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conçois, mon fils, la satisfaction que je ressentois à l'entretenir, à lui faire raconter plus au long les épreuves par lesquelles il a passé, à comparer nos opinions, nos principes, et à me trouver si bien d'accord avec lui.

Je t'ai retracé mes plaisirs, mon fils; je n'entreprendrai pas de te peindre ma douleur. Il a fallu tout perdre en nous séparant. J'ai tâché de ranimer mes forces et mon courage. Ah! sans des motifs supérieurs et le secours d'en haut, mes forces m'eussent abandonné. Est-ce donc qu'en vieillissant on devient plus tendre encore et plus sensible*? J'ai vu l'heure où, ébranlé par de nouvelles instances, j'allois quitter ma retraite pour suivre Émilie ; mais les mêmes raisons qui m'en détournèrent il y a un an, subsistent aujourd'hui, et me permettent moins que jamais de changer le train de vie auquel je suis accoutumé.

M. de Veymur s'est chargé de la conduite de ton épouse et de tes enfans. Le sage Verzure est parti pour l'Italie avec le Baron, après m'avoir fait part, comme tu le lui avois permis, du secret que tu lui as confié.

* Oui, les ames tendres deviennent plus tendres encore; tandis que les cœurs durs ne font que s'endurcir davantage en vieillissant.

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Cher Valmont! béni soit le Seigneur, dont la Providence a si heureusement veillé sur tes jours! Ton fils et son digne Mentor comptent recevoir de tes nouvelles à Florence, d'où ils s'empresseront à te donner des leurs. Madame de Veymur me reste, ainsi qu'Hortense. Je sens le prix de leur amitié, mon fils; et toutefois elle ne peut me faire oublier ces émotions si touchantes et si vives, ces agréables transports, que me faisoient éprouver, au sein de ta famille, les doux sentimens de la nature. Nous sommes tous ici plongés dans la tristesse ; tout paroît mort autour de nous: cette joie, ce tumulte, cette diversité d'occupations utiles, d'entretiens et de passe-tems délicieux qui remplissoient et varioient nos momens, ne sont remplacés que par notre silence ou par nos regrets : nos appartemens, nos jardins, nos campagnes, tout nous paroît désert; et l'hiver, qui commence à se faire sentir, redouble à nos yeux le vide et l'horreur de la solitude où nous nous trouvons. Nous nous surprenons quelquefois dans une rêverie profonde et les yeux mouillés de larmes. Il est des instans où je cherche Émilie, où je crois entendre la voix de ta fille, où je la vois accourir et folâtrer autour de moi. La vue d'Hortense me rappelle les grâces naïves de

sa compagne, ses reparties pleines de feu et d'enjouement, son aimable vivacité, et sur-tout ce ton d'intérêt et de sentiment, ces traits de bonté qui la caractérisent et qui la rendoient si chère à tous nos vassaux. Ah! que le Chevalier de Lausane soit toujours digne d'elle; et qu'à ton retour se forme sans délai, malgré tous les obstacles que le Vicomte voudroit y apporter, cette union tant désirée, qui doit absorber les concurrences, les jalousies, les haines, et confondre à jamais les intérêts des deux familles !

LETTRE XL I.

Du Comte de Valmont à son Fils.

ÉLOIGNÉ

LOIGNÉ de nous, mon fils, tu n'as rien perdu de ce qui peut servir à te rendre toujours plus sage et plus vertueux : tu es sous la conduite du plus éclairé et du meilleur de tous les hommes. Je ne suis pas inquiet de ta docilité ni de ta confiance à son égard; tu le chéris, tu le respectes, tu sens tout ce qu'il vaut et combien tu lui es cher; qu'ai-je besoin de t'inviter à le chérir et à le respecter pour moi-même ? C'est de ton père qu'il tient la place; c'est mon autorité toute entière que

j'ai déposée entre ses mains; et quelles que soient la vivacité de ton caractère, la fougue de la jeunesse et des passions qu'elle entraîne, je compte trop sur toi, pour penser qu'il ait même besoin de faire valoir dans aucun tems l'autorité que je lui confie. Cher Baron, que je me félicite d'un pareil choix! Hélas! mon père n'a pas eu le même bonheur que moi. Malgré tout ce qu'il a fait pour suppléer dignement aux soins qu'il ne pouvoit me donner, il n'a pas rencontré un Monsieur de Verzure pour son fils. N'attends pas de moi des avis sur tes voyages; ceux que tu rece- vras d'un tel guide te suffiront; et, pour mon propre intérêt, je ne puis que te prier de m'en faire part. Si tu te trouvois dans quelque circonstance délicate pour ton cœur et pour ta vertu, ouvre-toi à lui sans réserve. Souviens-toi de ton Dieu, d'un père tendre, qui n'a eu qu'à se louer de toi jusqu'ici ; et puisque je te l'ai permis, souviens-toi de l'aimable et sage Hortense.

LETTRE XLII.

Du Comte de Valmont au Marquis.

Je n'ai, mon père, pour le moment, que

E

d'heureuses nouvelles à vous donner. A mon arrivée dans cette Cour, j'ai trouvé les esprits favorablement disposés pour le succès de ma négociation. Ce n'est pas qu'il n'y ait bien des difficultés à vaincre, avant que de pouvoir concilier tous les intérêts, et former un traité d'alliance particulière, qui entraîneroit bientôt une paix générale. Mais j'ai cru m'appercevoir qu'on sentoit aussi bien. que nous les avantages réciproques de l'alliance projetée; j'ai conçu que les obstacles s'applaniroient aisément, si l'on pouvoit juger sainement de nos vues, et se reposer assez sur nos promesses, pour ne pas craindre de nous les voir éluder sous de vains prétextes, quand notre supériorité seroit suffisamment assurée. Je n'ai jamais si bien compris l'utilité et la justesse de vos observations, que dans cette circonstance, où l'expérience la plus sensible démontre à mes yeux ce que vous m'avez dit tant de fois, qu'en genre de traités et d'arrangemens po

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