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plaira au premier venu de mettre sur vos épaules, lorsque celui que nous portons est d'un si grand poids. Résolvez les questions obligées; faites les affaires indispensables que le temps amène naturellement, et repoussez les questions qu'on vous jette à la tête aujourd'hui légèrement et sans nécessité! >>

A cette argumentation sans vérité et sans dignité, M. de Lamartine fit une foudroyante réplique. Il donna surtout une éloquente leçon aux hommes dont on venait d'invoquer les passions et les craintes.

« Il y a de tout temps, dit-il, et partout des hommes bien aveugles dans les corps politiques, dans les majorités : ce sont ceux qui se refusent à tout examen des choses nouvelles, quoique bonnes, mûres ou préparées.

<«<< C'est en vain que les pouvoirs s'altèrent, se décomposent, se dénaturent, que les forces morales mêmes du pays se corrompent, se démoralisent, s'abdiquent sous leurs yeux; ils ne veulent pourvoir à rien; ils se cramponnent immobiles et toujours tremblants à quoi que ce soit; ils saisiraient même le fer chaud d'un despotisme pour se préserver de la moindre agitation; ils ne voient qu'un seul mal pour eux, le mouvement, qu'un seul danger pour les institutions, le mouvement.....

« On dirait, à les entendre, que le génie des hommes politiques ne consiste qu'en une seule chose, à se poser là sur une situation que le hasard ou une révolution leur a faite, et à y rester immobiles, inertes, implacables.....

« Oui, implacables à toute amélioration. Et si c'était là, en effet, tout le génie de l'homme d'état chargé de diriger un gouvernement, mais il n'y aurait pas besoin d'homme. d'état, une borne y suffirait. >>

Les bornes lui répondirent en rejetant la proposition; mais le mot survécut à la discussion, et désormais les hommes de la résistance furent appelés conservateursbornes.

Parmi les lois d'intérêt matériel qui occupèrent cette ses sion, nous devons citer la loi sur les chemins de fer.

Quelques voies de communication existaient déjà celles de Saint-Etienne à Lyon, de Strasbourg à Bâle, de Paris à Orléans, de Paris à Rouen. Mais ces lignes courtes et isolées ne donnaient pas à la France les avantages qui appartenaient aux grandes nations rivales; elle ne pouvait rester plus longtemps dans cet état d'infériorité. Un vaste système d'ensemble devenait nécessaire pour développer toutes les forces vives du pays, pour resserrer l'unité, et en même temps pour balancer les inconvénients d'une trop puissante centralisation, en rapprochant les provinces de la capitale, et en leur communiquant la vie et le mou

vement.

Il avait donc été résolu d'embrasser toute la surface du territoire par un classement préalable, sauf à examiner ensuite les voies et moyens; adopter le principe, puis discuter l'exécution.

Vaste dans son ensemble, mais abandonnant peut-être trop aux éventualités de l'avenir, la loi présentée et adoptée par les deux chambres comprenait les dispositions sui

vantes :

1° Un chemin de fer de Paris à la frontière de Belgique: 90 Un chemin de Paris au littoral de la Manche, rappro chant la France de l'Angleterre;

3o Un chemin de Paris à la frontière d'Allemagne, par Nancy et Strasbourg; voie plutôt stratégique que commer

ciale, la capitale se rapprochant par là des places fortes de la Lorraine et de l'Alsace.

4o De Paris à la Méditerranée, par Lyon, Marseille et Cette, chemin de grande communication européenne;

5o De Paris à la frontière d'Espagne, par Tours, Poitiers, Angoulême, Bordeaux et Bayonne, mettant en communication directe la France avec la péninsule hispanique; 6° Sur l'Océan par Tours et Nantes;

7° Sur le centre de la France, par Bourges;

8° De la Méditerranée au Rhin, par Lyon, Dijon et Mulhausen. On mettait ainsi en contact la Provence et l'Alsace; on conservait aux ports français de la Méditerranée le commerce d'entrepôt, et à nos voies de communication les frais de transports de ces produits;

9° Chemins de l'Océan à la Méditerranée par Bordeaux, Toulouse et Marseille.

