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gnano prouva aux Russes à quelles conditions numériques ils pouvaient espérer la victoire.

Après cet avantage, Souvorof se porta rapidement sur Turin, tandis que Moreau, réduit à quelques milliers d'hommes, essayait d'inquiéter sa marche, sans s'écarter des positions avantageuses qu'il occupait.

Macdonald venait d'entrer en Lombardie, à la tête de trente-cinq mille hommes; les succès qu'il avait obtenus lui inspirèrent une confiance téméraire; il crut pouvoir vaincre avant d'avoir opéré sa jonction avec Moreau. A la nouvelle de cette marche victorieuse, Souvorof rassemble ses troupes avec une rapidité étonnante; il eut bientôt rejoint le général autrichien Mélas, sur les rives de la Trebbia. Nous n'entrerons pas dans les détails de cette journée mémorable; nous nous contenterons de dire qu'on se battit, de part et d'autre, avec une bravoure égale; l'armée austro-russe perdit plus de monde que celle de Macdonald; mais l'élan des troupes républicaines ne put vaincre l'immuable tenacité des ennemis. Durant toute une journée, le combat dura avec le même acharnement; les Russes montrèrent cette opiniâtreté invincible, cette discipline et ce mépris de la mort qui les avaient déjà rendus si redoutables; serrant leurs rangs à mesure que le feu les éclaircissait, ils repoussèrent deux fois, au delà du fleuve, les Français qui le repasIsèrent deux fois. Le lendemain la bataille recommença, et si la retraite de Macdonald n'eût appris à Souvorof qu'il était vainqueur, les succès furent tellement balancés jusqu'au dernier moment, que le nombre seul pouvait faire augurer de l'issue définitive de cette lutte. C'est là que fut presque entièrement détruite la légion polonaise, commandée par le brave Dombrovski. La retraite des républicains fut plus désastreuse que ne l'avait été le combat. Souvorof répandit des proclamations pour soulever, contre les Français, les Toscans et les Liguriens. Ce champion d'une religion schisma

tique armait les populations au nom de la foi orthodoxe, et tandis que Moreau se retirait, et que Macdonald était repoussé, la Lombardie, la Tos-. cane et le Piémont, harcelaient sur tous les points nos corps désorganisés. Au lieu de poursuivre ses avantages, Souvorof perdit un temps précieux à investir quelques places fortes dans le Piémont. Les Français firent un dernier effort pour conserver celles qui résistaient encore, et c'est alors que Joubert s'avança au delà de Novi avec un corps de trente mille hommes. L'armée austro-russe était déjà rassemblée et prête à le recevoir. « Ce ne fut pas, comme on l'a imprimé cent fois, en chargeant à la tête des grenadiers que fut tué Joubert; ce fut en allant reconnaître l'ennemi, et avant même que la bataille fût engagée. Il périt par la balle d'un tirailleur... (*). Moreau, rappelé par le Directoire à la tête de l'armée du Rhin, prit le commandement, et perdit cette sanglante bataille où les vainqueurs souffrirent plus que les vaincus. Avant l'action, Souvorof avait dit, en parlant de Joubert: C'est un jouvenceau, allons lui donner une leçon. La fortune lui vendit chèrement l'accomplissement de cette prophétie.

Paul, à la nouvelle de tant de succès, décerna à Souvorof le surnom d'Italique; il ordonna que désormais on rendrait au général victorieux les mêmes honneurs qu'à lui-même; et, rabaissant l'éloge par la bizarrerie de la forme, il prescrivit par un oukase, qu'on eût à regarder Souvorof comme le plus grand capitaine de tous les temps et de tous les pays du monde. Il résolut de consommer l'anéantissement de la république: Nous avons résolu, dit-il dans son manifeste, nous et nos alliés, de détruire le gouvernement impie qui domine en France.

