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qui leur faisait illusion. Vous avez vu dans leurs utopies incendiaires, non le noble tableau des destinées de la société, mais la nuisible parodie des mauvais temps de la Révolution. (Mouvement à gauche.)

Ainsi, deux politiques qui ont été constamment en présence; elles se retrouvent encore en lutte dans la question actuelle. Je n'attaque ici qu'un système, je crois le bien concevoir; nous avons tous été de l'opposition sous la Restauration; mais pour avoir été d'une opposition loyale et décidée, nous n'avons cependant pas approuvé tout ce qui s'est dit et fait au nom de l'opposition. Cependant, nous nous serions gardés de la désavouer si quelque imprudence lui échappait. Si elle commettait quelques fautes, nous laissions à nos adversaires le soin de la combattre, et comme nous trouvions que les erreurs du gouvernement étaient cent fois pires que les siennes, nous nous efforcions de pallier les fautes de l'opposition, quand par hasard elle en commettait.

Nous passions tout à ceux qui nous paraissaient soutenir même imprudemment la bonne cause. N'est-ce point là la situation dans laquelle beaucoup d'honorables membres peuvent se trouver encore, à l'égard d'un parti dont ils approuvent toutes ses manifestations? C'est ainsi qu'ils peuvent avoir été conduits à des complaisances funestes envers ceux qui veulent aller plus loin qu'eux. La Chambre en a jugé autrement; elle a cru que, plus les factions était menaçantes, plus il fallait leur résister; elle a cru que dans des temps extrêmes comme les nôtres, où les gouvernements tombaient si vite, où la tâche de construire de nouveaux gouvernements était rendue si difficile, il fallait avant tout résister. Elle a regardé comme la première vertu d'un gouvernement nouveau cet esprit de résistance qui s'était personnifié dans un homme à qui la Chambre a rendu un si solennel hommage, dans M. Casimir Périer. Parmi les qualités brillantes qui l'ont recommandé au pays, je mets au premier rang l'esprit de résistance et le don du commandement. Grâce à ces qualités, et pour avoir osé toujours combattre les factions, il est mort l'homme le plus populaire de France. (Sensation prolongée.)

Après ces idées générales, venons à l'accusation particulière, afin d'y retrouver en présence les deux politiques que j'ai essayé de caractériser.

On nous propose de fermer les yeux sur certains abus, sur des outrages qui, dit-on, ne nous atteignent pas; on dit que si vous vouliez les repousser, vous aigririez les esprits, que la lutte dégénérera en hostilité, qu'il faut tout oublier, qu'il faut jeter un voile impénétrable sur des fautes qu'il ne nous appartient pas de punir. Messieurs, s'il s'agissait d'un simple outrage, d'un manque de respect envers la Chambre, je serais le premier à vous conseiller l'oubli; la Chambre ne peut pas sans cesse veiller à sa propre considération contre toutes les imprudences, contre les témérités que la presse quotidienne peut laisser échapper contre elle. En commençant, j'ai parlé du parti du renversement. Je ne crois pas calomnier le journal contre lequel on vous propose de sévir, en le qualifiant de journal du renversement; il s'en glorifie tous les jours, et il désavouerait ceux qui lui prêteraient d'autres intentions. N'est-il pas vrai que ce plan de renversement est suivi avec beaucoup de constance et d'audace; que dans beaucoup de circonstances vous avez gémi de voir l'impuissance des lois,

de la justice, du gouvernement, contre des démonstrations aussi odieuses?

Un honorable membre vous saisit d'une proposition qui vous met en face du parti du renversement. Je vous le demande, Messieurs, reculerezvous? pour moi, c'est uniquement la question. Je n'accepte pas toutes les objections prises dans les considérations de législation, dans le droit commun; je n'accepte pas non plus l'espèce de plaidoirie que vous avez entendu de la part des adversaires de la proposition. Je remarque que toutes les objections portent sur des considérations complètement étrangères à la situation politique et aux droits de la Chambre. De toutes ces objections, la première, la plus louable que vous avez entendue bien des fois et que vous entendrez encore avant la fin de la séance, c'est que vous ne pouvez pas être juge dans votre propre

cause.

