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CHAPITRE XI.

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Intrigues de M. Guizot à Londres contre le cabinet whig. Elles sont déjouées par lord Palmerston. Commencements d'hostilités en Syrie. Bombardement de Beyrouth par les puissances alliées. La flotte française reléguée à Salamine. Consternation aux Tuileries. Le ministère donne sa démission. — Le roi, après l'avoir acceptée, revient sur sa décision. — Transaction entre la couronne et le ministère. — Agitations intérieures. Protestation de la garde nationale de Paris. Convocation des chambres. La Porte prononce la déchéance de Méhémet-Ali. Memorandum du 8 octobre. Fortifications de Paris. Attentat de Darmès. Persécutions contre la presse. - Les puissances secondaires de l'Allemagne défendent l'exportation des chevaux. Arrogance du cabinet britannique. Nouvelle démission du ministère. M. de Broglie aux Tuileries. Le maréchal Soult est appelé et s'adjoint M. Guizot. Personnel du nouveau ministère. Dernière réunion du cabinet du 1er mars.

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Malgré de premières déceptions, M. Guizot conservait encore quelque espoir dans les intrigues diplomatiques, et se promettait merveille d'une prétendue division dans le cabinet britannique. La rupture de l'alliance française avait produit en Angleterre une vive émotion; les journaux éclataient en violents reproches contre le ministère whig; le commerce était plein d'alarmes et d'indignation. Notre

ambassadeur écrivait que le règne des whigs était passé. Il se réjouissait surtout de voir deux collègues de lord Palmerston, lord Holland et lord Clarendon, ouvertement opposés à la politique de ce ministre, et ne cachant pas leurs sympathies pour la France. Aidé de ses amis les tories, M. Guizot soufflait avec ardeur le feu de la division, grossissait aux yeux de tous les dissensions intérieures, proclamait à Londres et à Paris l'impossibilité de la durée d'un cabinet déchiré. Mais lord Palmerston, impatienté de ces vains parlages, provoqua un conseil de cabinet qui devait prononcer sur les mérites ou les vices de sa politique. M. Guizot crut dès lors triompher. Ses lettres à Paris, en annonçant cette mesure décisive, semblaient autant de présages de la défaite certaine de Palmerston. La France allait être vengée à Londres! et vengée par l'habileté de M. Guizot. C'était assurément pour lui une route certaine à la présidence du conseil.

Malheureusement pour cet homme d'Etat, le ministère whig ne se montra pas disposé à se déchirer de ses propres mains. Un premier conseil tenu le 28 septembre affaiblit quelque peu les espérances de M. Guizot; un second conseil tenu le 1er octobre les éteignit complétement. Les ministres opposants firent taire leurs convictions particulières. Le triomphe de lord Palmerston fut complet. Cela devait être. Le ministère whig ne pouvait, sans se déshonorer, effacer sa propre signature, et déchirer étourdiment un traité fait à Londres, signé et ratifié à Londres. Il fallait tout l'aveuglement d'un ambitieux fourvoyé pour compter sur un dénoùment aussi puéril.

Pendant que le ministère éperdu cherchait une solution sans pouvoir commander la paix, sans oser risquer la

guerre, les quatre puissances poursuivaient leur œuvre et consommaient leur outrage. Le canon retentissait sur les côtes de la Syrie; l'allié de la France voyait incendier ses villes; le traité du 15 juillet était brutalement exécuté.

renforcé

Le 8 septembre, l'amiral Stopford avait rejoint le commodore Napier dans les eaux de Beyrouth; le 9, il était par les bâtiments anglais et autrichiens qu'il avait laissés à Alexandrie; le 10, par les transports qui avaient à bord les troupes de débarquement; le 14, les chaloupes des vaisseaux, des frégates et des navires de transport, jetaient à terre environ dix mille hommes, composés d'une compagnie de débarquement de chacun des douze bâtiments de guerre anglais et autrichiens, de quinze cents hommes d'infanterie anglaise, de trois mille Turcs, et de quatre à cinq mille Albanais. En même temps, six vaisseaux anglais s'embossaient devant Beyrouth.

