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l'ouest, le mettait en contact avec les populations du Maroc au milieu desquelles il rencontrait des sympathies de mœurs et de religion. Lui livrer une telle position, c'était agrandir et son influence et son empire. Les tribus de ces contrées admiraient en lui le défenseur ardent du Prophète, et l'empereur le voyait avec joie placé comme un rempart entre ses États et les armées entreprenantes des chrétiens. Abd-el-Kader sut habilement profiter de la situation qu'on lui avait faite. Des négociations secrètes avec l'empereur étaient sur le point de se terminer par une alliance; et des prédications dans toutes les mosquées de l'empire appelaient publiquement les populations à se lever pour la guerre sainte. Déjà des symptômes graves annonçaient la fermentation générale. Dans les premiers jours de mars, les Kabyles de l'intérieur accourus à Tanger pour célébrer la fête religieuse du Beiram avaient insulté la population chrétienne. Quelques-uns même s'étaient portés à des agressions ouvertes contre les établissements consulaires. Des coups de fusil avaient été tirés sur le consul de Suède. Tout annonçait une prochaine levée de boucliers. D'un autre côté, le gouvernement était averti que des secours nombreux, en munitions et en soldats, étaient envoyés à l'émir par les frontières de l'ouest; les bâtiments de commerce apportaient des nouvelles d'une déclaration de guerre. Rien cependant n'était encore officiel. Mais les dépêches des agents consulaires et les rumeurs qui précèdent tout événement important en disaient assez pour que le gouvernement fût averti.

CHAPITRE IV.

Situation équivoque de la gauche dynastique.

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M. Dupont (de l'Eure). — Proposition Remilly. — Alarmes des con

servateurs; embarras de la gauche.

lecture.

Les bureaux autorisent la

Discussion sur la prise en considération. - Elle est

votée à une grande majorité. bert.

– Lettre confidentielle de M. Jau

Ajournement de la proposition. — Projet de loi sur la

conversion des rentes. - Adoption de la loi à la chambre des députés. Les pairs circonvenus par la royauté. - Faiblesse de M. Thiers. Le Luxembourg rejette le projet de conversion. — Discussion sur le renouvellement du privilége de la banque. — M. Thiers et M. Garnier-Pagès. — Adoption du projet dans les deux chambres. - Question des sucres. — Erreurs de M. Thiers. - Adoption d'un système faux. Loi sur les salines de l'est. - Chemins de fer.

Détresse des compagnies.

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Lois sur la navigation intérieure. — Navigation transatlantique. — Crédits supplémen

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L'avénement du 1er mars avait singulièrement modifié la situation des partis. Les conservateurs parlaient d'indépendance, la gauche dynastique se vouait à l'immobilité. Et ce qu'il y avait de plus cruel dans son abnégation, c'est que les amis mêmes du ministre auquel elle sacrifiait, sinon

ses principes, au moins sa dignité, lui en faisaient reproche et l'accablaient de leurs dédains en récompense de son humilité.

La Revue des Deux-Mondes, engagée à M. Thiers depuis qu'il était vainqueur, appréciait en ces termes le dévoùment de ses nouveaux alliés :

«La gauche a voté publiquement les fonds secrets, les fonds de la police, les fonds dont on ne rend pas compte et qui sont particulièrement destinés au maintien de l'ordre. La gauche en les votant a abdiqué; elle a abdiqué ses préventions, ses préjugés, ses utopies; elle les a abdiqués à la face de ses électeurs et de la France entière ; on ne revient pas d'un tel vote, car on en reviendrait brisé, déconsidéré, presque annihilé. Les fonds secrets! Mais c'est le mot sacré de la franc-maçonnerie gouvernementale: une fois prononcé, on est initié. C'est à M. Thiers qu'est due cette grande initiation; il est juste de le reconnaître. >>

Leçon sévère et trop bien méritée! Mais la recevoir d'un journal, organe avoué de M. Thiers, c'était une bien triste preuve de discrédit.