C'est la destinée commune des pouvoirs politiques que d'être juges dans leur propre cause. Ils n'ont point de juge supérieur qui prononce entre eux et les partís qu'ils répriment; ils ne relèvent que d'eux-mêmes, de leur raison, de leur justice. L'histoire, l'opinion publique, peut les juger, mais légalement ils ne reconnaissent point d'arbitre au-dessus d'eux. Les lois s'efforcent de rendre le pouvoir judiciaire étranger à tout, aux influences, aux intérêts même qui l'environnent; mais les pouvoirs politiques constitués pour faire triompher une opinion, pour réaliser le vœu du pays, ne sauraient être placés dans cette sorte d'impartialité officielle. Les actes du gouvernement sont toujours des jugements rendus par le gouvernement dans sa propre cause. Ainsi, un pouvoir politique doit être juste et raisonnable, mais désintéressé, mais impassible, il ne peut l'être.

Cela est tellement vrai, que tous les corps politiques dans tous les pays, sont revêtus du pouvoir qu'on vous propose d'exercer. Je ne parlerai pas du parlement d'Angleterre. Tout le monde connaît l'étendue de son pouvoir à cet égard, et on ne manquerait pas de m'opposer l'objection tirée de la différence des deux pays. Je citerai un gouvernement qu'on a déjà cité à cette tribune, Les Etats-Unis. Tout le monde sait que le congrès a le même pouvoir à cet égard que le parlement en Angleterre. Je demanderai à la Chambre de citer quelques faits, je les prends dans un ouvrage qui se recommande par le nom de son auteur; c'est une compilation des règlements suivis au congrès des Etats-Unis, compilation recommandée par le nom de l'illustre Jefferson.

«Les Chambres ayant par la Constitution le droit de faire toutes les lois nécessaires pour mettre à exécution les pouvoirs qui leur sont donnés, elles ont celui de faire des lois pour donner plein effet à leurs priviléges.

Un de ces priviléges est que nul membre ne peut être maltraité dans sa personne, soit de fait, soit par écrit ou de paroles.

«En décembre 1795, la Chambre des représentants fit arrêter deux personnes nommées Randost et Whitney, pour avoir essayé de corrompre quelques-uns de ses membres, ce qui était considéré comme une insulte envers la Chambre, et une violation de ses priviléges. Les faits étant prouvés, Whitney fut condamné à 15 jours et Randost à 3 semaines de prison, et à être blâmés par l'orateur.

«L'éditeur de l'Union, dans son journal du 19 février 1800, ayant inséré des articles diffamatoires sur le sénat, et ne s'étant point rendu

à la citation qu'il avait reçue pour comparaître, fut arrêté par ordre du sénat... »

Sur ces divers exemples, Jefferson ne fait aucun commentaire. Seulement il dit qu'aucune loi écrite n'autorise le congrès à procéder ainsi, qu'il serait désirable que cette loi existât; il cité l'exemple de toutes les législatures des différents Etats de l'Union, qui, chacun dans leur sphère, ont le même droit, et possèdent ce droit en vertu d'une loi écrite. Il dit:

<< Peut-être qu'un jour le congrès trouvera convenable d'établir par la voie législative tout ce qui est nécessaire et utile à l'exécution des pouvoirs qui lui sont confiés, de manière à publier une règle qui serve à la direction des citoyens, et en même temps à laquelle l'opinion puisse rapporter les jugements qu'il serait dans le cas de rendre dans sa propre cause. »

Vous voyez que ce lieu commun du danger d'être juge dans sa propre cause, dont on nous fait un si grand épouvantail, n'effraie aucune nation libre.

Mais, dit-on, votre considération aura bien plus à en souffrir en réprimant les outrages, comme on vous propose de le faire qu'en les suppor

tant.