Dans la discussion du mode d'exécution, on ne vit plus se renouveler les anciennes discussions sur l'Etat et les compagnies. Chacun semblait reconnaître ce que les deux doctrines avaient de trop absolu, et le ministère et les chambres étaient également disposés à concilier les deux systèmes et à remplacer la concurrence par l'action combinée des deux forces rivales.

Dans l'exécution, on réservait à l'État la partie la plus indéterminée : achat de terrain, nivellement, construction des travaux d'art, viaducs, ponts, déblais et remblais; ensuite, aux compagnies : l'achat et la pose des rails, le matériel, les frais d'exploitation, d'entretien et de construction. Cependant les sommes de recettes devant varier selon la qualité des lignes, on les égalisait par des modifications sur la durée du bail et sur le tarif des droits. A l'expiration

du bail, la valeur de la voie de fer et du matériel de l'exploitation devait se rembourser, à dire d'experts, à la compagnie, soit par l'Etat, soit par la compagnie qui succéderait. Pour aider au concours de l'Etat, on faisait contribuer, selon la proportion des avantages, les départements traversés par la voie de fer; le conseil général devait régler ensuite la part contributive des communes.

Tel était l'ensemble du projet adopté en 1842 par la législature. Sans doute bien des années se passeront encore avant qu'il ait reçu son accomplissement, et aujourd'hui encore il reste beaucoup à faire. Mais chaque département peut voir la part qui doit lui revenir des bienfaits de ces communications nouvelles, destinées à multiplier les échanges des idées et les rapports des intérêts.

Le projet des crédits supplémentaires ramena la discussion sur des questions déjà traitées, mais non épuisées, le recensement et le droit de visite. Aucun nouvel argument ne fut produit; mais, sur la dernière question, M. Guizot était obligé de reculer de jour en jour. M. Molé ayant donné à entendre que le cabinet n'attendait que la sépa ration des chambres pour ratifier le traité, le ministre des affaires étrangères répondit : « Non, messieurs, ce n'est pas votre présence matérielle, c'est votre opinion, c'est votre vœu connu qui influe sur le gouvernement, et qui influera tout aussi bien après votre départ qu'auparavant.» M. Guizot faisait l'aveu complet de sa défaite.

Il est à remarquer que la discussion du budget, qui fut l'origine première et la raison d'être du régime parlementaire en Europe, semblait prendre à chaque session moins d'importance et de temps. Présentée la veille de la clôture, lorsque les esprits épuisés par les luttes politiques n'aspi

raient qu'au repos, la loi de finances se votait en quelques jours, au milieu des distractions et des impatiences; les millions s'entassaient sans examen et sans mesure; et l'avenir du pays était quelque chose de trop lointain pour des ministres qui vivaient au jour le jour, ou pour leurs rivaux qui convoitaient le pouvoir du lendemain. En vain quelques voix isolées signalaient avec effroi le gouffre toujours élargi du déficit. Le déficit était l'état normal du budget, et nos financiers ne se donnaient plus la peine de balancer les millions. Le budget de 1843 fut, comme les précédents, voté avec une différence avouée entre les recettes et les dépenses. Le découvert était de 33,789,808 fr. En y ajoutant 29,500,000 alloués pour les chemins de fer, il ressortait un déficit total de 63,289,808 fr. Ce déplorable système, qui entassait année par année de formidables arriérés, était maintenu avec une aveugle opiniâtreté, en pleine paix, au milieu des développements d'une prospérité toujours croissante. Tandis que toutes les classes de citoyens ajoutaient par leurs efforts à la somme des richesses générales, l'Etat s'endettait par une mauvaise gestion, et la dette ira toujours en s'accumulant jusqu'au dernier jour de la monarchie.

Le 11 juin, aussitôt après l'adoption définitive du budget, fut prononcée la clôture de la session. C'était en même temps la fin de la législature. Le ministère, peu rassuré des dispositions d'une majorité souvent douteuse et qui l'avait quelquefois abandonné, voulut en appeler aux élections. L'affaire du droit de visite lui tenait au cœur. L'ordonnance de dissolution parut le 13 juin; les colléges électoraux étaient convoqués pour le 12 juillet.

La chambre qui se séparait avait eu de singulières desti

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