Les préparatifs répondaient à la difficulté de l'entreprise; les escadres russes et turques, dirigées par les Anglais qui avaient vaincu à Aboukir, s'emparaient des îles Ioniennes, et

(*) Esneaux et Chennechot.

fondaient une république à la voix de deux souverains despotes. Une autre flotte venait jeter des bataillons moscovites sur le sol de la Hollande. Deux armées russes traversèrent la Pologne, la Bohême, la Moravie et le sud de l'Allemagne, pour pénétrer simultanément en France par l'est et le midi. Celle qui marchait sur le Rhin, forte de plus de quarante mille hommes, était composée, en grande partie, des soldats qu'avait formés Potemkin et des restes de l'armée de Perse. Cette armée, qu'on pouvait regarder comme l'élite des troupes russes, était sous les ordres de Korsakof, qui devait agir de concert avec l'archiduc Charles.

Au moment où elle venait d'entrer en Allemagne, Jourdan était battu à Oztrach, par les Autrichiens, et Masséna, reculant devant l'archiduc victorieux, était forcé de repasser la Limmat. Les Autrichiens, maîtres de Zurich, se trouvaient déjà au centre de l'Helvétie.

Les Russes réclamèrent l'honneur d'occuper les avant-postes. Korsakof afficha, dans les contestations qui s'élevèrent à ce sujet, une hauteur qui devait blesser l'archiduc; mais bientôt ce dernier fut obligé de se porter sur Philisbourg, que menaçait une forte colonne républicaine.

Les coalisés avaient résolu de suivre un nouveau plan d'opérations, d'après lequel tous les Russes, sous les ordres de Souvorof, agiraient en Helvétie, tandis que les Autrichiens, sous le commandement de Mélas, expulseraient les Français de l'Italie, et que le corps du prince Charles les attaquerait sur leurs frontières rhénanes. L'archiduc saisit sans doute avec empressement l'occasion d'échapper aux exigences hautaines de Korsakof; mais il était trop bon général pour compromettre, comme on l'a avancé, le succès de la campagne par un motif d'amourr-propre.

Il n'était resté avec les Russes qu'un corps peu nombreux d'Autrichiens, qui, réuni aux Suisses mécontents ou entraînés, forma, sous le commande

ment du général Hodze, la droite de leur armée.

Le 3 vendémiaire (24 septembre 1799), les Français descendirent des hauteurs voisines et engagèrent l'action. Les Russes, éclaircis d'abord par un feu terrible, cédèrent à l'impétuosité d'un premier choc; mais bientôt, ralliés entre leur camp et le fleuve, ils tinrent ferme et plièrent encore

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se rallier de nouveau derrière leurs tentes. Là, ils épuisèrent leurs gibernes et moururent alignés. La droite, composée en grande partie de stipendiaires suisses, opposa une résistance moins vive. Tournée dès le commencement de l'action, elle fut bientôt mise en désordre, et permit aux vainqueurs de se porter vers le centre, où les Russes se défendaient avec une constance héroïque. Les canoniers, fidèles à leur serment, se faisaient tuer sur leurs pièces. Bientôt Korsakof n'eut plus d'autre ressource que de former un bataillon carré des quinze mille hommes qui lui restaient; l'artillerie légère attaqua et mit bientôt en ruine ce bastion vivant qui présentait de tous côtés un front de fer. Des files entières tombaient, marquant le sillon du boulet; des rangs entiers étaient renversés par les flancs. Couverts du sang de leurs frères, les Russes s'alignaient comme à la manœuvre, et remplissaient incessamment ces vides pour tomber à leur tour. Quand les généraux républicains eurent labouré de leur formidable artillerie tout l'espace que couvraient ces braves Russes, ils ordonnèrent une attaque générale au pas de charge, et la victoire, encore disputée, fut enfin complète. Zurich, dont Korsakof avait fait son quartier général, les magasins, les équipages, une partie du train de l'artillerie, tombérent au pouvoir des Français. Le lendemain, les Russes, qui avaient reçu quelques renforts, résistèrent encore jusqu'au milieu du jour. Ils furent achevés en détail, et taillés en pièces par petits pelotons. Leur inflexible courage ne se démentit pas un instant; pas un ne se rendit qu'il ne fut blessé on

désarmé; on les voyait, avant d'expirer, presser dans leurs mains ou sur leurs lèvres l'image de leur patron, que tous les Russes portent sur la poitrine, et les soldats républicains s'étonnèrent de trouver, sur ces visages menaçants, l'expression d'une pieuse ferveur.