Messieurs, c'est à peu près comme si l'on donnait à un homme le conseil de ne jamais se défendre contre aucun outrage, afin d'être mieux considéré. Non, Messieurs, l'humilité chrétienne est une grande vertu; mais je ne crois pas que ce soit la vertu des pouvoirs de l'Etat.

Un troisième exemple est tiré de la Restauration. Mais, Messieurs, n'y a-t-il pas quelque différence? La Chambre de 1824 a mal fait de faire ce qu'elle a fait, et pourquoi ? c'est qu'elle prétendait juger au nom du pays, et qu'elle ne représentait pas le pays. Est-il donc singulier que la décision de la Chambre de 1824 n'ait pas été confirmée par le pays? Si vous appliquez la même objection à la Chambre actuelle, vous êtes obligés de dire qu'elle ne représente pas non plus le pays. Mais si, comme j'en ai la conviction, elle le représente, elle parle au nom du pays, le pays confirmera sa décision. C'est quelque chose,Messieurs, que d'avoir tort ou d'avoir raison. (Mouvements prolongés en sens divers.)

M. le Président. Je vous recommande, Mes- sieurs, ce que je vous ai dit avant l'ouverture de cette discussion, d'écouter en silence les diverses opinions.

M. de Rémusat. Je sais fort bien que les honorables membres qui m'interrompent trouvent d'ordinaire que la Chambre a tort. Mais je ne suis pas obligé de penser de la Chambre ce qu'ils en pensent; et comme je crois fermement qu'elle a raison aux yeux du pays, elle peut parler en son nom, le pays ne la désavouera pas. (Mouvement d'approbation.)

M. le Président. Je réclame le silence de tous les côtés; il ne faut, dans cette discussion, donner aucune marque d'approbation ou de désapprobation.

M. de Rémusat. Messieurs, un orateur dont j'honore le courage et les intentions attribuait, il y a quelques jours, les dangers de la société à l'insuffisance de la légalité actuelle. Je ne sais, Messieurs, s'il est juste de la trouver insuffisanté quand on ne s'est point servi de toutes les resSources qu'elle présente. Peut-on trouver trop faible l'arme qu'on n'a pas su manier. Le mal n'est pas dans les lois, il est plutôt dans la mollesse des pouvoirs qui sont chargés de les dé

T. LXXXII.

fendre; et comme c'est là un mal moral, c'est par de bons exemples qu'on peut le conjurer.

Voici une occasion pour la Chambre de donner un de ces bons exemples. Puisque le gant en est jeté, je la conjure de ne point reculer, et de rendre un nouveau témoignage en faveur de cette politique de résistance qu'elle si souvent professée. C'est ainsi qu'elle prendra sa juste part dans l'œuvre du gouvernement. Et si l'on venait encore lui conseiller cette politique de ménagements, de patience, de complaisance, qui aggrave les maux qu'elle veut dissimuler, que la Chambre me permette de répondre à ceux qui lui donneraient de pareils conseils : Vous pourrez ainsi acquérir une popularité apparente et éphémère; mais vous ne sauverez point le pays. Le gouvernement vous est interdit; vous n'êtes pas nés pour commander. (Mouvement.)

M. Gauthier de Rumilly. Un sentiment commun nous anime tous, celui de l'honneur de la représentation nationale, et non pas la préoccupation du parti du renversement. Cette dignité de la représentation nationale absorbe toutes nos pensées, sur tous les bancs, les pensées des hommes sages, qui ne partagent pas l'avis de ceux qui voudraient voir arriver l'accusation dans cette Chambre. C'est soutenu par leur autorité que je suis monté à la tribune, pour remplir un devoir impérieux, et j'ose espérer de vous quelque indulgence, persuadé que la Chambre voudra bien entendre la vérité dans sa propre

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Je me demanderai d'abord si la société est ébranlée, si le pays est en émoi par suite de cet article de la Tribune. Je demanderai ce qu'il serait advenu si cet article était resté, comme tant d'autres, dans l'obscurité, et si l'honorable membre qui a cru devoir le déférer à la Chambre ne l'en avait pas tiré.

