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ne pourra cumuler en entier les traitements de plusieurs places, emplois ou commissions, dans quelque partie que ce soit. En cas de cumul de deux traitements, le moindre sera réduit à moitié; en cas de cumul de trois traitements, le troisième sera en outre réduit au quart, et ainsi en suivant cette proportion. »>

Cette loi est claire et précise; elle est conçue dans les termes les plus généraux, et elle n'admet aucune exception. D'après les bases qui y sont posées, le maréchal de France qui remplirait les fonctions de ministre ou d'ambassadeur, par exemple, et qui toucherait à ce titre un traitement de 100, 200 ou même 300,000 francs, ne serait définitivement soumis qu'à une réduction de 15,000 francs, moitié de ses émoluments de maréchal.

Mais l'on vous dit : Le traitement des maréchaux n'est pas un traitement d'activité; c'est une retraite. En conséquence, l'article 27 de la loi du 25 mars 1817, qui dit positivement que les pensions militaires pourront être cumulées avec un traitement civil d'activité, leur est applicable, et ils ne peuvent être passibles des dispositions de la loi du 18 avril 1816.

Je repousse, Messieurs, une pareille prétention, et vous la repousserez aussi avec moi, car elle est tout à fait contraire à ce qui a été constamment reconnu et proclamé à cette tribune par tous les militaires c'est qu'il n'y a pas de retraite pour les maréchanx de France, c'est qu'ils sont toujours considérés comme en activité ou comme en disponibilité.

Le petit nombre d'officiers généraux qui attei gnent un grade aussi élevé, sont des hommes tellement remarquables par leurs talents et les nobles exploits qui leur ont mérité cette éminente dignité, que l'on s'est plu à penser que leurs services seraient toujours utiles à la patrie, qu'ils seraient toujours capables de commander nos armées, et qu'ils n'étaient jamais susceptibles d'être mis à la retraite.

Il y a aussi un autre motif, c'est que l'on n'a pas voulu que leur traitement pût subir de réduction lors même que l'âge ou les infirmités les mettraient dans l'impossibilité de rendre aucun service.

Aussi voyez-vous figurer annuellement au budget de la guerre le traitement des maréchaux de France au chapitre des états-majors, 1re partie : Traitement d'activité.

Eh bien, Messieurs, consacrons de nouveau ce principe, que les maréchaux de France ne peuvent, sous aucun prétexte et dans aucune circonstance, être mis à la retraite; qu'ils continuent à toucher leur traitement d'activité jusqu'aux derniers moments d'une vie qu'ils ont consacrée à la défense et à la gloire du pays!

Mais aussi qu'ils subissent, comme les autres militaires, les conséquences de cette position, et que la loi sur le cumul leur soit appliquée.

Avant de descendre de cette tribune, qu'il me soit permis, Messieurs, de vous soumettre encore une observation.

L'an dernier, la question qui nous occupe aujourd'hui fut agitée devant vous, et d'honorables adversaires de la proposition, dans de très bonnes intentions, sans doute; et animés d'un sentiment de générosité et de sympathie que je suis le premier à partager dans le fond, transportèrent la question sur le terrain des personnes et vinrent citer des noms propres à cette tribune.

Cette manière de discuter, Messieurs, n'est pas parlementaire; et elle ôterait toute liberté à vos

votes et à vos délibérations, si elle était reproduite cette année. Pour moi, je le déclare, je ne suivrai point les orateurs qui prétendraient ainsi, à l'aide de considérations personnelles, dominer la discussion et enlever vos suffrages. Je ne puis accepter un pareil système d'argumentation. C'est une question de principes et d'égalité devant la loi que j'ai entendu traiter devant vous, et non une question de personnes.

M. le Président. Je vais lire à la Chambre l'ordre du jour de la séance de demain :

A midi précis, réunion dans les bureaux.
A une heure, séance publique.

Suite de la discussion du budget des dépenses. Discussion du projet de résolution de la commission de comptabilité.

Vote du budget des dépenses.

