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il en eut un fils qui mourut en bas âge, et que sa mère suivit bientôt. Sur les instances de Sophie, qui vouiait éloigner Pierre du trône, il se remaria avec Marthe Apraxin, qui ne lui donna point de postérité. C'est à la suite de ce nouvel hymen que sa santé déclina sensiblement, Persuadé de l'incapacité de son frère Ivan, il désigna, en mourant, Pierre pour son successeur.

PIERRE 1er, IVAN V ALEXÉIÉVITCH.

Le conseil des boyars et le clergé avaient ratifié l'élection de Pierre, à l'exclusion d'Ivan. Le tsar n'avait que dix ans, et la perspective d'une longue minorité, sous la régence de Nathalie, princesse d'un caractère doux et facile, en flattant l'ambition des grands, excitait le mécontentement de Sophie, dont le crédit devait le céder à celui de la mère du souverain. Sophie, d'un caractère entreprenant, résolut d'annuler, ou du moins de modifier cette élection. Son aïeul Miloslavski, et toute sa famille du côté maternel, entrèrent avec joie dans ses plans; et le peu de mesure des Narichkin, trop empressés de prendre en main la direction des affaires, la servit en mécontentant le peuple. Le prince Galitzin, homme rompu aux affaires et à l'intrigue, était son conseil.

Tout à coup le bruit se répand qu'Ivan vient d'être étranglé : la compassion publique s'en émeut; les stréletz prennent les armes, et courent au Kremlin. Iis commencent par se plaindre de neuf de leurs colonels qui ne les payaient pas exactement: on casse les colonels, et l'on paye à cette milice l'argent qu'elle exige. Bientôt ils veulent le châtiment des chefs qu'on vient de dégrader on leur livre ces malheureux, dont le crime était sans doute de tenir au parti des Narichkin, et leurs propres soldats leur infligent le supplice des batogues. La régente et Ivan lui-même se présentent devant ces furieux à cette vue, ils proclament tsar celui qu'ils croyaient assassiné mais cette démonstration ne

leur suffit pas; ils se précipitent dans le palais, résolus d'en finir avec les Narichkin. Un de ces derniers, Athanase, est jeté par les fenêtres et reçu par les révoltés sur la pointe des piques. Une seconde victime paye de sa vie la méprise de ces furieux: c'était un fils de George Dolgorouki qu'ils croient être un frère d'Athanase. On les détrompe, et ils portent le cadavre au malheureux père, qui n'ose faire éclater son indignation; mais bientôt sa douleur se manifeste par quelques menaces, et il tombe égorgé sur le corps de son fils. Les massacres continuent au sang des Narichkin et de leurs partisans se mêle celui de citoyens inoffensifs, qui n'ont pas su déguiser l'horreur que leur inspire tant de férocité. Maîtres du palais et de la ville, ils semblent oublier le but de leur soulèvement, pour ne penser qu'au salaire; et, comme dans toutes les révolutions violentes, ils font trembler ceux qui ne les avaient employés que comme instruments de leur ambition.

Dès le jour suivant, ils forcent la tsarine Nathalie de leur livrer son père et son frère, Cyrille et Ivan Narichkin; en vain les princesses et Sophie ellemême intercèdent en leur faveur, et tombent à genoux devant ces furieux; il faut leur livrer ces nouvelles victimes, ainsi qu'un médecin hollandais dont la science faisait tout le crime; Ivan et le médecin sont mis en pièces, et Cyrille n'est épargné que pour être jeté dans un couvent. Apres tous ces meurtres, les stréletz essayent de les sanctionner par une mesure populaire; ils déclarent libérés de leurs engagements les serviteurs qui, sans être serfs, étaient à la disposition de de leurs maîtres, pendant le nombre d'années stipulé par le contrat. Il est probable que cet esclavage à temps était une source de graves abus, puisque les streletz choisirent ce moyen pour justifier leurs excès. A la suite de la vengeance et de la réforme il ne s'agissait plus que d'organiser le pouvoir; ils déclarent tsars Ivan et Pierre, sous la tutelle de Sophie.