Messieurs, je ne veux pas m'exprimer sur cet article. Mais, d'après ce que vous ont dit quelques orateurs, vous devez savoir que c'est un théâtre qu'on désirerait élever, que c'est une chaire que l'on voudrait voir dresser. Voilà le chef d'œuvre d'habileté parlementaire qu'on voudrait voir couronner par vos suffrages! Je ne pense pas que vous deviez vous engager dans cette voie. Le pays serait-il satisfait de voir la Chambre des députés descendre dans l'arène avec la plume du premier écrivain venu? Que vous demande le pays? c'est le complément des institutions que la Charte a promises. Voilà l'ancre de salut qui pourra nous préserver de toutes les atteintes, de toutes les doctrines plus ou moins menaçantes. Et à quelle époque vienton encore vous présenter la nécessité de ce scandale, de ce spectacle nouveau pour le public, intermède singulier dans l'intervalle de deux sessions? c'est au moment où, fatigués, ayant à peine le temps de voter les lois les plus urgentes, nous n'avons pas même pu, dans le cours de cette session, voter définitivement une de ces lois importantes que la Charte avait promises;

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c'est, dis-je, dans ce moment que nous consumerions ainsi notre temps.

Mais on nous a dit qu'il fallait donner de la force et de la confiance au pouvoir, et quelques orateurs ont exprimé plus nettement cette idée. Messieurs, je le demande, laisse-t-on les écrits impunis? On nous parle sans cesse de la force du pouvoir; mais ne prend-on pas soin tous les jours de nous rassurer contre toutes craintes, en nous disant que les factieux seront réprimés. Il me semble que la multitude des poursuites et le nombre des condamnations doivent nous donner pleine confiance dans la force du pouvoir.

Nous entendons parler sans cesse d'envahissement sur l'Administration. Et comment se fait-il donc qu'aujourd'hui on voudrait nous amener à un certain empiètement sur les juridictions ordinaires, à un procès de tendance? Mais ce serait un nouvel ordre de poursuites, et assurément nous ne devons pas nous engager dans cette voie : la Chambre des députés restera dans la ligne des pouvoirs qui lui sont confiés.

Il y a, Messieurs, plusieurs manières d'exprimer sa pensée, et, chez une nation spirituelle, ce n'est pas la nudité de l'expression ni le cynisme des mots, qui sont le plus à craindre chez nous, et de tout temps le ridicule fut une puissance. Molière, qui a si bien représenté les travers de son temps, et à notre époque ce Paul Courier, si spirituel, qui sut peindre de sa verve satirique les déceptions de la Restauration, étaient bien plus à craindre que les écrivains qui se servent d'expressions grossières et emploient des mots qu'on ne peut entendre que dans les carrefours.

Si donc nous nous croyions offensés, ce serait bien plutôt par les traits que peuvent décocher l'esprit et la malice des écrivains que par ces expressions cyniques. Ainsi, nous nous trouverions entraînés dans des poursuites continuelles; ainsi, la Chambre des députés serait sans cesse obligée d'avoir l'œil non seulement sur toutes ces feuilles, mais encore sur ces figures dont les modernes Callot peuvent tapisser les murailles.

Sachons-le bien, nous ne nous trouvons plus dans la position dans laquelle nous devions nous trouver. Il est nécessaire de dire et de répéter ces expressions dont se servit M. Royer-Collard en parlant de la liberté de la presse et de ses abus « Les abus de la presse, disait-il, doivent être réprimés; mais si la répression devenait elle-même un abus, la répression serait alors la prévention, etc. »

Les gouvernements représentatifs souffrent que la presse intervienne dans toutes les affaires pays; car c'est par la liberté de la presse que s'établit une discussion libre et éclairée. L'honorable M. Barthe disait dans la Chambre de 1826 que, sans contradiction, sans opposition, il y avait un peuple esclave et des gouvernements tyranniques.

Il y a donc deux droits éminemment constitutionnels le contrôle absolu sur les actes de la Chambre, et la possibilité de demander la dissolution de la Chambre, sont également des principes qu'établissait M. le général Sébastiani au moment du procès du Journal du Commerce en 1826.

