la Philosophie qui a pour fondement la religion.

Je conçois, cher Valmont, me dit le Roi, tout l'avantage qu'elle doit avoir sur celle dont vous m'avez peint les dangers. Vous ne sauriez nier cependant que les Philosophes de nos jours n'ayent donné aux Rois des leçons utiles, dont il ne tient qu'à eux de profiter.

Mais si ces leçons, mon Prince, sont dé◄ truites par de faux principes, dont on peut tirer des conséquences tout opposées ; si elles n'ont pas plus d'autorité, que ceux qui vous les donnent; si le ton même dont il vous les présentent, est si souvent turbulent et séditieux; quel bien peuvent-elles produire, qui égale tous maux qu'elles peuvent faire? Et, après tout, quels maîtres choisissezvous? Des génies fiers et présomptueux, qui, en se vantant de régenter les Rois, les avilissent et les dégradent; des guides trompeurs, qui, en leur donnant des conseils sur l'usage de leur pouvoir, en sapent les fondemens, invitent les Monarques à le déposer, et enhardissent les peuples à s'y soustraire (2); de faux sages, qui connoissent mal les hommes, qu'ils veulent vous apprendre à gouverner (3); qui, dans les plans

d'instruction qu'ils vous tracent, ignorent la mesure des possibles, et renversent tout pour tout rétablir; des esprits atrabilaires, qui, ne sachant pas être heureux du moins par comparaison, toujours frondeurs, toujours chagrins, oublient les malheurs passés, ne tiennent aucun compte des avantages de notre situation présente, et s'élancent toujours dans l'avenir, pour y chercher le bonheur à la faveur des révolutions.

S'ils n'avoient d'ailleurs que des leçons utiles à vous donner, que pourroient-ils vous dire, mon Prince, que la Religion ne vous dise encore mieux? Ils osent l'accuser de favoriser le despotisme (4): eh! n'est-ce pas elle qui en est le frein le plus puissant? N'est-ce pas la Religion qui crie le plus fortement aux Rois, que, si leur autorité est émanée du Ciel, ce n'est pas pour en abuser qu'il la leur a confiée? que ce n'est pas pour eux qu'il les a faits Rois, mais pour leur peuple? que s'ils doivent régner sur leurs sujets, les Loix doivent régner sur eux? que Dieu, qui a prétendu les rendre son image sur la terre, leur a imposé l'obligation étroite de lui ressembler, en faisant régner l'ordre au sein de leur Empire, comme il le fait régner dans l'Univers? que, si ceux qui leur sont soumis n'ont pas droit de les punir, c'est

pour la tranquillité même et le bonheur des Nations, qu'il refuse à celles-ci un droit qui leur seroit funeste mais que les Princes qui exercent un pouvoir arbitraire doivent trembler; parce qu'il existe une Providence, qui tôt ou tard se manifeste par les maux qu'elle leur envoie, ou que, si leur châtiment paroît différé, il y a une justice suprême, qui, après cette vie, les jugera comme le reste des hommes, et les punira?

Ce sont ces grandes vérités, Sire, qui, beaucoup mieux que toutes les maximes de nos Sages, nous ont donné de grands Rois. Ils ont pu avoir des préjugés sans doute ; car quel est le grand homme sur qui n'influent pas les préjugés de son siècle? Mais je ne crains pas de le dire, quels préjugés plus funestes que ceux qui naissent de cette fausse Philosophie, qui détruit toute vérité ?

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Vous pensez donc, reprit le Monarque que dans le gouvernement des États on peut se passer de Philosophie, et qu'on ne peut se passer de Religion?

Je crois, mon Prince, lui répondis-je, avoir satisfait d'avance à cette question. Si, par Philosophie, on entend la véritable saelle est nécessaire sans doute à ceux gesse; qui gouvernent et à ceux qui sont gouvernés. Elle est la droite raison avec ses plus

saines maximes; elle est la vertu mise en action: et c'est sur-tout, avons-nous dit, le véritable esprit de la Religion qui nous la donne; de cette Religion, qui lie tous les hommes entre eux et avec la Divinité par un culte raisonnable; qui fait rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui appartient à César; qui fait régner dans le cœur du Prince, la justice et la bonté, et dans celui de ses sujets, la soumission, le respect, et l'amour; qui fait sortir, de l'accord des vues et des sentimens, le bonheur public; et qui, nous assurant la considération, l'estime et la confiance des autres Nations, les intéresse à notre félicité à proportion de l'intérêt que nous paroissons prendre nous-mêmes à celles du monde entier. Mais si l'on entend, par Philosophie, la doctrine pernicieuse et dépravée (5), les maximes louches, incertaines, peu conséquentes, et souvent contraires des faux sages de nos jours: qui ne voit qu'elle est la perte des États, et qu'elle en causera tous les malheurs? Laissez-la s'introduire dans votre Royaume et y prendre crédit: bientôt les esprits vont s'agiter, fermenter; on raisonnera, on discutera, et l'on finira par tout mettre en problème. Quelle est l'origine, quel est le lien des sociétés? Quel besoin les hommes avoient-ils d'étre

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ainsi réunis? N'eût-il pas mieux valu qu'ils eussent mené une vie indépendante, une vie errante et sauvage? Qui a pu détruire l'égalité primitive? De quel droit régnez-vous? Quel est le contrat social qui lie les sujets à leur Prince? Quel est le Juge de la fidélité aux conventions entre eux et vous? Dequelle portion de liberté ont-ils pu se dessaisir entre vos mains? Et bien d'autres questions qu'on élève sous les yeux de votre Majesté, avec tant de danger et tant d'indécence, que je ne pourrois, sans frémir, porter plus loin les détails. Mais à la place des vains raisonnemens et des systèmes philosophiques mettez la Religion; faites intervenir la parole de Dieu même, qui a daigné se manifester aux hommes par les preuves les plus sensibles, et les instruire de ses volontés saintes toutes les questions sont résolues, ou plutôt il est inutile de les faire, et nous n'avons aucun besoin d'y répondre. Tout rentre dans l'ordre, et est rappelé à l'unité. L'Évangile, une fois reconnu, tranche tout d'un seul mot; c'est Dieu qui a établi les sociétés et les rangs; c'est en lui que tout pouvoir légitime prend sa source: celui qui résiste à l'autorité résiste à Dieu même. Le peuple entend, et se soumet. L'instruction est à sa portée, et gît en fait. La voix de celui

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