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les paroles de M. Billault. Vous eussiez vu alors l'indignation des deux côtés de la chambre, la stupéfaction des centres, la confusion du ministère surpris en flagrant délit de prévarication. Pâle et tremblant, M. Martin (du Nord, monte à la tribune, assure qu'il n'a pas connaissance de la lettre, jette l'injure à ses accusateurs et demeure accablé sous la pauvreté même de sa défense.

Le lendemain, il voulut payer d'audace. La lettre existait, il est vrai; il était forcé d'en convenir, mais les termes différaient un peu de ceux qu'on avait rapportés. Ce lui fut un prétexte pour élever des chicanes, des subterfuges, des récriminations indignes non-seulement du chef de la magistrature, mais d'un homme de quelque éducation. Du reste, malgré les pressantes instances de l'opposition, il refusa de donner communication de la lettre, sous le prétexte qu'elle était confidentielle; il avouait seulement cette phrase: « La liste du jury pour 1842 donnera des jurés probes et libres, comme la loi le veut. » C'était la confirmation de ce qu'avait dit M. Isambert. Qu'importaient les termes de la phrase? Elle signifiait clairement que les jurés étaient choisis pour 1842, autrement que pour les années précédentes. Elle signifiait que des manoeuvres frauduleuses portaient une atteinte profonde à l'institution du jury, et que la magistrature était complice. C'est re qu'avait soutenu M. Isambert, et avant lui, M. Billault. Ce dernier orateur signala un autre fait non moins scandaleux. Les listes du département de la Seine pour 1842 avaient été arrêtées ainsi que le veut la loi. Quinze cents noms choisis par le préfet sur 22,000 électeurs, y avaient été inscrits. Les épurations du préfet furent cependant jugées insuffisantes. Onze cents noms furent rayés par les

agents du ministère et remplacés par autant de noms dévoués à la politique ministérielle. Parmi eux se trouvaient environ quatre cents fonctionnaires publics. Pour obtenir cette liste modèle, le bureau des élections de la préfecture de la Seine avait été entièrement remanié et le nouveau bureau surveillé dans ses opérations par les agents ministériels employés dans les élections de la garde nationale. C'est ainsi que M. Martin (du Nord) s'apprétait aux luttes judiciaires de 1842, par de lâches détours qui faisaient du jury un mensonge, de la justice une arme politique, de toutes les garanties de droit un piége. Chaque jour le ministère se déconsidérait par des expédients que n'aurait pu avouer la morale la plus vulgaire. Démolisseur hypocrite des institutions qu'il avait en garde, contempteur effronté de la probité politique, violent et rusé, poltron et implacable, recourant à l'arbitraire pour combattre les factions, et faisant du gouvernement luimême une faction et de tous ses agents des conspira

teurs.

La lettre du procureur-général de Riom est le témoignage officiel des flétrissures de cette époque; la dénomination des jurés probes et libres devint une locution proverbiale pour signaler la servilité, la corruption et les lâches complaisances.

L'ensemble de l'adresse fut adopté par 240 voix contre 156. Mais que d'échecs avait subis le ministère ! Quelles cruelles leçons il avait reçues, depuis les défaites de M. Guizot jusqu'aux mésaventures de M. Martin (du Nord) ! Battu sur les questions extérieures, plus maltraité encore pour sa politique intérieure de violence et d'intimidation, le cabinet du 29 octobre s'épouvantait aux indocilités de

la chambre, et prit dès lors la résolution de recourir à une

nouvelle législature, en précipitant les débats d'une session écourtée.

CHAPITRE VIII.

Nomination du général Bugeaud au gouvernement de l'Algérie.

tuation d'Abd-el-Kader. -Succès dans l'Est. Maroc.

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Première expédition du général Bugeaud.

- L'Emir repoussé gagne les frontières du Grave dissension entre l'Angleterre et les Etats-Unis.

Affaire Mac-Leod. Désastres dans l'Afghanistan.

Guerre de la

Chine; stériles victoires. — Déficit du budget. Réformes financières de Sir Robert Peel. -Affaires d'Espagne.

à la régence définitive.

Espartero appelé

Ses complaisances pour l'Angleterre. Soulèvement des provinces du Nord. -- Conspiration à Madrid. O'Donnell et Diégo-Léon. - Répression de l'insurrection.

L'occupation définitive de l'Algérie avait été si longtemps mise en doute par de maladroites oppositions à la chambre, par les réponses équivoques du gouvernement français, chaque fois que l'Angleterre lui avait adressé des sommations directes, et, il faut le dire, par les vices de système d'une guerre entreprise sans plan, sans suite, sans ensemble, que l'on s'inquiétait généralement de savoir quelle était à cet égard la véritable pensée des Tuileries. La venue du 29 octobre avait accru les méfiances, et tout ce qu'on voyait d'un ministère décidé à regagner les bonnes grâces de Saint-James, entretenait les craintes et multi

pliait les soupçons. Son premier acte, en ce qui concernait la colonie, sembla les justifier. Dans les premiers jours de janvier, le maréchal Valée était remplacé par le général Bugeaud; et ce choix d'un homme que l'on supposait avoir les secrètes pensées du château, fut accueilli par beaucoup de monde comme un premier pas vers l'abandon du pays. Les radicaux le croyaient sincèrement et le disaient. Les faits, il est vrai, démentirent leurs pressentiments mais nous devons constater les impressions du moment. L'affaire des lettres vint leur donner une nouvelle force; cet immense scandale, si mal apaisé par les ministres, frappait la royauté de suspicion et avait ébranlé la confiance même chez les monarchistes dévoués. La couronne compromise n'avait plus qu'un argument pour se réhabiliter c'était le développement bien suivi de nos conquêtes en Afrique. La valeur de nos soldats ne lui fit pas défaut.

La prise de Cherchell, Milianah et Médéah formait un commencement d'occupation régulière. Mais ces postes éloignés étaient sans cesse exposés aux attaques des Arabes qui reparaissaient en armes aussitôt que les grands corps expéditionnaires se repliaient sur le centre. Les garnisons se maintenaient avec vigueur; mais les inquiétudes, les embarras, les difficultés des communications, et les périls des convois restaient toujours les mêmes. Le général Bugeaud, bien convaincu que les combats les plus glorieux se raient constamment stériles, si l'on ne prenait sur tous les points du territoire une vigoureuse offensive, avait résolu de poursuivre les Arabes à outrance, de porter la guerre au sein même des tribus, d'attaquer le lion dans son antre, enfin de ne laisser à l'ennemi ni trève ni relâche

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