C'est ainsi qu'on voit que tous les jours on joue à Londres une pièce de Sheridan, intitulée Londres au dix-neuvième siècle. Un des interlocuteurs s'exprime ainsi : « Voici Messieurs Charles et Williams Bluert, orateurs de la Chambre des communes, incorruptibles; c'est pour la pre

mière fois qu'on les achète. » La Chambre des communes ne s'offense pas de ces plaisanteries. C'est par la presse, par la discussion qu'on fait justice des calomnies.

On prétend qu'en Angleterre il y a une omnipotence qui juge tous les écrivains, et on vous cite, à cet égard, des exemples; mais il fallait également vous citer ce que disait à la Chambre, de 1826, ce même M. Barthe: La Chambre des communes, en Angleterre, est accusée tous les jours de corruption, par les écrivains les plus violents, elle répond par ses actes. >>

Le public, comme on l'a dit avec raison, ressemble à la lance d'Achille. On s'accoutume à entendre tous les jugements téméraires; et, de nos jours, l'éloge de telle feuille est un bláme pour l'un et un éloge pour l'autre.

Et quels sont ceux qui pourraient se plaindre le plus des calomnies et des offenses, si ce n'est les membres de l'opposition? Aucun d'eux n'a manqué d'être calomnié par les feuilles de tous les partis, et ils n'ont pas répondu. Au moment de l'ouverture de cette session, où les membres de l'opposition réclamaient contre l'illégalité de l'ordonnance de l'état de siège, un journal disait que l'opposition était vendue nous avons répondu par l'indifférence; car une bonne conscience est la meilleure égide contre tous les traits décochés par la calomnie.

Messieurs, je pense que la Chambre des députés est placée trop haut dans l'échelle des pouvoirs pour descendre dans la lice avec le premier écrivain. La Chambre peut se rappeler la considération puissante dont jouissait à la Chambre de 1826 M. Royer-Collard; il lui disait: « Le danger ne peut pas venir des écrivains; il ne peut venir que de la part du ministère. »

Messieurs, il y a eu de graves atteintes portées à notre dignité dans la personne d'un des mem bres les plus recommandables de la Chambre, celui que vous avez élevé à la dignité de viceprésident, il y a peu de temps encore lorsque, pour me servir de l'expression de M. Barthe à la Chambre de 1826, des députés ont été destitués comme coupables d'avoir prononcé un discours à cette tribune (et j'ajouterai aux expressions de M. Barthe) un discours qui avait pour but de faire supprimer les pensions des chouans.

Cependant, ceux qui, aujourd'hui, se plaignent de l'atteinte portée à la dignité de la Chambre ont gardé le silence. Les ministres ont cru faire de la force, puisqu'on nous parle de force, et les ministres en croyant frapper, se sont frappés eux-mêmes. Je citerai les paroles de l'un d'eux, l'honorable M. Guizot, qui disait en 1820:

«Il est des hommes qui, en maniant le pouvoir, se croient habiles parce qu'ils se résignent sans peine à la nécessité du mal. Ils ont eu recours à la force matérielle dont ils disposent pour échapper aux écueils où leur raison avait échoué. Dès lors, le goût de la force les gagne, et ils disent qu'ils ont gagné de l'expérience. Eternelle insolence de la nature humaine! La seule expérience qu'ils aient acquise est celle de leur faiblesse, et ils s'en prévalent comme d'un progrès dans la science du pouvoir! »

Messieurs, la meilleure réfutation que vous puissiez faire des calomnies, c'est de passer à l'ordre du jour; car votre sagesse doit commander le respect, et votre force est dans la modération.

M. Lemercier. Messieurs, les outrages et les calomnies dirigées contre la représentation na

tionale et quelques-uns de ses membres ont ex-berté se présente aux autres peuples avec le seul cité l'indignation générale; j'aime à croire qu'il n'y a pas un de nos collègues, qu'il n'y a pas un honnête homme en France qui n'ait éprouvé ce pénible sentiment.