Cependant Souvorof descendait avec la rapidité de l'aigle des cimes du Saint-Gothard. La division Lecourbe, affaiblie par la glorieuse campagne de l'Engadine, avait été forcée de se replier en deçà des monts; elle occupait les débouchés sur l'Italie et la vallée du Rhin, depuis la source de ce fleuve jusqu'à la hauteur de Glaris; elle manœuvra pour venir s'appuyer au pied du mont Rigi. Souvorof pressait sa marche victorieuse; déjà maître des trois petits cantons, il menaçait la droite de l'armée française, lorsqu'il apprit que Korsakof venait d'être écrasé à Zurich. Le vieux général versa des pleurs de rage. Pendant quelques instants, sa voix éclata en cris rauques, et des convulsions violentes tordirent ses membres. Rien ne peut le consoler, car il sait qu'il ne peut plus vaincre; il veut qu'on l'ensevelisse vivant devant ses grenadiers, pour qu'il ne soit pas dit que l'ennemi aura vu reculer le général Souvorof. Cependant il jette les yeux sur cette armée si dévouée, plus consternée de la douleur de son chef qu'inquiète du danger qui la menace; il envisage les difficultés d'une retraite non moins glorieuse qu'une victoire, et dès lors son parti est pris. Il écrit à Korsakof qu'il arrive victorieux, lui ordonne, sous peine de la vie, de reprendre l'offensive, et, à cet ordre, les débris de l'armée vaincue, renforcés du corps de Condé, se retournent avec fureur contre les Français. Ce dernier engagement sérieux entre les Russes et les républicains eut lieu près de Diesenhofen. Un corps d'environ trois mille cavaliers chargea en plaine deux demi-brigades d'infanterie, comman dées par le brave général Lorge, qui, après l'avoir repoussé trois fois, le détruisit presque entièrement. Le

vainqueur de Zurich, le sauveur de la France, Masséna, marcha contre Souvorof et l'arrêta; pour cette fois, s'il n'eut pas la gloire de vaincre, il eut celle de faire rétrograder son rival. En vain il essaya de l'attirer hors des défilés qui le couvraient, dans l'espoir de faire prisonniers le général, le grand-duc Constantin qui faisait sous lui ses premières armes, et l'armée russe tout entière. Souvorof opéra sa retraite dans le plus bel ordre; il dut abandonner quelques bagages, quelques pièces d'artillerie, ses malades et ses blessés; mais le maréchal Mortier, chargé de le poursuivre dans le Muttenthal, ne put entamer que deux ou trois bataillons qui se dévouèrent pour sauver le reste de l'armée. Il faut dire, à l'honneur des Russes, que tous auraient accepté cette mission. La réputation de Souvorof restait intacte, mais la république triomphait; le prestige de l'invincibilité des Russes était dissipé, et la première retraite de Souvorof devait marquer sa dernière campagne. Il rejoignit à Lindau, puis à Augsbourg, les débris de l'armée de Korsakof. D'un autre côté, le duc d'York recueillait sur sa flotte ceux de la troisième armée. Les Anglo-Russes n'avaient pas été plus heureux en Hollande. Brune les défit à Castricum; le duc d'York venait de signer à Alkmaar la capitulation des troupes expéditionnaires. On s'accorde à dire que, dans cette campagne de Hollande, les Anglais sacrifièrent leurs alliés, dont la valeur, quelquefois heureuse, ne fut que faiblement secondée. C'est ainsi que tous les efforts de cette puissante coalition vinrent se briser contre le courage brillant d'un peuple dont elle s'était déjà partagé les dépouilles et le territoire; mais, par la force même des choses, à mesure que la nation française achetait, par des sacrifices inouïs, le droit de jouir de ses nouvelles institutions, elle entrait dans les conditions du despotisme militaire, d'autant plus dangereux qu'il apparaissait en sauveur et entouré de tous les prestiges de la gloire.