Cette princesse, parvenue au terme de son ambition, récompensa les auteurs de la sédition, leur distribua les dépouilles de ceux qu'ils avaient massacrés, et leur donna pour chef Ivan Khavanskoï, un des officiers les plus audacieux de cette milice turbulente.

Les stréletz venaient de modifier le testament de Féodor dans l'intérêt d'Ivan ou plutôt dans celui de Sophie; ils comprirent que pour le maintien de leur nouvelle puissance, ils avaient besoin de solides garanties; ils prirent le titre d'infanterie de la cour, et se constituèrent les surveillants des souverains qu'ils avaient imposés à l'empire. L'adroite Sophie, et Galitzin son favori et son conseil, n'étaient pas disposés à reconnaître l'autorité de ces protecteurs équivoques; en attendant qu'il se présentât une occasion favorable de les replacer sous le niveau de l'obéissance commune, ils firent épouser à Ivan une princesse de la famille Soltikof, dans l'espoir de prolonger indéfiniment leur tutelle, si un rejeton mâle sortait de cette union.

Khavanskoï, nouveau chef des stréletz, était détesté de la cour, en raison de la crainte qu'il inspirait: sa perte fut résolue. Dans un avis anonyme, affiché à la porte du palais de Kolomna, résidence des tsars, il fut accusé, avec les streletz, de conspirer contre la famille régnante, et de vouloir faire périr en même temps le patriarche et tous les boyars. Aussitôt la cour se réfugie dans le couvent de Troïtza, et prend toutes les mesures que réclamerait un danger réel. Khavanskoï est appelé sous un prétexte; et, comme si l'on craignait qu'il n'échappât, on l'arrête à quelque distance de Moscou, lorsqu'il se rendait au monastère. Il n'y trouva, au lieu de juges, que des ennemis décidés à le perdre. On assure que Miloslavski, qui le haïssait, avait lui-même dicté le placard accusateur. Quoi qu'il en soit, Khavanskoï et son fils furent condamnés sans qu'on daignât recourir aux formes les plus vulgaires de la justice; innocents du crime qu'on leur impu

tait, ils furent décapités l'un et l'autre : il ne manquait à cet arrêt pour être juste que de s'appliquer à la part qu'ils avaient prise à la précédente sédition; mais des complices ne peuvent assumer le caractère de juges.

A la nouvelle de leur exécution, le corps des stréletz s'émeut, et le cri de mort aux boyars se fait entendre. Cependant il ne s'agit plus seulement de quelques assassinats isolés; la cour est sur ses gardes; c'est un combat qu'il faut livrer: tout à coup, et par un de ces changements dont la cause, inappréciable pour les contemporains, reste mystérieuse dans l'histoire, ils se soumettent d'avance au châtiment qu'on voudra leur infliger. Ils redeviennent ces Russes qu'un signe d'Ivan faisait trembler, et ils reconnaissent la légitimité du pouvoir là où la force est prête à le soutenir. Ils se répandent dans les temples, implorent les secours spirituels, et font à leurs proches et à leurs amis des adieux qu'ils croient les derniers. Enfin ils s'acheminent vers le couvent, désarmés et munis de cordes, de haches et de tous les instruments propres aux supplices et aux tortures qu'ils jugent avoir mérités.

Galitzin, dont la politique cherchait plutôt une occasion de les humilier que de sévir, disposa Sophie à la clémence. Le patriarche intervint en leur faveur, et à l'exception des plus mutins qui furent mis à mort, tous les autres obtinrent leur grâce.

Sophie avait atteint son but; Ivan par sa nullité, Pierre par son âge, laissaient le champ libre à son ambition. Elle s'occupa des affaires de l'État, dont l'administration était entre les mains de Galitzin, favori de la régente et l'un des hommes les plus instruits de l'empire.

