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Article unique.

Il est ouvert au ministre de l'intérieur un crédit extraordinaire de 1,200,000 francs pour complément de dépenses secrètes de l'année 1833. Au palais des Tuileries, le 1er avril 1833. Signé LOUIS-PHILIPPE.

Par le roi :

Le pair de France, ministre secrétaire d'Etat de l'intérieur et des cultes,

Signé Comte D'ARGOUT.

M. le Président. La Chambre donne acte au ministre du roi de la présentation du projet de loi, ensemble de la remise de l'exposé des motifs dont elle ordonne l'impression et la distribution.

M. le Président. Nous reprenons la discussion du projet de loi portant règlement définitif du budget de 1830. Quelqu'un demande-t-il encore la parole sur l'ensemble du projet de loi en discussion?

M. le marquis de Dreux-Brézé. Je l'avais demandée, mais j'y renonce.

M. le Président. Je vais donc appeler la délibération de la Chambre sur les articles.

§ 1er. Fixation des dépenses.

Art. 1er. Les dépenses ordinaires et extraordinaires de l'exercice 1830, constatées dans les comptes de cet exercice, rendus par les ministres et résumés dans le compte général des finances publié pour l'année 1831, y compris le payement des 4,848,905 francs, irrégulièrement autorisés par l'ordonnance du 30 novembre 1830, laquelle dépense est admise à raison de la gravité des circonstances, sont arrêtées, conformément au tableau A ci-annexé, à la somme de un milliard cent millions neuf cent quatrevingt-deux mille cent quarante-sept francs, ci......

La commission propose d'amender ainsi ce preinier paragraphe.« Après les mots, gravité des circonstances, ajouter (sauf examen, imputation ou répétition des sommes ou valeurs provenant des envois du gouvernement d'Haïti, conformément aux conditions de la garantie confirmée par la décision du roi du 29 novembre 1829. »

Le surplus comme au projet.

Le payements effectués sur le même exercice jusqu'au 1er décembre 1831, sont fixés à un milliard quatre-vingtquinze millions cent quarante

1,100,982,147 fr.

deux mille cent quinze fr., ci. 1,095,142,115

Et les dépenses restant à payer, à cinq millions huit cent quarante mille trentedeux francs, ci..

5,840,032 fr.

Les payements qui pourraient être faits sur des créances appartenant à l'exercice 1830, seront portés en dépense au compte de l'exercice

courant, au moment où ces payements auront lieu jusqu'à l'expiration du terme de déchéance, fixé par l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831. Quelqu'un demande-t-il la parole sur cet article?

M. le comte Boissy-d'Anglas. Je la demande.

M. le Président. M. le comte Boissy-d'Anglas a la parole.

M. le comte Boissy-d'Anglas. Messieurs, au moment où tant de voix proclament que notre situation financière présente les symptômes les plus alarmants; au moment où, de toutes parts, l'on s'accorde à reconnaître que la réduction dans les charges publiques est l'un des besoins les plus impérieux de notre époque, devez-vous approuver les avances faites aux adjudicataires de l'emprunt d'Haïti? devez-vous consentir à des dépenses que l'équité désavoue, et que n'a point commandées l'intérêt général? Comment ces adjudicataires pourraient-ils réussir dans le dessein de faire servir les deniers de l'Etat à l'accomplissement de leurs obligations personnelles? Il faut l'avouer hautement, un tel succès ne deviendrait possible qu'autant que les différents pouvoirs qui composent l'autorité souveraine envelopperaient dans un criminel oubli les formes conservatrices de la fortune publique, les règles les plus vulgaires de la comptabilité, les principes les plus évidents de notre législation.

Il est irrécusable, il est hors de tout débat que les adjudicataires de l'emprunt n'avaient affaire qu'au gouvernement d'Haïti; que ce fut à leurs risques et périls qu'ils échangèrent leurs capitaux contre les valeurs haïtiennes; que dans son origine cette négociation était, en réalité comme en droit, complètement étrangère à notre gouvernement, et que, de sa nature, elle ne constituait, elle ne constitue encore qu'un simple intérêt privé.