Discussion du projet de loi sur les céréales.
M. Tardieu a la parole sur l'ordre du jour.

M. Tardieu. Aucun de vous, Messieurs, n'a vu sans doute sans surprise et sans douleur la forme insolite que M. le ministre de la guerre a employée dans la présentation du projet de loi relatif aux fortifications de Paris. Eh quoi! c'est quand la Chambre a refusé les fonds déjà demandés pour cet objet, par le motif tout à fait légitime qu'elle ne pouvait disposer des deniers des contribuables sans connaître d'abord comment ils seraient dépensés, c'est quand sa perplexité sur ce point à éclaté d'une manière non douteuse, c'est quand son désir d'être éclairée sur la plus grave question a été manifesté par les différents côtés de cette enceinte, que, sans faire le moindre cas de ces honorables et patriotiques scrupules, on vient vous présenter crùment et sans aucun exposé de motifs un projet de loi qui sollicite de votre part un vote en faveur d'une allocation énorme, dont il vous est interdit d'examiner la direction, car on vous prive des lumières et des renseignements indispensables à une discussion consciencieuse et approfondie.

Messieurs, j'espère que la Chambre sentira, dans cette circonstance, ce qu'elle se doit à ellemême. Ce procédé auquel je ne saurais donner une qualification trop sévère serait, Messieurs, s'il passait inaperçu, une sanction coupable des injures parties d'un autre point, une source de nouveaux outrages.

Je demande que la Chambre décide sur la question de savoir si avant le renvoi du projet de loi dans les bureaux, il sera demandé à M. le président du conseil, ministre de la guerre, tous les documents et renseignements nécessaires à la discussion consciencieuse du projet de loi relatif aux fortifications de Paris.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Je ne croyais pas, en vérité que, l'on pût à ce point abuser du langage, pour qualifier d'outrage à la Chambre ce qui s'est passé hier lors de la présentation du projet de loi sur les fortifications de Paris. Je n'aurais pas cru qu'en apportant un projet de loi qui n'avait pas besoin d'être motivé, puisque deux jours de discussion ont pu éclairer la Chambre, on pût dire que le gouvernement avait, par là, outragé la Chambre. M. Tardieu. Je ne l'ai pas dit!

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Si, vous l'avez dit! Il ne peut entrer dans nos intentions de manquer à une Chambre à laquelle nous devons tant de reconnaissance pour le légal concours qu'elle a prêté au gou

vernement. Nous n'avons pas cru qu'il y eût rien dans cette démarche qui pût l'offenser. Les exposés de motifs n'ont rien d'obligatoire; ils n'ont qu'un but, c'est de donner les motifs des projets, ce titre l'indique suffisamment. L'exposé des motifs nous paraissait dans ce cas inutile, puisque la question avait été traitée au fond pendant deux jours, examinée sur toutes ses faces, et qu'il avait été reconnu qu'il y avait entre lá Chambre et le gouvernement une seule différence d'opinion sur la manière de procéder.

Nous avons fait, au contraire, acte de condescendance envers la Chambre en lui apportant le lendemain un projet qu'elle avait exprimé le vœu de sanctionner.

Mettre un exposé de motifs à la tête de cette loi, c'eût été répéter ce que tout le monde savait. Quant aux documents qu'a réclamés l'honorable préopinant, le gouvernement a bien senti qu'il ne pouvait pas les refuser à la Chambre; c'est son intérêt de les donner tous, de prouver combien le travail qu'il a entrepris est loyal, utile, entrepris dans l'intérêt du pays. Il y mettra le plus grand empressement. Il n'est pas d'usage de porter des documents sur la tribune. Tous les jours en matière de travaux publics, les documents que nécessitent certains projets sont soumis aux commissions. Dans cette circonstance, le gouvernement fournira, sans aucune réserve, tous les documents dont la Chambre désirera la communication pour éclairer son vote.

M. le Président. Je pense que, d'après ces explications, il n'y a pas de proposition à soumettre à la Chambre.

(La séance est levée à six heures moins un quart.)