Si la joie de Paul avait été grande en apprenant les victoires de ses armées, son indignation ne connut point de bornes à la nouvelle de leurs désastres. Il cassa et flétrit en masse tous les officiers qui manquaient à l'armée, et ne daigna pas même s'occuper des simples soldats restés captifs en France, à la suite du combat de Castricum. Le tsar, comme s'il eût voulu faire peser sur le vainqueur de Novi la responsabilité des défaites de Zurich et de Castricum, le déclara coupable pour n'avoir pas exécuté certaines prescriptions des règlements militaires; bientôt il accusa ce même homme auquel il avait destiné une entrée triomphale et une statue, d'avoir contribué aux revers de l'armée, en prolongeant imprudemment son séjour en Italie; enfin, après quarante ans de succès, Souvorof se vit disgracié et sans commandement; le chagrin, dit-on, précipita sa fin; les regrets de l'armée et le témoignage éclatant que rendirent à son génie les généraux qui l'avaient combattu expièrent l'ingratitude du souverain. Nul mieux que lui ne sut conduire le soldat russe; doué de ce coup d'œil qui fait le grand capitaine, tacticien habile, et ayant deviné tous les secrets de la stratégie, il ajouta, par l'étude, aux qualites qu'il tenait de la nature; mais à l'instant même où il avait tout prévu et tout calculé, il paraissait ne céder qu'à un instinct guerrier et à une inspiration surnaturelle, moyens propres à impressionner puissamment les masses, mais qui, employés par la médiocrité, ne conduiraient qu'au ridicule. On a dit de lui qu'il pouvait être d'un tiers plus laconique que César, attendu qu'il triomphait toujours sans y voir. Sa belle retraite devant Masséna répond suffisamment à ce reproche, et prouve seulement que Souvorof regardait la confiance du soldat comme l'élément le plus indispensable du succès. Des hommes plus avancés que les Russes en civilisation n'ont pas été à l'abri de cette fascination, et Napoléon lui-même fut redevable de quelques-uns de ses triomphes à l'opi

nion qu'on avait de son infaillibilité.

Cependant Paul témoignait hautement son mécontentement de la conduite qu'avaient tenue ses alliés : il reprochait aux Autrichiens d'avoir abandonné Korsakof à ses propres ressources, et aux Anglais d'avoir mollement appuyé le général Herman à Castricum. Kobentzel et Witworth, ambassadeurs de Vienne et de Londres, durent essuyer les plus amères récriminations. L'envoyé de Danemark, qui s'était permis des réflexions plaisantes sur les emportements bizarres de l'autocrate, reçut le premier l'ordre de se retirer. Sans annoncer encore ses intentions à l'égard de la France, Paul rappela en Russie le reste des troupes expéditionnaires. Néanmoins il écrivait à Dumouriez, qui demandait à lui soumettre un nouveau plan de coalition: « Il faut que vous soyez le Monck de la France. » L'empereur flottait encore dans l'irrésolution, lorsque les empiétements de l'Autriche en Italie provoquèrent, de la part du cabinet de Pétersbourg, des explications qui entraînèrent une rupture; de leur côté, les Anglais, malgré les conventions, refusaient de restituer Malte au restaurateur de l'ordre de ce nom, et quoique cette î'e ne fût pas encore soumise, ils annonçaient l'intention de se l'approprier. Paul ne tarda pas à reconnaître que, dans cette prétendue guerre de principes, les coalisés exploitaient sa bonne foi chevaleresque, et n'avaient réellement en vue que leurs intérêts respectifs. Il rompit brusquement le traité qu'il avait conclu avec l'Angleterre par une mesure significative: il mit l'embargo sur tous les vaisseaux de cette puissance, et fit prisonniers de guerre les matelots des équipages.