Devait-on s'attendre, dès lors, à cette étrange prétention de faire intervenir la fortune publique dans une affaire qui ne concerne que des particuliers; devait-on croire que les ressources de l'Etat seraient abandonnées à des exigences aussi avides qu'elles sont injustes, aussi excessives qu'elles sont déraisonnables.

Sous quels fondements élève-t-on ces indiscrètes espérances? uniquement sur la garantie obtenue d'un ministre qui, promoteur de l'affranchissement d'Haïti, commençait avec cet acte la longue nomenclature des mesures d'Etat qu'il avait mission d'exécuter; d'un ministre qui, par l'insuccès de sa première tentative, se voyait, dès l'abord, arrêté dans la carrière que si témérairement il s'était promis de parcourir; d'un ministre qui, ayant le plus grand intérêt à dissimuler les premiers obstacles rencontrés par sa politique, exerçait alors une trop haute influence pour ne pas adopter l'espoir que le bénéfice du temps le mettrait à portée de les applanir.

Mais qu'importe les motifs qui commandèrent une garantie tour à tour accordée avec tant de condescendance, et refusée avec une fermeté si honorable, si digne de mériter nos éloges et de conquérir notre estime? Ce qui importe, et ce qui importe seulement, c'est ce que nous ne pouvons douter, c'est que nous sommes pleinement convaincus que cette garantie ne possède aucune valeur et qu'elle ne saurait en aucune sorte engager le Trésor public. Ce principe, d'une vérité

si évidente, d'une équité si facile à reconnaître, ne suffit-il pas à détruire les sophismes qu'un zèle plus ardent qu'éclairé, qu'une bienveillance plus empressée qu'habile eût mis en usage pour porter les pouvoirs publics à regarder ces dépenses comme légitimes, à les revêtir d'une trop facile, d'une trop complaisante approbation.

Pouvait-on croire que des doctrines funestes à nos finances, des doctrines condamnées également et par la raison et par la simple droiture, rencontreraient des soutiens parmi les dépositaires du pouvoir, et qu'elles sauraient, en cette occasion, parvenir à un commencement de succès? Faut-il en effet apprendre à des jurisconsultes renommés par leurs lumières, à des financiers connus par la supériorité de leurs talents, à des législateurs doués d'une longue expérience, faut-il leur apprendre que les ministres sont des mandataires, et que du moment qu'ils excèdent leurs pouvoirs, leurs actes demeurent frappés de nullité? Faut-il leur redire cet axiôme de la sagesse la plus triviale qu'un acte nul est regardé comme non-avenu, et que jamais il ne doit produire d'effet, que jamais il n'est permis d'en obtenir quelque résultat; faut-il leur rappeler que la volonté supérieure à la volonté des ministres, que la puissance législative a clairement, a formellement déterminé les règles de notre droit public qui régissent les dépenses de l'Etat; qu'elle n'a voulu cette volonté souveraine que pour devenir légales, le préliminaire indispensable aux dépenses publiques est de posséder le suffrage des deux Chambres? Que cette formalité ne peut être négligée que dans les circonstances où l'intérêt général ne permet pas d'attendre l'intervention législative, mais que dans ces cas extraordinaires, dans ces cas d'une nécessité absolue, ces dépenses sont autorisées par une ordonnance royale qui doit dans leur session la plus prochaine être déférée aux deux Chambres et devenir l'objet de leur assentiment ou de leur réprobation.

Lorsque même, ce qui n'est pas, ce qui ne saurait être, lorsque cette garantie que l'on invoque posséderait quelque efficacité, il ne fallait pas du moins la méconnaître dans ses termes et la dénaturer dans ses effets; il ne fallait pas, au gré du plus hardi caprice, assujettir le Trésor de l'Etat à des obligations plus onéreuses, plus importunes que les obligations qui lui furent primitivement imposées; il ne fallait pas encourir le reproche, difficile à détruire, d'avoir voulu moins exécuter une décision antérieure que, par des dérogations graves dans leurs conséquences, donner à cette décision tous les caractères d'un acte récent, toute la réalité d'une détermination propre au nouveau gardien de la fortune publique.