Orateurs inscrits contre le projet de résolution de la Chambre, sur la proposition de M. Viennet. MM. Gaëtan de La Rochefoucauld, Salverte, Laurence, Gauthier de Rumilly, Thouvenel, Garnier-Pagès, Berryer.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. BERENGER, VICE-PRÉSIDENT.

Séance du vendredi 5 mars 1833.

La séance est ouverte à une heure et un quart. Le procès-verbal est lu et adopté. L'ordre du jour est la suite de la discussion du budget des dépenses.

M. le Président. La Chambre a entendu hier un article additionnel proposé par M. Luneau. Je vais le relire; j'accorderai ensuite la parole à ceux qui la demanderont.

Les dispositions de la loi du 28 avril 1816, relatives au cumul, seront applicables aux maréchaux de France qui, par suite de fonctions civiles ou militaires, se trouveraient toucher un ou plusieurs autres traitements sur le budget de l'Etat.

L'amendement est-il appuyé! (Oui! oui!...

Non!).

M. Vatout. Je demande la parole. Messieurs, c'est avec un profond regret que je vois cette tendance à tout rapetisser; hier,

c'était la magistrature qu'on frappait; aujourd'hui, c'est la première dignité militaire.

Et qui donc doit avoir une grande existence, si ce n'est un maréchal de France? Vous avez 12 officiers généraux, débris glorieux de 4 millions de soldats qui ont versé leur sang pour la défense et l'honneur du pays, et c'est sur eux que vous voulez faire peser une pareille mesure! Non, Messieurs, vous ne le ferez pas; la Chambre s'honorera en rejetant l'amendement de M. Luneau, car l'ingratitude des gouvernements n'enfante que l'indifférence, c'est leur reconnaissance qui fait les vertus et qui enfante les héros. (Très bien! très bien!)

Je demande le rejet de l'amendement de M. Lu

neau.

M. Luneau. Messieurs, lorsqu'on veut connaître la force et la puissance d'une loi, lorsqu'on veut s'assurer de sa portée, savoir jusqu'à quel point son exécution peut être étendue ou restreinte, il faut surtout s'attacher à connaître l'esprit du législateur, les motifs qui ont dicté cette loi, les temps, les circonstances et les hommes pour lesquels la loi a été faite.

Lorsque la loi de 1816 a été votée, le Trésor se trouvait grevé d'une dette immense. La commission qui se trouvait chargée du rapport de cette loi avait à examiner la question des créanciers de l'Etat et celle de l'arriéré. Elle s'en occupa dans le budget des dépenses extraordinaires. Arrivée à la fixation des dépenses ordinaires, il s'agit d'apporter dans les divers ministères toutes les améliorations que les circonstances pouvaient exiger. On proposa des économies sur le budget de la justice, sur celui du ministère de l'intérieur, et ainsi de suite sur les autres ministères. Ce ne fut qu'au ministère de la guerre, au chapitre des états-majors, traitement d'activité, à la tête duquel figurait, comme aujourd'hui, le traitement des maréchaux de France, que la commission proposa l'amendement qui devint l'article 78 de la loi.

A l'appui de mes assertions, je vais citer les paroles du rapporteur, qui était M. de Corbière, et vous allez voir que la loi fut faite précisément pour le cas de cumul des maréchaux de France. Voici, Messieurs, comment s'exprimait M. de Corbière :

«Le chapitre II est celui qui a surtout fixé l'attention de votre commission. On n'a pu voir sans une vive impression une dépense de 19,705,553 francs pour les états-majors, tandis que la dépense totale ne s'élève qu'à 30,596,448 fr.

«On a dû chercher d'où pouvait provenir une disproportion si affligeante, et l'on en a trouvé la source dans la cumulation des traitements, dans la multiplicité des aides de camp, dans le grand nombre de rations de fourrage accordées

sans revue.

« La cumulation des traitements fait l'objet d'une mesure générale que nous vous proposons, etc. »

Cette mesure, Messieurs, est textuellement celle dont je vous ai donné lecture hier. Permettezmoi de vous le remettre sous les yeux.

