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BIBLIOGRAPHIE

INTRODUCTION A LA TRADUCTION HONGROISE

DE L'EXPOSÉ POPULAIRE DU POSITIVISME

De Camille MONIER, par Samuel KUN.

I

Les vues et les principes du Positivisme, ainsi que les différentes applications aux problèmes de toute nature qui ont été tentées depuis quelque temps, occupent à juste titre une place de plus en plus importante dans les préoccupations des penseurs modernes. Dans les discussions, soit scientifiques, soit philosophiques, politiques et religieuses, on s'en rapporte fréquemment aux enseignements du Positivisme, les adhérents, pour y puiser des arguments, les adversaires pour le combattre. L'indifférence à son égard n'est plus de mise, la conspiration du silence qui a si longtemps entravé sa marche et son expansion est dissipée irrévocablement. Pour nous rendre compte de ce fait incontestable, point n'est besoin de citer le témoignage des auteurs favorables à notre doctrine. Une preuve bien plus convaincante à l'appui de notre thèse nous est fournie par les déclarations franches et loyales de nos adversaires, tant dans le camp catholique que dans celui des métaphysiciens. Voyons quelques-unes de ces opinions.

La Revue philosophique de Paris (1881, II, p. 542) s'exprime de la sorte : « Qu'on en soit le partisan ou l'adversaire, il est, à chaque époque, des doctrines dont la connaissance s'impose à tous les esprits cultivés. Tel fut au XVIIe siècle le Cartésianisme : tel est au XIXe siècle le Positivisme. A son égard, la lutte se comprend, les dissidences s'expliquent, l'ignorance ne se conçoit plus. Le P. Gruber, jésuite, qui, malgré ses convictions, évidemment contraires, a écrit des ouvrages consciencieux, pleins de renseignements sur le Positivisme, apprécie ce dernier dans ces

termes (1): « Les temps modernes ont produit une manière de penser spéciale qui a nom Positivisme. Celui-ci prétend être la philosophie du XIXe siècle et des temps à venir. La philosophie positive, selon le dire de ses partisans..., reste toujours et exclusivement sur le terrain des faits. Il applique seule la méthode qui mérite le nom de scientifique : l'observation; voilà pourquoi il mérite seul le titre de philosophie scientifique. Comme d'un côté il n'admet que des faits et des choses démontrables, et d'un autre côté il embrasse le domaine des sciences dans son entier, par ce fait seul toute autre philosophie devient superflue, et il doit être considéré comme philosophie finale, qui domine toutes les autres et qui ne sera jamais réfutée par aucune autre philosophie. Le Positivisme représente la pleine maturité de l'esprit humain. Ayant incorporé dans sa doctrine toutes les vérités accessibles à l'homme et fournissant au moyen de sa méthode infaillible le moyen le plus sûr pour trouver des vérités nouvelles et fertiles : pour toutes ces raisons la philosophie positive n'est autre chose que l'épanouissement de l'aurore de l'âge d'or de l'Humanité. » Il ressort clairement des exagérations mêmes de ce passage que le savant jésuite l'entend évidemment dans un sens ironique; mais le fait d'avoir consacré deux volumes, très bien faits du reste et remplis de renseignements précieux, à l'appréciation judicieuse du Positivisme prouve d'une façon évidente que le P. Gruber a dû prendre au sérieux au moins une partie du passage cité. Autrement on ne comprendrait pas le motif qui l'aurait poussé à s'en occuper, comme l'observe très bien le docteur Buday (2). Les Romains l'ont déjà dit : De minimis non curat Prætor.

M. Jules Kozary, curé catholique de Német-Boly, qui paraît avoir étudié assez consciencieusement les ouvrages d'Auguste Comte, bien qu'il manque quelque peu de jugement et de compétence, a publié dernièrement un ouvrage intitulé: La Philosophie contemporaine (3), très confus du reste et indigeste replâtrage des idées du P. Gruber, dont nous extrayons les passages suivants : « Le Positivisme s'est chargé de la tâche de mettre fin à l'anarchie de l'esprit moderne. Il prétend donner satisfaction aux naturalistes

(1) Voy. Auguste Comte, der Begründer des Positivismus. Sein Leben und Wirken. Freiburg i. Breisgau, 1889, Herder, Introduction, p. I.