Vers cette époque, l'empereur Rodolphe, craignant une nouvelle invasion des Turcs, recherchait l'alliance de la Russie; on profita de la situation precaire de ce prince pour mettre à un haut prix la rupture de la Moscovie avec la Porte, quoique cette mesure entrât dans la politique de Galitzin ; en

fin il promit sa coopération à condition que la Pologne renoncerait à toute prétention sur les conquêtes d'Alexis. Le ro Sobieski venait de voir ravager, par les Tatars de Crimée, deux de ses provinces; il crut devoir se prêter à ces conditions qui, après tout, ne l'engageaient qu'à reconnaître un fait. Cette difficulté levée, malgré une opposition assez vive de la noblesse polonaise, on signa le 6 mai 1686, un traité d'alliance offensive et défensive entre les cours de Moscou, de Vienne, de Varsovie et la république de Venise. En vertu de ce traité, la Pologne cédait à la Russie Kief, ainsi que les duchés de Smolensk, de Sévérie et de Tchernigof.

Pendant que la régence ou plutôt le règne de Sophie préparait les esprits à une usurpation complete, Pierre laissait échapper ces saillies qui annoncent une âme forte, et qui font deviner l'homme dans l'enfant. On n'a rien négligé de ce qui peut corrompre un jeune prince; on a éloigné de lui le général Ménésius, savant Écossais auquel Alexis avait confié son éducation. Ses divertissements sont d'indigues piéges; sous le voile de l'indulgence, on flatte ses caprices; on provoque même la nature pour énerver son esprit en même temps que son corps: on l'a entouré d'une jeunesse oisive pour que rien ne manque à la corruption, pas même la contagion de l'exemple; mais la prudence de ses ennemis échoue par les moyens mêmes qu'ils mettent en œuvre. Pierre puise de l'expérience jusque dans le sein du désordre; il a compris que les plaisirs grossiers ne peuvent suffire à sa nature; on dirait qu'il n'est débauché que pour donner le change à ceux qui spéculent sur sa dégradation, son génie sort victorieux de l'épreuve du vice. C'est en vain que pour le rendre odieux aux Russes, on l'entoure d'aventuriers étrangers; leurs récits enflamment la curiosité du jeune tsar; un Français, nommé Lefort, qui avait servi en Hollande, et que le désir de faire fortune avait appelé en Russie, obtint en peu de temps la confiance de

et

Pierre; il comprenait l'allemand et le hollandais, et quoique peu versé dans la théorie militaire, il avait assez de connaissances dans la pratique de cet art pour inspirer à son jeune maître le désir d'opérer une réforme complète dans l'organisation des troupes russes. Dès lors cet adolescent a un but; les moyens i les trouvera dans tout ce qui l'entoure; il étudie les langues pour être en état de converser avec ces étrangers qui vont lui apprendre à vaincre un jour leurs compatriotes; il sent que la science militaire repose sur des règles constantes, et il étudie les mathématiques; pour arriver à posséder l'ensemble, il descend aux détails les plus minutieux de l'analyse, et il commence sa carrière de conquérant en passant par les derniers rangs de l'armée. Bientôt le bourg de Préobrajenskoï prend l'aspect d'une garnison, et ses divertisseurs deviennent ses camarades et ses compagnons d'armes. Dans cette vie toute active, où l'obéissance se forme au commandement, il s'indigne quelquefois de l'isolement où le laissent une sœur ambitieuse et un favori tout-puissant; il est déjà trop grand pour un rôle secondaire, et la cour se prend de crainte en voyant le developpement précoce de tant de qualités qui, non moins que sa naissance, semble..t l'appeler au gouvernement de l'empire.

Cependant Galitzin essaya de rehausser son pouvoir par une expédition d'éclat : il marche contre les Tatars de Crimée qui, reculant dans leurs steppes, incendient les champs dans leur retraite; privée de subsistances et de fourrages, l'armée russe se vit obligée de reculer; c'était un échec, mais le résultat de cette campagne fut célébré comme un avantage. Les Cosaques ne s'y méprirent point; ils accusèrent leur hetman d'avoir fait manquer l'expédition; Galitzin le fit venir à Moscou, et nomma à sa place ce même Mazeppa dont les conseils furent depuis si funestes à Charles XII. L'année suivante, le favori renouvela les hostilités; il s'avança au-devant des Tatars qui s'apprêtaient à pénétrer

dans l'Ukraine, et leur livra une bataille sanglante, à la suite de laquelle

ces derniers furent contraints de se retirer pour les contenir, il éleva au confluent du Dniepr et de la Samara une ville en bois, défendue par quelques fortifications.