« Art. 78. Nul ne pourra cumuler en entier les traitements de plusieurs places, emplois ou commissions, dans quelque partie que ce soit. En cas de cumul de deux traitements, le moindre sera réduit à moitié; en cas de cumul de trois traitements, le troisième sera en outre réduit au quart, et ainsi en suivant cette proportion. » Il est certain que, dans l'intention de la com

mission de 1816, on voulait atteindre tous les traitements indistinctement, mais surtout et particulièrement ceux des maréchaux de France et des officiers généraux qui figuraient au chapitre des états-majors. Messieurs, après avoir examiné l'exposé des motifs du projet de loi, il est bon de vous faire connaître la discussion à laquelle il donna lieu dans la Chambre.

Le premier orateur qui parla sur l'article 78 fut M. Roux-Duchâtelet: il proposa à la Chambre un amendement qui avait bien une autre portée; car il ne voulait admettre le cumul dans aucun cas. Voici cet amendement :

«Nul traitement en France ne peut excéder 30,000 francs.

"Sont exceptés les ministres, le président de la Chambre, les maréchaux de France, les ambassadeurs.

« On ne peut, sous aucun prétexte, cumuler deux traitements.

Cet amendement prouve jusqu'à l'évidence que la Chambre de 1816 s'occupa bien réellement du cumul des maréchaux de France, puisque l'on proposait une exception relativement à la fixation de leur traitement.

Je termine la lecture de l'amendement de M. Roux-Duchâtelet: « Ces articles seront exécutés sous peine de concussion, et seront portés en tête de chaque budget, pour ne pas les laisser tomber en désuétude. »

Cette dernière partie de l'amendement est remarquable, ne semble-t-il pas que l'on eût prévu alors ce qui arrive aujourd'huí?

On proposa également d'exempter de la loi les gens de lettres et les professeurs, mais cette proposition fut rejetée, et ils furent soumis à la disposition sur le cumul: ce n'est que par une loi postérieure, rendue en 1818, qu'ils en ont été formellement exemptés. Mais ce n'est pas tout: lors de la discussion de cette loi, on proposa aussi d'en conférer l'exécution à une ordonnance royale, afin de pouvoir modifier, au besoin, des dispositions de l'article 78. La Chambre ne voulut pas adopter cette mesure; elle ne voulut pas confier l'exécution de la loi à l'arbitraire d'un ministre. Elle admit seulement que les appointements au-dessous de 3,000 francs pourraient être cumulés.

Dans cette même loi, après l'article 78, fut proposée une autre mesure contenue dans l'article 79. C'était une mesure relative à une retenue qu'on voulait faire porter sur tous les traitements. Cette retenue fut supportée par les maréchaux de France comme par tous ceux qui recevaient un traitement du Trésor public.

Or, on ne conçoit pas comment lorsqu'on appliquait aux maréchaux cette retenue prescrite par l'article 79, on eùt voulu en même temps les exempter des dispositions de l'article 78 contenues dans la même loi, votées le même jour et dans la même séance.

Je vais fortifier cette argumentation par un raisonnement bien simple, et facile à saisir.

Je suppose que la loi sur le cumul n'eût pas été portée en 1816; je suppose que les abus de l'Empire sur le cumul et les gros traitements eussent continué à avoir lieu pendant la Restauration certainement la première législature, assemblée après la Révolution de Juillet, se fut empressée de revenir sur tous ces graves abus et vous eût proposé des mesures d'économie; vous en avez eu la preuve par les réductions opérées sur beaucoup de traitements.