Il ne négligea point l'appui des puissances contre lesquelles il n'avait point de griefs à alléguer : il resta l'allié du Portugal et de Naples, se rapprocha de la Suède et du Danemark; enfin ses relations avec la Prusse firent présager une prochaine réconciliation avec la France. Le premier consul, soit générosité, soit politique, renvoya à Paul

les prisonniers russes, et cette courtoisie flatta l'orgueil de Paul; on assure que la revue journalière de Bonaparte lui parut une imitation de sa watch-parade, et qu'il s'écria: « C'est pourtant un homme! » Aussi prompt dans ses déterminations qu'il était extrême dans ses affections, il envoya au premier consul une ambassade solennelle, et supprima la pension qu'il faisait aux Bourbons, leur enjoignant en même temps l'ordre de quitter Mittau. Il détermina le Danemark à fermer aux Anglais le Sund, et envoya une flotte pour appuyer cette mesure. Le traité de Lunéville, qui suivit la victoire de Moreau à Hohenlinden, venait d'assurer la neutralité de l'Autriche; et l'Angleterre, après des sacrifices énormes, se voyait réduite à supporter à elle seule tout le poids de la guerre. Il est évident que l'intérêt de l'Angleterre portait cette puissance à désirer un changement de gouvernement en Russie; mais il est difficile de déterminer la part qu'elle a prise à l'attentat qui a placé Alexandre sur le trône; a-t-elle profité du mécontentement des seigneurs, ou a-t-elle organisé elle-même le complot? Les documents qui pourraient résoudre cette grave question manquent à l'histoire; ce qui n'est point douteux, c'est que cette puissance fut au moins complice. « Le résultat de la bataille de Marengo, dit M. de Marcillac (Souvenirs de l'émigration), avait ajourné les espérances des royalistes; mais l'organisation dut toujours se continuer, afin d'agir au premier moment favorable. On savait d'avance, l'événement qui devait asseoir Alexandre sur le trône des tsars: l'époque en était désignée; il paraît même qu'un des cabinets de l'Europe avait compté sur cet événement pour ramener la Russie dans la coalition contre la France. Ce qui est certain, c'est que la mort de Paul Ier arriva juste à l'époque précédemment annoncée. Tout était mûr pour cette catastrophe; le caractère de l'empereur, aigri par les revers de ses armes et par une passion sans espoir, le poussait à des actes si bizarres et quelquefois si cruels que nul

de ceux qui l'approchaient ne pouvait compter sur le lendemain. Les faveurs étaient brusques et inattendues comme les disgrâces. Les bruits publics qui lui parvenaient par la police le jetaient dans de continuelles appréhensions; ces indices secrets, vrais ou faux, l'entraînaient de rigueurs en rigueurs, et le remplissaient d'une méfiance ombrageuse. Sa propre famille n'était pas à l'abri de ses soupçons, et la même voix qui venait d'éveiller ses craintes et d'irriter sa sévérité avertissait son épouse et les deux grandsducs du péril qui les menaçait. Le public, qui ignorait les motifs de l'empereur, le croyait en démence. Toute la ville était en état de suspicion; les visites domiciliaires à heure indue, des individus, des familles entières arrachés de leur demeure pour la déportation ou l'exil, la physionomie des habitants qui n'osaient pas même exprimer leurs craintes ou leur surprise, tout semblait annoncer que la perte d'un seul était nécessaire au salut commun. L'inflexibilité de Paul se roidissait contre ce sentiment de désaffection presque universel; cependant lorsqu'il croyait démêler quelque part le dévouement, il le couvrait d'or et de distinctions; mais ses faveurs étaient périlleuses, et l'élévation rendait la chute plus terrible. Pour échapper au regard de l'autocrate, quarante mille habitants abandonnèrent Pétersbourg; ceux que leur emploi ou des intérêts impérieux retenaient dans la capitale ne passaient qu'en tremblant, et la tête découverte, devant le palais de SaintMichel, où, comme un autre Louis XI, le sombre Paul, entouré de délateurs et de satellites, dressait ses listes de proscription.

Le despotisme, qui donne le pouvoir de tout faire, inspire souvent à ceux qui le subissent la hardiesse de tout oser. La perte de Paul fut résolue. On assure que lorsqu'il eut consenti à partager avec le premier consul la tâche de dicter des lois à l'Europe, il se fit apporter une carte, et que, tirant une ligne des sources de l'Oder à l'embouchure de ce fleuve, il s'écria: « Que tout ce

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