Vers la même époque, Galitzin qui ambitionnait tous les genres de gloire, envoya une ambassade en France; mais cette démarche n'eut aucun résultat, soit que les membres de cette légation aient donné une idée peu avantageuse de la nation russe, ou plutôt que le fastueux Louis XIV n'ait pas compris l'avantage que pouvait tirer le cabinet de Versailles d'une alliance intime entre les deux pays.

Cependant Pierre ne voyait qu'avec dépit la régente s'arroger toutes les prérogatives du pouvoir suprême; dans les oukases le nom de Sophie était associé à celui de ses deux pupilles, et sur les médailles, à côté de leur effigie, on voyait figurer la sienne. Pierre exhalait hautement son mécontentement, et blåmait les mesures de Galitzin. On en était venu de part et d'autre à ce point d'aigreur, où, dans une lutte de pouvoir, l'un des rivaux doit s'effacer devant l'autre. Sophie se croyait assez forte pour triompher d'un adolescent; Pierre connaissait assez les dispositions de la régente pour comprendre tout le danger qu'il courrait en la heurtant de front: mais il craignait moins le danger qu'une sujétion indéfinie. Un jour, au milieu d'une solennité religieuse, Sophie se présente avec les insignes du rang suprême : Pierre, indigné, essaye en vain de la faire sortir; il s'éloigne fui-même, prévoyant sans doute que le moment était décisif. Aussitôt il retourne à Préobrajenskoï; là il apprend que les stréletz s'assemblent en tumulte dans le Kremlin sous les ordres de Schtchéglovitoï, successeur de Khavanski. Pierre, sans perdre de temps, se réfugie dans le monastère de la Trinité où des troupes fidèles et un régiment de stréletz accourent pour le protéger.

Schtcheglovitoï arrive pendant la nuit à Préobrajenskoï; mais, instruit

que le prince est en sûreté, il tâche de donner un prétexte plausible à sa démarche. Alors Sophie voit qu'elle a échoué, elle recourt à la médiation du patriarche; ce prélat la laisse sans réponse: tremblante dans le péril, elle n'ose opposer la force à la force; son pouvoir factice s'écroule tout d'un coup; l'orgueilleuse Sophie n'est plus qu'une parente coupable, révoltée contre son souverain: elle veut aller ellemême se justifier; mais elle reçoit l'ordre de retourner sur ses pas; enfin elle allait fuir en Pologne, lorsqu'elle est arrêtée et confinée dans un monastère. Galitzin fut exilé à Kargapol, puis à Poustozerskoï où il mourut en 1713. Le chef des stréletz et ses complices furent punis de mort ou recurent le knout; mais on ne put, malgré les plus cruelles tortures, leur arracher aucun aveu qui établît la culpabilité de Sophie. Quelques historiens en ont conclu qu'elle était innocente dans la dernière tentative des stréletz; il suffit, pour juger cette princesse, de suivre toute sa conduite depuis la mort d'Alexis elle n'était pas assez imprudente pour donner ostensiblement l'ordre de massacrer son frère; mais ses créatures savaient bien qu'elle ne souhaitait rien tant que d'être débarrassée d'une rivalité qui devenait chaque jour plus menaçante; on agit avec une precipitation qui semble en effet accuser l'absence d'une direction prévoyante, et tout ce qu'on peut admettre, c'est que Sophie se trouva prise au dépourvu, et que la fortune lui épargna un crime. Quant à l'hypothèse que Pierre aurait lui-même provoqué Les stréletz, pour secouer un joug devenu insupportable, elle tombe d'elle-même, et nous ne nous arrêterons pas à la réfuter.