Je suppose que le rapport de votre commis

sion eût été identique à celui fait en 1816, je suppose qu'après une discussion approfondie dans laquelle, comme en 1816, il n'eût aucunement été question d'exemption en faveur des maréchaux, la disposition sur le cumul eût été adoptée précisément à l'occasion du chapitre des états-majors de la guerre, à la tête duquel figuraient alors comme aujourd'hui les traitements des maréchaux. Croyez-vous, Messieurs, que dans la session suivante, en 1832, les ministres eussent été bien recevables à venir vous dire que les maréchaux de France ne devaient pas être soumis à la disposition de la loi sur le cumul. Eussent-ils bien été admis à vous dire : A la vérité, jusqu'ici, le traitement des maréchaux de France a été porté au budget de la guerre au chapitre de l'activité; à la vérité nous avons toujours prétendu que les maréchaux de France ne pouvaient jamais être mis à la retraite; mais, depuis la loi sur le cumul, il y a une distinction à faire, et nous prétendons maintenant que le traitement des maréchaux de France est une retraite, ce n'est plus un traitement d'activité, et il ne doit pas être soumis à la loi sur le cumul.

En vérité, un pareil raisonnement ne soutiendrait pas un seul instant votre examen; vous le repousseriez et vous auriez raison, ou plutôt l'on n'aurait jamais dû vous le présenter à cette tribune.

Eh bien, Messieurs, la question est absolument la même; que la loi sur le cumul ait été faite en 1816 ou en 1831, il n'y a qu'une différence de date.

Pendant la Restauration, dira-t-on, les maréchaux de France ont cumulé. Ainsi l'on cite le maréchal Gouvion Saint-Cyr, qui a cumulé son traitement de maréchal avec celui de ministre de la guerre. Mais c'est précisément parce que l'on n'exécutait pas les lois sous la Restauration, parce que l'on voulait y substituer le régime des ordonnances, que la Révolution de Juillet a eu lieu.

Nous n'avons renversé la Restauration qu'à la condition de faire mieux; ne donnons donc pas à notre tour le scandale de la violation de la loi. La loi existe ou elle n'existe pas, voilà toute la question. Si elle existe, il faut l'exécuter ou la rapporter; mais tant qu'elle subsistera il faut l'exécuter.

Mais pourquoi aller chercher des exemples dans la Restauration? pourquoi ne pas les prendre après la Révolution de Juillet ? Le maréchal Gérard n'a pas cru devoir cumuler son traitement de maréchal de France avec celui de ministre de la guerre un autre ministre est venu depuis, qui à cru pouvoir cumuler son traitement de maréchal. Je n'attaque certainement pas les intentions de M. le ministre de la guerre actuel; mais voyons où nous conduirait l'adoption de ses doctrines. Rappelez-vous ce qu'il disait l'année dernière à cette tribune, à l'occasion des officiers généraux: il prétendait que les officiers généraux devaient toujours être considérés comme étant en activité, qu'ils ne pouvaient jamais être mis à la retraite ; il voulait, à l'égard de leur traitement, les assimiler aux maréchaux de France, et il vous eût sans doute proposé de les exempter de la loi sur le cumul. Ainsi, cette loi de 1816 se serait trouvée tout à fait illusoire, et elle n'eût pu être appliquée aux gros traitements de états-majors pour lesquels elle avait précisément été faite.

Je termine par une dernière réflexion :

Je ne me suis point dissimulé que lorsque l'on attaque des abus, plus la position sociale de ceux qui en profitent est élevée, et plus il est difficile de les faire disparaître, et plus aussi il faut de courage et de perséverance pour en obtenir la destruction.

Mais il s'agit ici de la non-exécution d'une loi existante, et tant qu'elle ne sera pas rapportée, il se trouvera toujours dans cette Chambre des hommes qui sauront remplir leurs devoirs, en demandant qu'elle soit exécutée.

M. Lemercier. Messieurs, je ne veux pas plus que le préopinant que la loi soit violée. Je ne pense pas non plus que les maréchaux qui sont élevés si haut dans l'échelle sociale veuillent aussi violer les lois. Mais je ne crois pas qu'elles soient violées en ne pas appliquant aux maréchaux de France les dispositions de la loi sur le cumul. Je soutiens que leur traitement n'est pas un traitement d'activité, que c'est une retraite. En effet, les maréchaux jouissent en tout temps de leur traitement. Lorsqu'ils sont mis en activité, il est plus que doublé.