S'appuyait-on sur la garantie déjà existante; mais alors pourquoi ne pas en respecter les clauses? pourquoi, surtout, ne pas attendre avec quelque patience le terme des 5 ans si formellement stipulé? était-ce une garantie nouvelle que voulait accorder le pouvoir ministériel? mais dans cette hypothèse moins opposée à la nature des actes, moins féconde en contradictions, pourquoi s'autoriser encore de décisions que l'on s'est empressé d'enfreindre lorsqu'elles ne livraient pas avec assez de promptitude les deniers publics aux nécessités privées qui les attendaient?

Toutefois, ce fait énorme, merveilleux même, d'un ministre des finances, disposant sans consulter les Chambres alors assemblées, des res

sources de l'Etat et les appliquant, d'après les inspirations de sa fantaisie, à des besoins autres que les besoins publics, trouverait-il son excuse dans la considération que les actes de l'autorité exécutive avaient créé des droits au profit des tiers, au profit des adjudicataires. Mais ces actes, quel que soit celui d'entre eux que l'on inter roge, dépourvus du suffrage des pouvoirs, qui seuls peuvent obliger l'Etat, ne sont-ils pas sans légalité, sans puissance? Ne sont-ils pas complètement nuls ? N'est-il pas reconnu par notre législation que le mandataire sorti de ses pouvoirs ne peut engager ni celui pour lequel il agit, ni celui avec lequel il contracte? N'est-il pas admis par cette même législation que le tiers de bonne foi n'a de recours que contre le mandataire, et seulement dans le cas où il aurait ignoré l'étendue des pouvoirs de ce même mandataire? Cependant, peut-on prétendre que dans notre forme de gouvernement, que d'après la publicité accordée aux débats et aux résolutions de la puissance législative, les adjudicataires de l'emprunt ignoraient l'étendue et les limites de l'action ministérielle? Ne serait-ce pas soutenir que le ministre, auteur de l'ordonnance du 30 novembre 1830, ne connaissait ni les devoirs ni l'autorité d'un ministre des finances?

Est-on plus heureux en invoquant l'obligation prétendue de cacher la détresse de la place? Mais cette détresse était-elle occulte? était-elle ignorée encore lorsque dans le mois antérieur de la même époque, elle provoquait la loi du 17 octobre, la foi qui accordait au commerce un secours de 30 millions? Certes! il fallait qu'elle fût bien connue, bien évidemment démontrée cette détresse de la place, il fallait qu'elle préoccupât puissamment l'opinion publique pour vous conduire à faire servir les fonds des contribuables à payer les dettes des commerçants, pour vous prescrire l'abandon d'une somme aussi importante, pour vous commander d'accorder à l'administration générale le droit d'en disposer sans contrôle et sans responsabilité veritable.

Alors on ne demandait point le secret sur la détresse de la place; alors on était loin de prétendre que ce secret fùt nécessaire, qu'il présentât quelque avantage. Le public aussi bien que les Chambres, aussi bien que les ministres, faisaient de notre situation commerciale le tableau le plus triste, le plus douloureux. Ne devonsnous pas, par conséquent, chercher ailleurs la nécessité de se renfermer dans le silence, de n'agir qu'avec un profond mystère, que s'est imposé l'administration du 2 novembre à l'égard de l'emprunt d'Haïti? ne devons-nous pas attribuer à d'autres causes cette ardente sollicitude, cette utile bienveillance que les adjudicataires de cet emprunt inspiraient au gouvernement? ne devons-nous pas du moins reconnaître, et reconnaître sans hésitation, que les avances qui leur ont été faites ne furent commandées ni par l'équité ni par l'intérêt général, et dès lors ne vous est-il pas imposé de vous armer en ce moment de cette sévérité qui, plusieurs fois, vous a rendus formidables à quiconque entreprit de forcer le Trésor public, et d'envahir les ressources de l'Etat?

