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moins utile, et que dans la grande capitale de la France vous saurez agir de manière à rendre stables les fruits que la France elle-même attend de vos glorieuses victoires. >>

A ce discours le général répondit d'une voix ferme quoique émue:

« Messieurs,

« En plaçant mon nom au Capitole, à côté de noms immortalisés par les siècles, vous m'accordez une récompense tellement disproportionnée à mes faibles mérites, que je serais écrasé par elle si cet insigne honneur s'adressait à ma seule individualité.

<< Mais vous avez voulu glorifier sous ces voûtes antiques, l'armée et la France elle-même dans la personne du général en chef.

J'accepte donc ce témoignage de votre bienveillante estime; je l'accepte pour mes compagnons d'armes, qui doivent entrer ici en partage

avec moi.

<< Pendant la campagne, dont la délivrance de Rome était le noble but, nous avons constamment mis en commun tous nos efforts, toute notre énergie. Aujourd'hui encore, soldats dévoués à la même cause, nous sommes réunis dans un profond sentiment de dévouement et de sympathie pour la population de ces belles contrées. Rome, ce grand foyer de la civilisation, ne saurait être

momentanément opprimée sans perturbation pour l'ordre social tout entier. Son indépendance est à la fois la première condition et la plus grande garantie de la paix du monde.

« La ville éternelle est libre aujourd'hui, elle a repris tout son empire, l'autorité temporelle du souverain Pontife est incontestée. Ce sont de graves événements, mais les secousses politiques entrainent toujours après elles des calamités qui ne peuvent entièrement disparaître, qu'avec l'aide du temps et le concours persévérant des hommes de cœur. Il reste donc à consolider ici une œuvre de rénovation qu'il serait dangereux de laisser incomplète. La discipline et l'attachement de l'armée française ne vous feront jamais défaut.

<< Pour moi, Messieurs, de loin comme de près, à Paris comme à Rome, je vous appartiens sans

réserve.

« Vous m'avez donné aujourd'hui des lettres de naturalisation qui m'imposent de grands devoirs, je m'efforcerai de les remplir.

<< Dès ce moment, je me considère comme Franco-romain: En présence des grands hommes qui du haut du ciel président à cette imposante solennité, j'aime à déclarer que je mettrai éternellement mon bonheur et ma gloire à consacrer toutes mes facultés au service de Rome, ma seconde et immortelle patrie.

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Un souper splendide avait été servi dans le grand salon; au milieu d'autres tables, il y en avait une de quatre-vingts couverts disposée avec art; au centre figuraient, comme ornements, l'Hercule de Busalte, les deux Centaures del Furietti, le Jupiter et l'Esculape. Au dessert, le général Oudinot porta ce toste: A Sa Sainteté et à la ville de Rome; le prince Pierre Odescalchi répondit: Au général en chef et à la victorieuse armée française.

Lorsque le duc de Reggio se retira, un magnifique spectacle s'offrit tout à coup à ses regards; des feux de Bengale de diverses couleurs illuminèrent subitement la façade du palais sénatorial et la haute tour du Capitole.

De son côté le peuple romain, et surtout les habitants du Transtévère, avaient pris l'initiative d'un témoignage non moins sympathique; ils avaient ouvert une souscription pour offrir au général, une épée d'honneur. Ce précieux gage de reconnaissance, chef-d'œuvre d'art, porte cette inscription:

AL GENERALE OUDINOT DUCA DI REGGIO, GLI AMICI

DELL ORDINE IN ROMA, ANNO MDCCCXLIX.

Dans le même temps, les Lyonnais prenaient l'initiative d'une souscription pour offrir au duc de Reggio, une épée dont le général peut se glorifier à juste titre. Cette arme d'honneur est à la

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fois un chef-d'oeuvre artistique et un monument de la foi catholique de la seconde ville de France. Dans l'état des choses, le rappel du général en chef fut une faute et un malheur; les Romains aussi bien que l'armée française le déplorèrent amèrement : l'armée perdait un chef aimé, les Romains perdaient un protecteur dévoué. Dans le but de consolider les rapports entre les habitants et les soldats, le duc de Reggio avait pris les mesures nécessaires pour faire exécuter, dans de larges proportions, des carrousels et des fêtes militaires; d'un autre côté, dans un intérêt général, il avait fait d'autres dispositions pour effacer à Rome toutes les traces de la guerre ; la partie des remparts renversée par le canon, devait être réparée sous la direction du génie français. Cette opération aurait eu le double avantage d'occuper un grand nombre de bras désœuvrés, et de rendre inexpugnable la ville occupée par nos troupes.

En quittant Rome, le général se rendit, le 25 août, à Gaëte, pour prendre congé du Saint Père, lui exprimer son opinion sur la situation générale, et réitérer ses instances sur l'opportunité du retour du souverain Pontife. L'entrevue dura plus d'une heure, l'accueil du pape fut affectueux et empressé. Déjà on avait vaguement appris à Gaëte que le lieutenant-colonel Edgar Ney avait apporté à Rome des instructions sur la politique à

suivre, La cour pontificale, celle de Naples et les diplomates étrangers, en étaient profondément inquiets. Le général Oudinot n'avait plus à intervenir, cependant il ne négligea rien, dans l'intérêt de la France, pour atténuer autant que possible des appréhensions dont les conséquences pouvaient être si funestes. « Votre nom, général, lui dit le Saint Père, votre nom est désormais intimement lié au mien. L'histoire n'aura pas assez d'éloges pour glorifier le grand événement que vous avez accompli avec autant de sagesse que d'énergie. Vous acheverez votre œuvre à Paris et ma paternelle bénédiction s'étendra toujours sur vous ainsi que sur tous les vôtres. »

Le Saint Père, qui avait créé spécialement pour le général en chef, une classe à part de l'ordre de Pie IX, lui en avait remis les insignes à son premier voyage. Les diamants précieux dont se composait la plaque lui avaient été envoyés en présent et sous une autre forme, par le Grand Seigneur de la Porte-Ottomane. En outre, il avait autorisé le général à lui proposer pour les décorations des ordres de Pie IX et de saint Grégoire-le-Grand, les officiers, sous-officiers et soldats des armées de terre et de mer, qui s'étaient le plus distingués; de plus, il promit de faire frapper, pour l'offrir à chaque soldat, une médaille commémorative en bronze.

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