Lorsqu'un simple général est appelé au ministère, il ne réunit pas le traitement de ministre avec celui de général; mais s'il jouit d'un traitement de retraite, ce traitement ne lui est pas retiré. Je soutiens que le traitement de maréchal de France a été acheté au prix de trop de gloire pour qu'on puisse leur en enlever la moindre partie; c'est une dotation nationale. Songez, Messieurs, que les maréchaux sont les glorieux restes de plusieurs centaines de mille braves soldats, et vous voudriez leur disputer un traitement auquel ils doivent tenir, non à cause de sa quotité, mais à cause de l'honneur qui y est attaché!

Messieurs, vous ne ferez pas descendre des maréchaux de France de la position que leur ont donnée leurs services et leurs glorieuses campagnes. Je soutiens que vous ne devez pas le faire, et qu'en leur conservant leur traitement, vous ne violerez pas les dispositions de la loi. (Très bien! très bien!)

Je vote contre l'amendement.

M. Garnier-Pagès. Il n'est et ne peut être dans la pensée de personne de contester les services rendus par les maréchaux de France; aussi ce n'est pas sur leurs services que doit porter la discussion. Nous demandons l'exécution de la loi. Les officiers d'un grade inférieur ont aussi des droits à notre reconnaissance, et cependant ils sont soumis à l'application de la loi.

re

Il est vrai que pour placer les maréchaux en dehors de cette application, on considère leur traitement comme un traitement de retraite; la réponse est facile. C'est parmi les maréchaux de France que l'on prend les commandants de corps d'armée; ils ne sont donc pas en traite. S'il en était autrement, les maréchaux ne devraient pas toucher leur traitement quand ils sont à la tête de nos armées. Je le demande à la Chambre dans quelle position se trouverait un maréchal de France employé en temps de guerre, si l'on admettait le principe de nos adversaires? Il en faudrait conclure qu'il serait à la fois en retraite et en activité, ce qui est absurde, ce qui est impossible.

C'est surtout lorsqu'il s'agit des sommités sociales qu'il faut les faire rentrer...

Une voix au banc des ministres : Dites, les faire descendre!

M. Garnier-Pagès. On ne descend pas quand on rentre dans le droit commun. Qu'on soit maréchal ou simple soldat, quand on se soumet au vœu de la loi, on ne descend pas. Je suis étonné qu'un ministre ose dire qu'on descend quand on obéit aux lois; cela va mal à un ministre qui est chargé de les faire observer.

C'est précisément parce que les maréchaux de France sont au haut de l'échelle militaire qu'ils doivent donner l'exemple du respect pour les lois du pays. J'ajouterai que s'il est vrai, comme on le dit, que les maréchaux aient besoin d'un assez grand développement de fortune pour soutenir le rang où ils se trouvent élevés, il n'est pas moins vrai qu'ils ne seront obligés d'abandonner une partie de leur traitement qu'alors qu'ils en recevront un autre, situation dans laquelle leurs revenus sont augmentés et non diminués.

La loi doit être observée par ceux-là surtout qui sont au premier rang de la société. Je vote pour l'amendement de M. Luneau.

M. l'amiral de Rigny, ministre de la marine. L'année dernière, la Chambre a délibéré sur un amendement semblable qui, je crois, a été présenté par le même orateur et ne l'a pas accueilli. Je vous demande la permission de reproduire quelques-unes des considérations qui peuvent influer sur sa détermination.

On fit d'abord remarquer que, d'après les termes du décret de création des maréchaux de l'Empire, ce n'était pas un grade, mais une dignité. En effet, le décret du 8 fructidor an XII, porte :

» Art. 1er. Les 16 maréchaux de l'Empire ne compteront plus sur le tableau des généraux de division et n'auront droit ni aux appointements ni aux indemnités affectés à ce grade.

Il est certain que la qualité de maréchal faisait partie de la hiérarchie des grades, que c'était une dignité placée en dehors.