Le trône de Romanof est enfin occupé; car Ivan s'efface, entièrement couvert de l'ombre du sceptre impérial; il s'est laissé mener par une femme, il se montre non moins docile à son jeune frère, et sa nullité fait contraste avec le génie et l'activité du tsar e fectif. Celui ci, après avoir, pour ainsi dire, conquis sa propre couronne, saisit les rênes de l'empire

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d'une main ferme : ses droits légitimes s'appuyaient encore de ces qualités brillantes qui absolvent même l'usurpation. Il avait épousé Eudoxie Lapoukhin, qui lui donna peu de temps après un heritier, ce tsarévitch Alexis dont la destinée fut si fatale. Pierre, dont les mœurs avaient été corrompues dès l'enfance, ne trouva point le bonheur dans cette union, soit inconstance naturelle, soit que le caractère de la tsarine opiniâtrément attachée aux préjugés, ou, si l'on veut, aux anciennes mœurs de la nation, lui eût inspiré un éloignement qui plus tard se changea en aversion.

Cependant, au milieu des dissipations et des plaisirs grossiers dont se joue la vigueur de son tempérament, il poursuit ses grandes idées de réforme, et se livre à cet instinct qui le pousse à la régénération de tout un peuple. Jusqu'alors l'Asie avait occupé la politique des princes russes; le flux et le reflux de vingt peuplades barbares, apres avoir longtemps tourmenté le territoire slave, venait expirer sur les frontières méridionales. Les Polonais et les Suédois étaient des ennemis plus redoutables, quoique moins nombreux; ils l'emportaient sur les Russes par la science de l'administration, par Part de la guerre; en un mot, par la civilisation. C'était cette civilisation qu'il s'agissait de conquérir afin de pouvoir lutter contre eux à armes égales; mais si la civilisation est l'œuvre des siècles, elle est aussi celle des circonstances; dans les individus, l'expérience ne s'acquiert pas seulement par les années; l'exercice peut la donner à un jeune homme, tandis que la vieillesse peut en être privée. Le peuple que Pierre va soumettre à cette grande épreuve est ignorant, superstitieux et opiniâtre: il triomphera de l'ignorance en faisant briller les résultats des sciences et des arts; de la superstition par le ridicule; de l'opiniâtreté par une volonté plus opiniâtre encore. On dirait que les événements eux-mêmes se sont disposés dans l'ordre le plus favorable à sa grandeur: quelques libertés de plus, et la nation eût rejeté

son œuvre, comme une innovation impie; du côté du tsar, quelques persécutions de moins, et son génie ne se fût point sans doute porté vers le but avec cette énergie que donne et nourrit l'obstacle. Ce n'est pas tout, la Providence qui a préparé son règne, le fait surgir à l'époque où la Russie, tranquille du côté de l'Orient, est forcée de réagir contre l'Europe, et fait céder sous son poids ses limites occidentales. La nature a pris à tâche de compléter l'œuvre de la Providence; elle a donné à Pierre un corps robuste, une taille athlétique, un coup d'œil juste, un désir insatiable de connaître, et une activité de corps et d'esprit qui suffit à l'immensite de sa tâche. A côté de ces qualités, il a des défauts et même des vices; les excès de table semblent être son régime ordinaire, à la licence de ses plaisirs, on dirait qu'il a compté sur le dégoût pour se livrer sans distraction à ses occupations favorites; violent jusqu'à la cruauté, il sévit contre une faute légère avec une sévérité draconienne. La colère est le seul ennemi qu'il n'ait pu dompter; du reste, il est dur pour luimême comme pour les autres. On assure qu'il avait, dès son enfance, une horreur de l'eau, qui allait jusqu'à la défaillance; celui qui devait doter la Russie d'une marine, triompha de cette répugnance, et força la nature à se plier à sa volonté.

Pierre, maître absolu de l'État, se souvint de l'arrogance turbulente des stréletz; il résolut de les dissoudre; et pour s'assurer un appui, il organisa les deux régiments de Préobajenskoï et Séméonovskoï qui furent le noyau de sa garde. Ces soldats, exercés par des officiers étrangers, devaient montrer bientôt l'avantage de la discipline sur le nombre, du système européen sur la fougue effrénée des Asiatiques.

Mais il n'organise les moyens que pour parvenir plus sûrement au but; au milieu de tant d'essais et de tâtonnements, son génie feconde les circonstances les plus fortuites: un jour, au bourg d'Ismaïlof, il aperçoit au milieu d'autres objets délaissés, une

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