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honte, ainsi que toute autre Loi, dès qu'on pourra le faire en secret; qu'on violera impunément et qu'on décréditera par la force de l'exemple, dès qu'on aura l'autorité en main. Sans doute, mon Prince, il faut attacher l'honneur à la vertu, et la honte au vice: mais si la vertu n'est qu'un nom, comme elle l'est en effet dans le systême de F'Athée, lorsqu'il est conséquent *; si, en bravant la honte, on peut se satisfaire sans danger **; si l'intérêt particulier se trouve

* Bayle lui-même en convient assez ouvertement dans le S. 181 de ses Pensées diverses. Il y est question d'un Traité de la Religion contre les Athées, les Déistes, etc. imprimé en 1677, dans lequel l'Auteur rapporte un entretien supposé entre deux impies, par lequel on voit que, dans leurs principes, la raison et les Loix naturelles et civiles, la justice et la vertu, sont des mots vides de sens. Et il le prouve fort judicieusement, ajoute Bayle, qui d'ailleurs trouve cette preuve insuffisante par rapport aux dangers de l'Athéisme dans un État, en se fondant sur cette seule maxime, que les hommes ne suivent pas leurs principes.

** Sans danger, dira Bayle ! Il y en a toujours à commettre le crime; et l'Athée a, en toute rencontre un motif pour l'éviter; » ne fût-ce que la crainte de tomber dans l'inconvénient qui est arrivé à quelques-uns, de publier eux-mêmes leurs crimes pendant qu'ils dormoient, ou pendant les transports d'une fièvre chaude. Lucrèce se sert de ce motif pour porter à la vertu les hommes sans Religion".

Félicitons Bayle et Lucrèce d'avoir su mettre à la placa de la religion un motif si puissant.

en opposition avec l'intérêt commun ( et il peut s'y trouver à chaque instant pour celui qui n'auroit rien à espérer ni rien à craindre au delà de cette vie ); comment se rétablira l'équilibre, si ce n'est en faisant renaître par la religion le sentiment du devoir et la persuasion de notre immortalité ?

L'immortalité ! reprit le Monarque. Mais n'est-il pas prouvé que celui même qui croit son ame sujette à la mort, peut encore désirer d'immortaliser son nom par des actions louables, et doit craindre de le déshonorer aux yeux de la postérité par des infamies?

Je ne sais, mon Prince, sur qui cette idée de gloire, ou cette crainte de l'opprobre, séparée de l'idée de notre existence après. cette vie, pourra conserver quelque empire; mais ce que je ne craindrai pas d'assurer, c'est qu'elle en aura très-peu sur la multitude, qui en genre de réputation dans le monde, n'a rien a attendre de la postérité, ni rien à risquer. Ce que je crois pouvoir dire avec fondement, c'est que ce désir d'immortaliser son nom tient naturellement et de bien près au sentiment de notre existence future; en sorte que, l'idée de celleci une fois anéantie, si elle pouvoit l'ètre, l'opinion que l'on auroit de nous après notre

mort ne nous toucheroit que foiblement, et que le souci qu'on en pourroit prendre ne paroîtroit aux hommes, même les moins éclairés, que l'effet du plus absurde préjugé. Ce que je puis dire encore, c'est que ce vain désir de gloire, cette idée d'immortalité, dénuée de tout rapport à un juste Juge, qui, indépendamment de l'opinion, saura apprécier nos mérites et nos œuvres, est tout aussi propre à enfanter de grands crimes, que de grandes actions. C'est ainsi que les Conquérans ont prétendu s'immortaliser, en portant en tous lieux la terreur de leur nom.

Il est donc vrai, Sire, qu'il ne reste aucun motif solide, aucune règle précise, aucun secours suffisant pour faire le bien, pour le faire avec sagesse et avec choix, pour le faire constamment, hors de la religion; tandis qu'avec une religion éclairée, tout est lumière, tout est encouragement pour la vertu, tout est motif et secours puissant pour nous aider à fuir le vice. Eh, que pourriez-vous attendre, mon Prince, d'une société, où l'on ne respecteroit les Loix qu'autant que l'on ne se sentiroit, ni assez fort pour refuser de s'y soumettre, ni assez adroit pour les éluder; où chaque homme, opposant ses vues personnelles aux préjugés reçus pour l'intérêt général, auroit, en der

nier ressort, un droit égal à celui de tous les autres de se faire Juge de ce qui est bien ou mal, de ce qui lui convient et de ce qui ne lui convient pas: où l'on ne pourroit faire usage de la religion du serment; où le mensonge, la duplicité, l'ingratitude, l'orgueil, l'oisiveté, le libertinage des mœurs ne seroient repréhensibles au tribunal des Loix, que lorsqu'ils violeroient ouvertement les droits du citoyen; où le code public, en un mot, aidé de l'opinion, dirigeroit seul ce qu'il y a de plus apparent dans l'extérieur de notre conduite; et où nul principe naturel, nulle crainte d'un Dieu vengeur, nul motif réprimant, ne régleroit l'intérieur par la voix de la conscience et les cris du remords? Quelle confiance pourriez-vous prendre en particulier dans des sujets, des serviteurs, des conseillers, des amis; s'ils étoient tous sans Dieu, sans Religion? et eux-mêmes, Sire, quelle confiance auroientils en vous (8)? Je ne vous ai rien dit, quant au fond, des vains systèmes de l'Athée, qui ne reconnoît d'autre cause de cet Univers, que le mouvement et la matière, parce que

* Cinéas expliquant un jour à Fabricius les principes de la secte Épicurienne, qu'il suivoit, et qui étoit devenue la secte la plus accréditée chez les Grecs: 0 Dieu! s'écria le Romain, puissent nos ennemis suivre une telle doctrine, tant qu'ils nous feront la guerre !

vous avez l'esprit trop juste, mon Prince, et le cœur trop droit, pour vous en être laissé infecter. Ceux qui professent le Matérialisme, n'ont pour eux que l'imagination et les passions; ils ont contre eux la conscience, la nature, et la raison.

A peine avois-je cessé de parler, que le Roi parut se plonger dans des réflexions profondes. Il étoit heure pour lui de prendre du repos. Je l'engageai à remettre au lendemain l'examen des autres questions, non moins intéressantes, qu'il m'avoit proposées.

NOTES.

PAGE. 42.

(1) Sous ces mêmes traits que nous retracent en foule les Ouvrages modernes de nos Philosophes les plus célèbres. On peut consulter les citations qui se trouvent à la fin du troisième volume. Nous pourrions en ajouter quantité d'autres, que nous recueillons tous les jours de ce nombre prodigieux d'écrits qu'enfante l'irréligion. Mais nous croyons devoir nous borner à quelques passages relatifs aux mœurs et à la législation, et qui suffiront pour donner une juste idée de ce que les autres renferment *.

C'est ainsi que s'exprime l'Auteur d'un des derniers

* Nous n'emprunterons rien du Systême de la Nature, désavoué par quelques Philosophes, malgré les abrégés qu'on en a faits pour le épandre plus aisément. Eh! que ne désavoue-t-on pas quand l'effet qu'on se proposoit est manqué : Le désaveu ! Ah! c'est bien là le cachet de la plupart de nos Sages!

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