« Art. 2. Il jouiront, dans leur qualité de maréchal d'Empire, et à dater du jour de leur nomination,d'un traitement annuel de 40,000 francs.

« Art. 3. Ce traitement pourra être cumulé avec les appointements attachés aux fonctions militaires ou civiles dont ils pourront être pourvus. >

On prétend maintenant que la loi du 28 août 1816 sur le cumul devait s'appliquer aux maréchaux de France. Nous disons, nous, en tant que les maréchaux fussent pourvus d'un grade et qu'ils eussent un traitement. On a dit aussi qu'on ne pouvait pas considérer le traitement des maréchaux de France comme une retraite, parce qu'ils étaient portés au tableau d'activité, parce que pouvant être appelés au commandement des armées, on ne devait pas les regarder comme étant à la retraite, mais comme étant en activité. Messieurs, sans prétendre faire une distinction complète entre ces deux situations, je dirai que la position de maréchal de France est en quelque sorte une dignité inaltérable, car on ne peut la perdre que par le plus haut jugement qu'on puisse prononcer dans le pays.

La loi de 1816 n'a pas été appliquée au traitement fixé pour les maréchaux de France. On a cité les paroles de M. de Corbière, rapporteur des finances de cette époque. Rappelons-nous, Messieurs, ce qui s'est passé dans la Chambre de 1816 au sujet des maréchaux de France, ou plutôt des maréchaux de l'Empire, de ces glorieux débris de nos armées. Vous savez quelles suites eurent ces propositions. Il intervint deux ordon

nances qui décidèrent que la loi du cumul n'était pas applicable aux maréchaux de France, une ordonnance de 1816 et une ordonnance de 1820. D'après cela, vous voyez qu'il était impossible d'appliquer la loi du cumul aux maréchaux de France comme aux autres militaires. Vous sentirez, Messieurs, qu'une si haute dignité ne doit pas être traitée avec cette méfiance qui s'attache à des abus réels.

M. le général Subervie (de sa place). Je n'ai pas l'intention d'entrer dans le fond de la question. Je demanderai à M. le ministre de la marine, qui vient de dire que le maréchalat était une dignité, ce qu'il entend par là? Je croyais qu'après la Révolution de Juillet, le roi ayant supprimé tout cet entourage de la Couronne, tout ce qui tenait à l'ancien trône, toutes les dignités avaient disparu en même temps. Je prierai M. le ministre de la marine de vouloir bien, pour ma satisfaction personnelle, expliquer ce que c'est qu'une dignité.

M. l'amiral de Rigny, ministre de la marine. Je répondrai en peu de mots à l'honorable orateur. (Non! non! Ne répondez pas!) Je dirai que les ordonnances royales qui ont été rendues en faveur de deux de nos honorables collègues, s'exprimaient ainsi : « Sont élevés à la dignité de maréchal de France, M. tel et tel, » et cela depuis la Révolution de Juillet.

(M. le général Subervie prononce au milieu du bruit quelques paroles que nous ne pouvons entendre.)

M. Luneau. Je demande à répondre à M. le ministre de la marine. Il nous a dit que le maréchalat n'était pas un grade, mais une dignité. Messieurs, le maréchalat est à la fois un grade et une dignité. C'est un grade, puisque ceux qui l'obtiennent sont appelés à commander les armées. C'est aussi une dignité, si vous voulez, par l'éminence de la position de ceux qui en sont revêtus. Mais en le considérant même comme une dignité, je ne vois pas pourquoi les maréchaux ne seraient pas, quant au traitement, soumis à la loi du cumul qui frappe bien les pensions sur la pairie; et certes on ne contestera pas que la pairie ne soit une dignité. Le décret de l'an XII, qu'on a cité, est abrogé dans une de ses dispositions par la loi de 1816, loi qui, comme je l'ai déjà remarqué, a été rendue précisément à l'occasion du chapitre du budget où est porté le traitement des maréchaux. Les ordonnances dont on a parlé ne peuvent pas non plus, comme vous le savez, abroger une disposition formelle de la loi.