Si les diverses assertions que je viens d'émettre renferment quelque justesse, si elles se trouvent en harmonie avec notre droit public, avec l'esprit de nos institutions politiques, il s'ensuivrait, par une conséquence immédiate que le rapport de votre commission a resserré, dans

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signées, dans les annales de l'histoire, avec les paroles de ce roi de France, qui disait que si la bonne foi était exilée de dessus la terre, elle devrait trouver un asile dans le cœur des rois.

« Je ne dois sans doute de faveurs qu'à mes amis; mais je dois la justice même à ceux qui se disent mes ennemis. Examinez l'affaire en conseil, et vous me proposerez ce qu'il aura reconnu juste et utile. »

L'affaire fut, en effet, examinée en conseil, et je ne dois pas laisser ignorer que, dans ce conseil, siégeait un magistrat distingué, dont l'opinion devait avoir d'autant plus de poids qu'il était appelé, par ses fonctions, à présider le conseil d'Etat, où sa courte apparition a laissé de profonds souvenirs. Le conseil, après avoir donné à cette affaire la plus sérieuse attention, reconnut unanimement que la garantie donnée et répétée à plusieurs reprises par M. le comte de Villèle était formelle et positive, et qu'elle ne pouvait rester illusoire et sans effet; qu'elle avait été donnée dans un grand intérêt politique, celui de soutenir le crédit d'un Etat qui ne pouvait satisfaire que par cette voie aux engagements qu'il avait contractés envers la France; que, dans l'état où se trouvait la négociation avec Haïti, et celle pour l'emprunt de 80 millions, déjà annoncée par les journaux, il y aurait un grave inconvénient à laisser juger un procès qui, quel que fùt son résultat, pouvait compromettre l'une et l'autre; qu'il était plus convenable de négocier avec la compagnie la prorogation de la garantie qui était venue à terme, à 4 ou 5 années, attendu que, dans cet intervalle, et suivant toutes les probabilités, elle ne serait plus nécessaire; que, dans tous les les cas, on serait à même de soumettre la question aux Chambres pour en obtenir le crédit nécessaire, si cela, contre toute vraisemblance, devenait indispensable.

C'est dans ce sens, Messieurs, que fut rédigé le rapport au roi, dont je ne citerai que quelques lignes :

«Les droits des réclamants sont fondés sur des titres clairs et précis; ils sont appuyés sur la justice et la bonne foi. Le ministre n'a point entendu donner des promesses illusoires; il n'a pu calculer que sur un retard de la part du gouvernement d'Haïti; et c'est avec la confiance que ce retard n'aurait aucun inconvénient pour le trésor de France, qu'il a engagé les adjudicataires de l'emprunt à faire les avances jugées utiles dans le moment où elles ont été acceptées. La question me paraît être encore la même. Je ne pense pas que les intérêts du Trésor scient compromis. Ils ne pourraient l'être qu'autant qu'Haïti ne se libérerait pas; mais tout annonce de sa part des intentions loyales, et il est à croire qu'avec des délais la somme de 4,497,500 francs sera remboursée en capital et en intérêts.

«En cet état de choses, et pour terminer toute discussion sur une affaire qui touche de si près au crédit public, il convient de prolonger le terme où la garantie du gouvernement pourrait avoir son effet. C'est, je crois, se donner les moyens d'arriver à l'époque où elle ne sera plus nécessaire.

« Dans la conviction où je suis qu'il n'est pas possible de contester la validité des garanties assurées à la compagnie adjudicataire de l'emprunt d'Haïti, je pense qu'il est de la dignité et de la justice du gouvernement du roi de les reconnaître, mais de reporter à 4 ou à 5 années le terme après lequel elles pourront être réclamées, sous la condition toutefois que les

envois et remises d'Haïti seront, avant tout, exclusivement appliqués au remboursement des avances faites pour son compte.