(2) Esquisse d'une histoire du Positivisme. Athenæum, 1893, p. 561. Budapest.

(3) Korunk bölcselete, Cinq Eglises, 1892.

en attribuant le privilège de la philosophie aux généralisations des résultats scientifiques obtenus par l'investigation de la nature; puis réduire au silence le matérialisme, en affirmant que les problèmes des causes originelles et efficientes sont inaccessibles à l'intelligence humaine, que ceux qui s'occupent de spéculations de cette nature retombent forcément dans les rêveries de la théologie et de la métaphysique. Il offre aux cœurs épris de religion, comme consolation et édification, le culte et le service de l'Humanité. » (Introduction, p. VI.) Et ailleurs : « Ce système, du moins en tant que tendance générale, est actuellement bien plus vivace qu'il n'a jamais été et il a marqué de sa signature la pensée moderne. Les idées du Positivisme ont pétri et jeté dans un moule nouveau la manière de penser des contemporains et elles règnent en maître, pour ainsi dire, en dehors du camp catholique, tant de ce côté de l'Océan que de l'autre; elles ont pénétré dans l'enceinte de toutes les sciences, les belles-lettres même n'ont pu se soustraire entièrement à ce tourbillon. » (Ibid., p. VII.) « Pourtant nous apprécions à sa juste valeur les hautes capacités de Comte et nous ne contestons même pas le mérite de son œuvre; la philosophie tirée des six (recte: sept) sciences fondamentales qu'il a le premier constituées, ainsi que la méthode positive, méritent l'attention de tous les penseurs; nous reconnaissons la profondeur de sa philosophie des sciences et la justesse de sa critique méthodique. Nous reconnaissons également que le maître dépasse tous ses disciples et tous ses adhérents en sagacité philosophique, en génialité et en puissance coordinatrice. » (Ibid., p. 357.)

De ces quelques citations, tirées presque au hasard d'ouvrages critiques publiés récemment, il appert clairement que les auteurs catholiques, sans être précisément sympathiques au Positivisme, reconnaissent volontiers son importance et sa grande portée; il en est de même de quelques métaphysiciens qui daignent s'en occuper. Mais il y a une chose bien évidente: c'est que peu de personnes connaissent le Positivisme à fond. Ceux qui en parlent restent habituellement à la surface des choses, sans pénétrer plus avant dans la matière. On se contente de quelques lieux communs, d'approximations très vagues et très indéterminées; on confond le plus souvent le Positivisme avec une foule d'autres doctrines philosophiques, voire de courants littéraires, esthétiques et autres qui ne s'y rapportent que de très loin ou mème point du tout, telles que le naturalisme, l'agnosticisme, l'évolutionnisme et beaucoup d'autres.

Il faudrait donc, avant d'aller plus loin, tâcher de savoir au

juste ce que c'est que le Positivisme. Ici surgit une première difficulté : il est presque impossible de trouver une définition qui, en quelques formules, en donne une idée même approximative. Et la raison, c'est que le Positivisme n'est pas une chose aussi simple que beaucoup de personnes s'imaginent. Bien au contraire, nous sommes en face d'un système ou si vous aimez mieux d'une synthèse — très compliqué, assez difficile à saisir dans tous ses recoins, formant un ensemble complet, organique et rigou reusement déduit et coordonné. En effet, le Positivisme embrasse toutes les manifestations de l'existence humaine, individuelle et collective les pensées, les sentiments et les actes; en d'autres termes c'est une philosophie, une politique et une religion. Et dans ce triple domaine, les nouvelles conceptions originales, les idées suggestives, les vues générales pullulent, reliées par une méthode sui generis, ou plutôt par tout un ensemble de méthodes rigoureuses. A telle enseigne que quiconque négligerait un seul chainon de cette chaîne de raisonnements, de vues et de principes ne pourrait guère se flatter d'avoir une idée juste de l'ensemble du Positivisme.

