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ait pas, c'est que les hommes agissent presque toujours contre leurs principes, et que le commun d'entr'eux ne règle pas sa vie sur ses opinions (1).

Eh! pourquoi donc, mon Prince, lui répondis-je, mettent-ils un si haut prix aux prétendues lumières qu'ils s'efforcent de répandre, et dont l'unique effet cependant est de tout obscurcir et de tout confondre? Pourquoi nous parlent-ils sans cesse d'éclairer les hommes sur leurs véritables intérêts? Pourquoi tant de déclamations contre la tyrannie, la superstition, le fanatisme et l'ignorance? Si les opinions sont indifférentes, si le commun des hommes n'agit point d'après ses principes, que leur fait à eux notre manière de penser; et pourquoi entreprendre de nous en faire changer? Mais qui ne sait en effet que ce sont sur-tout les principes qui déterminent les hommes, dès qu'ils en sont vivement pénétrés; que ce sont les principes, vrais ou faux, qui font les coutumes, ainsi que les opinions, et que c'est l'opinion qui gouverne le genre humain? Qui ne sait que c'est faute de vrais principes qu'on est conduit à tous les excès, à la superstition, par exemple, et au fanatisme; que c'est en changeant de principes que les hommes changent de conduite; et que, s'il est vrai qu'en genre de

Religion et de mœurs, notre manière d'agir se trouve en contradiction avec notre façon de penser, c'est lorsque des exemples trop puissans, des passions fortes et des intérêts contraires nous engagent à faire ce que nous sommes les premiers à condamner? Mais alors les principes réclament au fond de notre cœur, et nous ne nous portons au crime que difficilement et à regret; au lieu que nous nous y porterions rapidement et sans résistance, si nos maximes étoient d'accord avec nos penchans. Alors les grands crimes du moins nous effraient : et quels forfaits pourroient nous arrêter, s'ils étoient soutenus, autorisés par nos opinions? Alors le retour à la vertu nous devient plus facile: il nous seroit impossible, avec des sentimens et des principes qui lui seroient opposés. Si, parmi les Chrétiens, il s'en rencontre un si grand nombre, dont les mœurs ne sont pas conformes à leur croyance; combien aussi, parmi eux, se font des principes arbitraires, qui dérogent aux maximes de l'Évangile, et les modifient au gré de leurs penchans? Qu'au lieu d'obscurcir leur foi, on l'éclaire; qu'au lieu de l'affoiblir, on la fortifie et on fera d'eux dans tous les tems, ce qu'ils étoient dans les premiers siècles, dans les beaux jours du Christianisme, ce qu'ils sont encore avec une

foi vive et pure; je veux dire, des hommes vertueux et d'excellens citoyens.

Cependant, reprit le Prince, et c'est une autre question que je vous ai faite, ne seroiton pas en droit de prétendre que la Religion n'a jamais fait autant de bien aux hommes qu'elle leur a fait de mal?

Je crois avoir prouvé à Votre Majesté que le pire de tous les maux pour une société, pour un État, seroit qu'il n'y eût point de Religion. Celle même dont le culte seroit le plus bizarre et le plus inconséquent, laissant au moins subsister quelques-unes des notions primitives de la Loi naturelle, de l'existence d'un Dieu, de l'immortalité de l'ame, ne pourroit jamais tendre à la dissolution de tout le Corps politique, aussi nécessairement qu'y tendroit l'Athéisme, lequel détruit toutes ces notions. Les grands maux qu'un faux culte pourroit produire, les victimes humaines, par exemple, qu'il porteroit à immoler à de fausses Diviuités, affecteroient, il est vrai, quelques membres de la société : mais ils laisseroient subsister dans son ensemble une sorte d'harmonie ; quelques parties de la Morale resteroient dans leur entier ; on conserveroit des principes de vertu et d'équité, qui porteroient sur un fondement réel, et qui obligeroient en conscience; on

auroit dans le culte public un lien commun; on obeiroit aux loix, parce qu'on craindroit les Dieux. Rien de tout cela n'existeroit dans une société d'hommes sans Religion (2). Les chefs opprimeroient sans crainte, dès qu'ils se croiroient assez forts le faire sans pour danger. Le peuple, grossier par éducation, féroce par tempérament, léger par caractère, et qu'il est impossible d'éclairer suffisamment, si la Religion ne l'éclaire pas; qui ne peut avoir de frein contre lui-même, si la Religion ne lui en sert pas, se révolteroit, sans qu'il eût d'ailleurs besoin d'autres causes que son inquiétude, sa légèreté ou sa férocité, et en bien peu de tems, tous les liens de la société seroient rompus. Aussi n'y a-t-il point d'exemple que l'on pût citer, d'après une autorité recevable, d'un peuple qui ait existé sans une idée quelconque de Religion; à moins qu'il ne fût tombé dans le dernier de▾ gré d'abrutissement.

Mais je n'ai encore satisfait, mon Prince qu'à une partie de votre question. C'est surtout au Christianisme qu'en veulent ceux qui n'ont pas craint de vous la proposer à vous-même. On a répondu cent fois à leurs vaines déclamations et, par un seul exem* Voyez la cinquantième Lettre du troisième volume, à ces mots, s'il faut en croire nos Incrédules, le Christia

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ple, Votre Majesté comprendra sans peine la fausseté de leurs raisonnemens. Le Christianisme a donné lieu à des divisions et à des guerres; donc il eût mieux valu qu'il n'eût pas existé. De même aussi, pourrions-nous dire, la Société et les loix ont donné lieu à bien des injustices et des crimes; les Gouvernemens ont fait répandre bien du sang d'homme à homme, de nation à nation; donc il eût mieux valu qu'il n'y eût ni Gouvernement, ni Loix, ni Société. Ainsi raisonnent ces hommes superficiels et malheureusement prévenus, qui ne veulent voir que les abus et les prétextes, au lieu de remonter à la nature des choses, et de considérer tous les avantages qu'elles ont produits : ainsi ai-je raisonné moi-même autrefois. On abuse de tout, m'a-t-on répondu; il ne s'ensuit pas que toutes les choses dont on abuse ne soient pas des biens. La Religion Chrétienne est, sans contredit, le plus grand de ceux qui nous sont offerts, par les ténèbres qu'elle a dissipées, par l'instruction commune et à la portée de tous qu'elle a présentée aux hommes, par l'autorité dont elle s'est montrée revêtue, et parce qu'enfin elle est la perfection de la

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