« J'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté d'approuver que je réponde, d'après ce principe, aux réclamations de la compagnie, et que je traité avec elle d'une prolongation qui, en maintenant ses sûretés, conciliera ses intérêts avec les convenances du trésor royal. »

« Les conclusions de ce rapport furent approuvées par le roi, et il fut écrit en conséquence aux adjudicataires de l'emprunt la lettre suivante (le 8 décembre 1829):

«La compensation des avances que vous aviez faites, Messieurs, pour le compte du gouvernement d'Haïti, n'ayant pu s'effectuer avec le prêt que vous aviez reçu de la caisse des dépôts et consignations, vous avez réclamé auprès de M. le comte Roy, mon prédécesseur, l'effet des garanties qui vous avaient été données par M. le comte de Villèle, alors président du conseil et ministre des finances, garanties qui devaient vous assurer la rentrée de 4,497,200 francs, montant, sauf examen et non compris les intérêts échus postérieurement du solde de votre compte avec Haïti. M. le comte Roy vous avait fait connaître, par une lettre du 21 décembre 1826, que, sans vouloir altérer les droits que vous croyiez pouvoir faire résulter de la correspondance de M. de Villèle, il ne pensait pas qu'il lui appartint d'approuver ou de confirmer les garanties qu'elles contenaient. A mon arrivée au ministère, il n'avait pas été prononcé sur votre réclamation, vous l'aviez renouvelée auprès de moi. J'ai jugé comme mon prédécesseur que je ne pouvais rien décider sur cette affaire de ma seule autorité. J'ai cru devoir la porter à la connaissance du roi, et prendre les ordres de Sa Majesté.

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J'ai l'honneur de vous informer qu'une décision royale du 29 novembre dernier, rendue sur mon rapport, m'autorise à reconnaître la validité de la garantie que vous a donnée M. le comte de Villèle, en sa qualité de président du conseil et de ministre des finances, par ses lettres des 5 décembre 1826, 31 mai, 4 septembre et 27 décembre 1827, et aux conditions qui y sont stipulées pour le capital et les intérêts, à l'exception de la compensation devenue sans objet par le remboursement que vous avez effectué des fonds qui vous avaient été remis par la caisse des dépôts et consignations.

Je vous confirme donc ces mêmes garanties, mais sous la réserve que la compagnie ne pourra en réclamer l'effet au Trésor royal avant le 31 décembre 1834, et de plus sous la condition expresse que toutes les remises et tous les envois du gouvernement d'Haïti seront, exclusivement et avant tout, appliqués au remboursement des avances dont il s'agit, en capital et inte intérêts.

<< Il demeure entendu que le gouvernement français restera étranger à toutes les répétitions que vous pourriez avoir à faire sur Haïti pour intérêts excédant le taux de 4 0/0 consentí par M. le comte de Villèle, et pour commissions ou frais de toute nature.

« Je ne doute pas, Messieurs, de votre acquiescement aux stipulations ci-dessus énoncées. Je vous prie de vouloir bien me le faire connaître, en m'accusant réception de la présente.

Par lettre du 10 octobre, les contractants de l'emprunt accusèrent réception de cette lettre,

et déclarèrent qu'ils en acceptaient toutes les conditions.

Telles sont, Messieurs, les explications que j'ai cru devoir donner à la Chambre. Elle les pèsera dans sa justice. Tout en reconnaissant un engagement formel et positif, et que dans mon opinion on ne pouvait nier sans porter une atteinte grave au crédit public, il avait été pris des mesures qui, dans l'ordre naturel des choses, devaient éviter au Trésor toute responsabilité. Des circonstances sont survenues qui ont fait penser que d'autres mesures devenaient nécessaires.