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A cette difficulté déjà considérable s'en ajoute une autre non moins embarrassante. C'est celle-ci : le Positivisme ne possède pas encore l'avantage d'être constitué en un corps de doctrine en un canon, s'il est permis de se servir de ce terme définitif; mais on est obligé de recourir, pour chaque problème qui surgit, aux ouvrages du fondateur, d'Auguste Comte, surtout aux derniers en date, ou bien encore à s'aider de quelques traditions verbales transmises aux disciples de la première heure. Car il n'est peut-être pas inutile d'observer ici que le Positivisme n'est point sorti d'emblée — comme jadis Minerve de la tête de Jupiter selon la mythologie du puissant cerveau d'Auguste Comte; mais, au contraire, comme toute création humaine, il est le produit d'une évolution individuelle, aussi bien que collective, et ce n'est qu'à force d'améliorations, de modifications successives qu'il est devenu cette construction admirable, unique dans l'histoire de la pensée humaine. Il était inévitable, indispensable même, qu'au cours de l'évolution individuelle de son illustre auteur, certaines conceptions subissent des modifications; que d'autres, d'un plan secondaire, s'accentuassent davantage. Pendant le passage décisif de la Philosophie à la Politique positive, notamment tout un ensemble d'idées, de vues, d'applications et de conclusions s'est dégagé, qui a donné, avec le fonds, la forme définitive à la doctrine. Il s'ensuit, en somme, qu'il est extrêmement difficile de s'assimiler

l'esprit, la méthode et surtout l'habitude de penser positivistes; et la difficulté devient encore plus grande pour celui qui voudrait donner de l'ensemble de la doctrine un résumé populaire. Quand on se rend bien compte de cette série de difficultés à surmonter, on saura gré à l'auteur de cet Exposé, que nous soumettons au lecteur, d'avoir entrepris cette tâche écrasante qui mérite tous les éloges, s'il a réussi à donner une idée même approximative de l'ensemble de la doctrine positiviste.

II

Nous avons dit que, pour connaître à fond le Positivisme, il faut, à côté de la doctrine, avoir une idée de l'évolution individuelle de son illustre fondateur et de son principal disciple. Avant tout il nous faut donner une esquisse de la vie et de l'œuvre de l'illustre penseur dont le puissant génie coordonnateur a créé ce monument unique de la sagacité humaine. (Ici suivent quelques détails biographiques sur Auguste Comte et M. Pierre Laffitte, que nous supprimons comme étant suffisamment connus des lecteurs de cette Revue.)

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III

Voilà l'ébauche aussi sommaire que possible de l'évolution propre du Positivisme envisagé en quelque sorte comme le développement personnel d'Auguste Comte et de son premier successeur. C'est dans les ouvrages cités que se trouvent les matériaux où ceux qui éprouvent le désir de connaître le Positivisme, comme ceux qui ont la prétention de le critiquer, devront principalement, pour ne pas dire exclusivement, puiser.

Il serait pourtant injuste de passer sous silence entièrement les travaux de l'école positiviste « orthodoxe », tant du groupe français que des groupes anglais, suédois, etc. Ces travaux visent en général à développer certains côtés de la doctrine ou bien à vulgariser les enseignements du Positivisme. Ces travaux ont paru soit en forme de volumes ou de brochures, ou bien dans la Revue Occidentale et la Positivist Review, organes des groupes français et anglais. Il va sans dire que les auteurs de ces ouvrages, dont il nous est impossible de donner ici l'énumération, sont trop imbus de la piété due à la construction monumentale du maître, pour se permettre des modifications essentielles ou une critique irrévérencieuse.

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