Et pourtant cette gauche si prompte au sacrifice d'ellemême et de ses opinions donnait des ombrages aux conservateurs, accoutumés aux douceurs des fonctions rétribuées. Ils ne pouvaient croire que tant d'abnégation fût désintéressée, et ils tremblaient de se voir débusqués par M. Thiers, qui devait nécessairement offrir des récompenses aux complaisances du scrutin.

Il circulait en ce moment même beaucoup de commentaires sur une tentative faite par le ministre auprès d'un des membres les plus illustres de la gauche. Un siége à la cour de cassation avait été offert à M. Dupont (de l'Eure). Ce

n'était assurément pas une récompense trop importante pour un ancien garde des sceaux, respecté de tous et comptant de longs services. De la part de M. Thiers, c'était un acte de justice en même temps que de bonne politique. Mais il y avait aussi quelque chose qui ressemblait à un piége. Un homme aussi considérable dans l'opposition engageait trop de monde par son acceptation; il pouvait servir d'exemple et d'excuse à des consciences flottantes. M. Dupont (de l'Eure) refusa.

Cependant l'offre même n'en fut pas moins un sujet d'alarmes pour les hommes en place, bien convaincus que le même désintéressement ne se montrerait pas tous les jours.

Le premier soin des conservateurs fut donc de se protéger eux-mêmes, en fermant à leurs adversaires tout accès aux emplois. S'emparant habilement d'une pensée depuis longtemps exprimée par l'opposition, ils imaginèrent d'interdire aux députés les emplois publics salariés. Tant qu'ils avaient été au pouvoir, ils avaient défendu avec opiniâtreté un abus qui faisait leur profit; depuis qu'ils n'y étaient plus, ils n'en voyaient que les périls. Ce fut M. Remilly, député de Versailles, qui se fit l'interprète de ce désintéressement improvisé. Le 28 mars, il déposa sur le bureau une proposition ainsi conçue : « Les membres de la chambre des députés ne peuvent être promus à des fonctions, charges ou emplois publics salariés, ni obtenir d'avancement pendant le cours de leur législature et de l'année qui suit. »

Le piége était adroit et plein d'embarras pour le ministère et la gauche dynastique. En supposant même que M. Thiers n'eût pas des engagements pris, on paralysait son influence; car la force d'un ministère constitutionnel dépend nonseulement de ce qu'il peut donner, mais encore de ce qu'il

peut promettre, et ceux qui l'environnent sont plus souvent maintenus par l'espérance que par une récompense immédiate. Or la proposition Remilly enlevait à la fois l'ombre et la réalité, en ôtant au ministre non-seulement les primes qu'il pouvait offrir aux complaisances, mais jusqu'à la ressource des paroles trompeuses.

La gauche ne se trouvait pas moins embarrassée que M. Thiers. Il était manifeste que la proposition était dirigée contre elle; sous l'apparence d'une loi de justice, c'était pour elle une loi d'exclusion. D'un autre côté, l'abus des députés fonctionnaires servait depuis longtemps de texte à ses réclamations; c'était un des articles les plus importants du bagage de l'opposition dynastique; elle avait mis tant d'ardeur à suivre M. Gauguier sur le même terrain, qu'il ne lui était plus permis de combattre M. Remilly. Elle en était donc réduite ou à désavouer tous ses principes passés ou à compromettre toutes ses ambitions présentes.

Quant aux radicaux, ils ne pouvaient qu'accueillir avec satisfaction la proposition du député conservateur. Il leur importait peu qu'elle fût plutôt une malice qu'une bonne pensée, moins une affaire de principe qu'une manœuvre parlementaire; ce qui les touchait, c'est que c'était un commencement de réforme ; et une réforme, même produite par une lutte d'ambitions personnelles, ne pouvait que profiter à la cause démocratique.

C'était là, en effet, la véritable importance de la question, et les conservateurs logiciens le comprenaient si bien, que le Journal des Débats gourmandait en termes très-hautains ses maladroits amis, appelant la proposition Remilly « une loi des suspects contre la probité des députés et contre l'indépendance des fonctionnaires publics. » Puis il ajoutait :

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