Elles sont étrangères à mon administration, et je n'ai point à m'expliquer sur elles. Les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu, les considérations qui les ont motivées, ont été appréciées par la Chambre des députés. La somme payée a été admise avec une sorte de réserve qui consacre le principe qu'aucun fonds ne doit sortir du Trésor sans un crédit législatif. Votre commission elle-même, par des motifs qu'elle a cru devoir consigner dans le rapport que vous avez entendu, en propose également l'admission. Je ne puis que réunir mon suffrage à ceux qui ont été exprimés, et aux motifs sur lesquels ils se sont appuyés. Mon seul but, en montant à cette tribune, a été d'expliquer la part que j'ai été dans le cas de prendre à une transaction que j'ai cru conforme aux règles de la justice et aux intérêts bien entendus du crédit. J'ai le regret sans doute de n'avoir pu partager sur tous les points la manière de voir de mon prédécesseur. Plus que personne je rends hommage à sa haute capacité. Mais si, dans une question administrative ou financière, je serai toujours disposé à déférer à ses lumières et à son expérience; dans une question contentieuse, je ne chercherai jamais les motifs de ma décision que dans mes propres convictions. Peut-être pourraient-elles quelquefois m'égarer, mais ce serait au moins avec conscience et bonne foi.

Messieurs, il est sans doute des circonstances délicates dans lesquelles un ministre peut se trouver placé entre la crainte d'engager sa responsabilité, et celle de compromettre des intérêts plus graves dont le soin lui est confié. S'il pouvait hésiter, il répondrait bien peu à la confiance du prince et à celle du pays. Il sait sans doute qu'il peut être appelé à justifier des motifs de sa conduite devant les Chambres; mais il sait aussi que s'il ne peut pas toujours espérer d'y trouver de la faveur, il est toujours sûr d'y trouver de la justice. C'est là, en effet, que les intentions sont jugées et appréciées; et quand il y a conviction. qu'elles n'ont été dirigées que par des motifs que la loyauté et l'intérêt du pays peuvent avouer, les Chambres, même en ne donnant point leur assentiment, ne refuseraient pas leur estime à un ministre qui aurait cru que l'intérêt de l'Etat devait passer avant l'intérêt de sa propre responsabilité.

Je suis loin, au surplus, de regarder la somme payée par le Trésor comme perdue et même comme compromise. Je dois à la justice de déclarer que dans toutes les relations qui se sont établies entre le gouvernement français et le gouvernement d'Haïti jusque dans les premiers mois de 1830, il y a eu bonne foi, et désir sincère, de part et d'autre, d'arriver à un arrangement qui pût concilier les conditions qui avaient été convenues avec les moyens et les facultés d'Haïti. A la vérité, le chef de ce gouvernement ne voulait pas séparer les intérêts de l'emprunt qu'il avait contracté de ceux du

restant à payer sur l'indemnité elle-même. Cette intention est juste; et le gouvernement, qui sait que les fonds de cet emprunt sont déposés dans une caisse qui ne lui est pas étrangère, et qu'ils sont destinés à satisfaire à un grand intérêt politique, ne doit pas le vouloir non plus. Tout porte donc à croire que des arrangements amiables interviendront dans une affaire qui dure depuis trop longtemps. Le chef du gouvernement haïtien réfléchira, sans doute, qu'un Etat qui veut entrer, dans les voies de la civilisation ne commence pas par une banqueroute et une violation flagrante de ses obligations; et s'il pouvait l'oublier, la dignité et la grandeur de la France suffiraient, sans doute, pour le lui rappeler. Comme dans les conditions proposées à la compagnie et acceptées par elle, tous les envois d'Haïti, sans exception, doivent servir à couvrir la dette du Trésor, ce n'est pas, sans doute, porter trop loin ses espérances que de croire qu'un aussi faible acompte sur une aussi forte créance puisse être incessamment recouvré: et je ne doute pas que le gouvernement ne regarde cet objet comme digne de ses plus sérieuses méditations.

M. le Président. M. le ministre de l'intérieur a la parole pour une communication du gouvernement (Crédit extraordiaire pour dépenses secrètes).

M. le comte d'Argout, ministre de l'intérieur et des cultes. Messieurs, la nécessité d'assurer la tranquillité intérieure de l'Etat et de la défendre contre des tentatives coupables avait fait sentir au gouvernement le besoin de réclamer des Chambres, en 1832 comme en 1831, un crédit supplémentaire pour dépenses secrètes.