On a fait un reproche au rapport de M. de Corbière. Messieurs, je ne viens pas ici défendre l'opinion des députés qui ont fait des lois sous la Restauration; mais tant que ces lois existent, elles doivent être exécutées. Si elles ont été faites dans un esprit de parti, si elles portent atteinte à nos libertés, à la dignité nationale, il faut les rapporter; jusqu'à ce qu'elles aient été rapportées, nous sommes fondés à en demander l'excution.

Je rappellerai à la Chambre l'exemple que je lui ai déjà cité. Lors de la discussion de la loi de 1816, on ne voulut pas admettre d'exception en faveur des hommes de lettres et des professeurs. Eh bien! cette exception a eu lieu par une loi. En 1818, on est venu présenter une disposition additionnelle, et depuis les professeurs n'ont plus été soumis à la loi du cumul. Il n'y a pas eu d'exception semblable pour les maré

chaux; la loi subsiste toujours à leur égard, et nous devons persister à en demander l'exérution.

De toutes parts Aux voix! aux voix! (L'article additionnel proposé par M. Luneau est mis aux voix et rejeté.)

M. le Président. Autre article additionnel proposé par M. Auguis :

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A l'avenir, nul ministre ne pourra recevoir, à quelque titre que ce soit, d'autre traitement que celui qui est affecté à sa qualité de ministre à portefeuille. »

L'amendement est-il appuyé?

M. Vatout. Je demande que le traitement de membre de la Légion d'honneur soit compris dans l'amendement.

M. Havin. Ce n'est pas un traitement qu on reçoit comme membre de la Légion d'honneur. (L'article est mis aux voix et rejeté.)

M. le Président. Article additionnel au budget de la guerre, proposé par M. Havin:

"

A l'avenir, nul ne pourra porter la décoration et les insignes des ordres abolis par la loi du 6 août 1791. Les seules décorations françaises sont les décorations de la Légion d'honneur et de Juillet. »

Voix diverses: Mais ce n'est pas là une question de budget!... Ce n'est pas ici sa place' Faites en l'objet d'une proposition particulière.

M. le Président. La parole est à M. Havin, pour développer les motifs de son amendement. M. Havin. Messieurs, l'article additionnel au budget, que j'ai l'honneur de vous proposer a pour but de rentrer dans la légalité, et de faire cesser un état de choses qui a de graves inconvénients, et qui pourrait avoir des conséquences fort regrettables.

Par un décret du 30 juillet 1791, converti en loi le 30 août suivant, l'Assemblée législative avait supprimé les différents ordres de cher 1lerie; plusieurs lois successives ont sanctionné la première loi.

La Restauration, qui aurait voulu, d'un trait de plume, effacer de l'histoire tout ce qui s'etait passé en France de 1789 à 1814, rendit plusieurs ordonnances en 1814 et 1816 d'où il ressortait virtuellement que les ordres de Saint-Michel du Saint-Esprit et de Saint-Louis étaient rétablis, contrairement à la loi de 1791.

Depuis la Révolution de Juillet, le gouvernement, par ordonnance du 10 février 1831, contresignée Merilhou, a abrogé les différentes ordonnances de la Restauration. Voici en quels termes elle est conçue :

« Art 1er. Toutes ordonnances portant création de décorations établies soit à l'occasion, soit à la suite des événements de 1814 et 1815, sont et demeurent abrogées.

«Art. 2. Toutes autorisations collectives ou individuelles de porter des décorations de cette nature, sont révoquées.

« Art. 3. Toutes personnes qui, après la publication de la présente ordonnance, continueraient de porter ces décorations, seront poursuites conformément aux lois. >>

Cette ordonnance, bien qu'inutile pour ous les ordres abolis par la loi de 1791, avait cela de bon qu'elle rappelait à leur devoir les magistrats chargés de poursuivre les délits et qui sommeillaient depuis 17 ans; et puis elle faisait ton ber ces décorations du Brassart, du Lis et de la Fidélité, dont la France avait été inondée.

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