Le commodore Napier commandait le débarquement, qui s'effectua à Djounis, pendant que l'amiral Stopford occupait les troupes égyptiennes, à Beyrouth, par une vive canonnade. Djounis est une baie située à quelque distance de Beyrouth, avec un promontoire qui s'avance considérablement dans la mer. Les alliés y prirent position sans rencontrer d'obstacle, les troupes albanaises qui s'y trouvaient, s'étant retirées à leur approche. A trois lieues plus loin vers le nord, le petit fort de Djebaïl ne fut enlevé qu'après une vigoureuse résistance des Albanais qui s'y étaient retranchés. En même temps, Caïffa, petite ville assise au pied du mont Carmel, à l'extrémité sud de la rade de Saint-Jeand'Acre, était détruite par deux frégates autrichiennes et par une frégate anglaise.

A Beyrouth même, la présence des troupes d'Ibrahim,

que l'on voyait au nombre d'environ quinze mille hommes sur les hauteurs derrière la ville, empêcha toute tentative de débarquement. Mais les vaisseaux anglais criblèrent de projectiles la ville, dont elles firent bientôt un monceau de ruines. Quelques-unes des troupes d'Ibrahim, qui avaient tenté de se glisser à travers les jardins, vers Djounis, pour troubler le commodore Napier, furent arrêtées par le feu des vaisseaux anglais.

Pendant ce temps, que faisait notre flotte? Le ministère, si honteusement insulté, prenait-il au moins les précautions nécessaires pour empêcher l'outrage d'aller plus loin? Le pavillon français demeurait-il dans ces parages pour offrir une consolation ou un refuge aux opprimés? Bien loin de là, le ministère lui ordonnait de fuir le bruit du canon. L'escadre était reléguée dans la baie de Salamine, condamnée à l'inaction, réduite à la nullité, trop éloignée du théâtre des événements pour protéger un allié de la France, assez rapprochée pour devenir témoin des hontes de la défection. Oui, sans doute, le ministère, dans ses misérables calculs, avait pleinement raison de mettre entre les deux escadres deux cents lieues de mer. Car si la flotte française eût conservé son ancienne station, si l'orgueil britannique avait poursuivi son œuvre en face du pavillon tricolore, les canons, ainsi que le disait un de nos amiraux, les canons seraient partis d'eux-mêmes, et nos marins, n'écoutant que les conseils de leur indignation, eussent foudroyé les insolents agresseurs et fait évanouir dans la poudre des combats la triste politique de M. Thiers. Mais il ne fallait pas, selon l'expression de M. Guizot, que la guerre sortit d'une inspiration des subalternes, et c'est ainsi que les subalternes furent prudemment séquestrés à Sala

mine, afin qu'il ne restât aucune chance pour les inspirations de l'honneur et de la dignité nationale.

Pendant plusieurs jours, les hostilités s'étaient bornées à l'incendie de Beyrouth et de Caïffa, à des escarmouches insignifiantes et à l'occupation de quelques petits forts sur les côtes de la Syrie. Mais si les faits en eux-mêmes étaient insignifiants, la pensée qui les dirigeait devenait de la plus haute importance, et les résultats en étaient incalculables. La guerre était déclarée malgré la France, presque contre la France, et l'étincelle allumée sur les côtes de la Syrie, allait peut-être embraser le monde. Les Tuileries avaient perdu toutes leurs illusions; ce premier coup de canon, auquel on ne croyait pas, retentissait aut milieu des cris d'indignation du pays. La coalition qu'on avait eru effrayer par des bruits de guerre, répondait insolemment en portant les premiers coups. Les ministres furent frappés de stupeur; il ne restait plus de ressources dans les ruses diplomatiques et les faux-fuyants; il fallait se prononcer, et se prononcer sur l'heure ; rendre guerre pour guerre, ou, par une prompte retraite, faire aveu de son impuissance. Le dernier parti fut préféré. Le 2 octobre, le cabinet entier donna sa démission; Louis-Philippe, aussi embarrassé que ses ministres, accepta volontiers l'occasion de se séparer d'eux, et M. Thiers était fort aise de donner à croire qu'il protestait contre l'outrage fait à la France.

serait

Mais le calcul du ministre n'échappa pas à la perspicacité du roi. Il s'aperçut promptement que le beau rôle ne pas pour lui, et qu'on ferait à la fierté de M. Thiers plus d'honneur qu'elle n'en méritait. Sa retraite pouvait le réhabiliter, lui rendre une popularité perdue, tandis que

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