Si l'ordre de choses actuel s'est depuis consolidé; si les efforts désespérés des partis sont venus échouer contre l'imposante barrière de la volonté nationale, une surveillance active et étendue n'en demeure pas moins commandée par les circonstances. L'émeute a disparu de nos places publiques; mais les factions trahissent encore chaque jour le secret de leurs criminelles espérances. Vous ne voudrez pas, Messieurs, laisser le pouvoir désarmé en présence des menées qu'elles proclament elles-mêmes. Votre patriotisme ne voudra pas laisser son ouvrage imparfait.

Toutefois, Messieurs, la fermeté du gouvernement nous permettra, nous en avons l'espérance, de réduire chaque année ces allocations qué nous nous efforcerons toujours de limiter avec la plus sévère économie. Et déjà, pour 1833, les dépenses secrètes présentent une diminution de 1,600,000 francs sur celles de 1832, à moins que les nécessités du service ne nous forcent à éténdre les dépenses jusqu'au chiffre que nous avions d'abord demandé et sur lequel nous avions basé nos calculs. Cet heureux résultat, que l'avenir consolidera et agrandira sans doute, nous le constatons, Messieurs, non pas seulement avec cette satisfaction que nous éprouverons toujours à voir s'alléger les charges des contribuables, mais avec la confiance que nous inspirent les progrès et l'affermissement de l'esprit public. Il y a, Messieurs, dans ce concours, dans cette intime sympathie du pouvoir et de la nation, une force et une puissance devant lesquelles viendront se briser de folles espérances et d'impuissants regrets, mais sur lesquels nous sommes condamnés à veiller encore. Nous venons vous en demander les moyens.

signées, dans les annales de l'histoire, avec les paroles de ce roi de France, qui disait que si la bonne foi était exilée de dessus la terre, elle devrait trouver un asile dans le cœur des rois.

« Je ne dois sans doute de faveurs qu'à mes amis; mais je dois la justice même à ceux qui se disent mes ennemis. Examinez l'affaire en conseil, et vous me proposerez ce qu'il aura reconnu juste et utile. »

L'affaire fut, en effet, examinée en conseil, et je ne dois pas laisser ignorer que, dans ce conseil, siégeait un magistrat distingué, dont l'opinion devait avoir d'autant plus de poids qu'il était appelé, par ses fonctions, à présider le conseil d'Etat, où sa courte apparition a laissé de profonds souvenirs. Le conseil, après avoir donné à cette affaire la plus sérieuse attention, reconnut unanimement que la garantie donnée et répétée à plusieurs reprises par M. le comte de Villèle était formelle et positive, et qu'elle ne pouvait rester illusoire et sans effet; qu'elle avait été donnée dans un grand intérêt politique, celui de soutenir le crédit d'un Etat qui ne pouvait satisfaire que par cette voie aux engagements qu'il avait contractés envers la France; que, dans l'état où se trouvait la négociation avec Haïti, et celle pour l'emprunt de 80 millions, déjà annoncée par les journaux, il y aurait un grave inconvénient à laisser juger un procès qui, quel que fùt son résultat, pouvait compromettre l'une et l'autre; qu'il était plus convenable de négocier avec lá compagnie la prorogation de la garantie qui était venue à terme, à 4 ou 5 années, attendu que, dans cet intervalle, et suivant toutes les probabilités, elle ne serait plus nécessaire; que, dans tous les les cas, on serait à même de soumettre la question aux Chambres pour en obtenir le crédit nécessaire, si cela, contre toute vraisemblance, devenait indispensable.

C'est dans ce sens, Messieurs, que fut rédigé le rapport au roi, dont je ne citerai que quelques lignes :

«Les droits des réclamants sont fondés sur des titres clairs et précis; ils sont appuyés sur la justice et la bonne foi. Le ministre n'a point entendu donner des promesses illusoires; il n'a pu calculer que sur un retard de la part du gouvernement d'Haïti; et c'est avec la confiance que ce retard n'aurait aucun inconvénient pour le trésor de France, qu'il a engagé les adjudicataires de l'emprunt à faire les avances jugées utiles dans le moment où elles ont été acceptées. La question me paraît être encore la même. Je ne pense pas que les intérêts du Trésor scient compromis. Ils ne pourraient l'être qu'autant qu'Haïti ne se libérerait pas; mais tout annonce de sa part des intentions loyales, et il est à croire qu'avec des délais la somme de 4,497,500 francs sera remboursée en capital et en intérêts.

«En cet état de choses, et pour terminer toute discussion sur une affaire qui touche de si près au crédit public, il convient de prolonger le terme où la garantie du gouvernement pourrait avoir son effet. C'est, je crois, se donner les moyens d'arriver à l'époque où elle ne sera plus nécessaire.

<< Dans la conviction où je suis qu'il n'est pas possible de contester la validité des garanties assurées à la compagnie adjudicataire de l'emprunt d'Haïti, je pense qu'il est de la dignité et de la justice du gouvernement du roi de les reconnaître, mais de reporter à 4 ou à 5 années le terme après lequel elles pourront être réclamées, sous la condition toutefois que les

envois et remises d'Haïti seront, avant tout, exclusivement appliqués au remboursement des avances faites pour son compte.

« J'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté d'approuver que je réponde, d'après ce principe, aux réclamations de la compagnie, et que je traité avec elle d'une prolongation qui, en maintenant ses sûretés, conciliera ses intérêts avec les convenances du trésor royal. »

« Les conclusions de ce rapport furent approuvées par le roi, et il fut écrit en conséquence aux adjudicataires de l'emprunt la lettre suivante (le 8 décembre 1829):

« La compensation des avances que vous aviez faites, Messieurs, pour le compte du gouvernement d'Haïti, n'ayant pu s'effectuer avec le prêt que vous aviez reçu de la caisse des dépôts et consignations, vous avez réclamé auprès de M. le comte Roy, mon prédécesseur, l'effet des garanties qui vous avaient été données par M. le comte de Villèle, alors président du conseil et ministre des finances, garanties qui devaient vous assurer la rentrée de 4,497,200 francs, montant, sauf examen et non compris les intérêts échus postérieurement du solde de votre compte avec Haïti. M. le comte Roy vous avait fait connaître, par une lettre du 21 décembre 1826, que, sans vouloir altérer les droits que vous croyiez pouvoir faire résulter de la correspondance de M. de Villèle, il ne pensait pas qu'il lui appartint d'approuver ou de confirmer les garanties qu'elles contenaient. A mon arrivée au ministère, il n'avait pas été prononcé sur votre réclamation, vous l'aviez renouvelée auprès de moi. J'ai jugé comme mon prédécesseur que je ne pouvais rien décider sur cette affaire de ma seule autorité. J'ai cru devoir la porter à la connaissance du roi, et prendre les ordres de Sa Majesté.

« J'ai l'honneur de vous informer qu'une décision royale du 29 novembre dernier, rendue sur mon rapport, m'autorise à reconnaître la validité de la garantie que vous a donnée M. le comte de Villèle, en sa qualité de président du conseil et de ministre des finances, par ses lettres des 5 décembre 1826, 31 mai, 4 septembre et 27 décembre 1827, et aux conditions qui y sont stipulées pour le capital et les intérêts, à l'exception de la compensation devenue sans objet par le remboursement que vous avez effectué des fonds qui vous avaient été remis par la caisse des dépôts et consignations.

Je vous confirme donc ces mêmes garanties, mais sous la réserve que la compagnie ne pourra en réclamer l'effet au Trésor royal avant le 31 décembre 1834, et de plus sous la condition expresse que toutes les remises et tous les envois du gouvernement d'Haïti seront, exclusivement et avant tout, appliqués au remboursement des avances dont il s'agit, en capital et intérêts.

« Il demeure entendu que le gouvernement français restera étranger à toutes les répétitions que vous pourriez avoir à faire sur Haïti pour intérêts excédant le taux de 4 0/0 consenti par M. le comte de Villèle, et pour commissions ou frais de toute nature.

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