Il s'agit d'examiner quelle conduite doit tenir la Chambre dans une telle circonstance. Doitelle mépriser les insultes grossières qui ne peuvent l'atteindre et ne flétrissent que ceux qui osent se les permettre? ou doit-elle punir l'injure faite au pays dans la personne de ses mandataires?

Si les députés de la France n'avaient à s'occuper que d'eux-mêmes, s'ils ne considéraient que cette susceptibilité naturelle à des hommes d'honneur, assez forts de l'estime de leurs concitoyens, assez dédommagés par leurs suffrages et leur approbation, ils dédaigneraient les invectives que leur adressent l'esprit de parti et la calomnie; ils pourraient même considérer de telles injures comme des titres honorables et une recommandation de plus à l'estime et à la confiance de leurs commettants. Mais la France indignée ne peut leur permettre une telle générosité, ou pour mieux dire une telle faiblesse ; elle exige qu'ils sachent vaincre leur répugnance, pour faire respecter la représentation nationale: c'est un sacrifice de plus qu'elle leur impose pour remplir dignement la mission qu'elle leur a confiée.

Il est urgent, il me semble de fonder parmi nous ce que je crois devoir appeler le point d'honneur public; celui qui n'a pour arme que la loi, celui qui doit maintenir dans la société politique la même sécurité, la même dignité de tous et de chacun, celui surtout qui doit faire respecter les corps de l'Etat.

Quelle force, en effet, peuvent avoir les lois dans un pays où les lois gouvernent et doivent être respectées par tous les citoyens, si ceux qui concourent à les faire sont en butte aux injures et aux calomnies? Quelle puissance peuvent avoir les premiers pouvoirs de l'Etat pour faire le bien, s'ils sont impunément l'objet des outrages les plus scandaleux? Cette considération devrait suffire pour décider la Chambre à exercer une sévérité aussi juste que légale envers le journal qui a porté si loin l'oubli de toutes les convenances; mais cette sévérité devrait être réclamée encore au nom et dans l'intérêt de la liberté de la presse. Cette liberté, l'une des plus précieuses de nos garanties, et qui peut être si utile au pays en se respectant et en se renfermant dans de justes limites, n'a pas de plus mortelle ennemie que cette licence effrénée qui inquiète tous les bons citoyens, et présente le danger de faire douter même de ses bienfaits.

Partisan plus que personne de cette belle institution, je crois que le pouvoir législatif doit veiller à sa conservation et la préserver des écarts qui pourraient compromettre son existence. Non seulement la liberté de la presse est menacée par les déplorables écarts de la licence, mais les progrès que doit faire la civilisation, le triomphe que doivent obtenir les principes libéraux et les institutions constitutionnelles, sont compromis par ces mêmes excès. Tout véritable ami de la liberté et de l'humanité doit désirer que les conquêtes politiques faites dans notre pays sur le pouvoir absolu et les doctrines anti-sociales, puissent s'étendre un jour et répandre leurs bienfaits sur le reste de l'Europe et du monde entier.

Cet heureux jour arrivera sans doute si la li

cortège qui doit l'accompagner, je veux dire si elle se présente escortée de l'ordre, de la paix, de la tolérance, de toutes les vertus qui peuvent la faire aimer et contribuer à la prospérité des nations. Ses progrès, je n'en doute pas, seraient certains et rapides si elle s'établissait et se maintenait chez nous de manière à rassurer et à séduire même ses adversaires les plus prévenus. Je suis convaincu que l'image de notre bonheur sous la protection d'une liberté sage et pure serait la meilleure, la plus sûre et la plus honorable des propagandes. Mais je crains que le triomphe de la liberté soit longtemps retardé, si, à côté du bien qu'elle fait et de celui qu'elle fait espérer, apparaissent sans cesse menaçants les spectres hideux de la licence et de l'anarchie. Il ne faut pas se le dissimuler, la liberté est chère à tous les cœurs généreux; mais les hommes ont besoin avant tout de repos, de sécurité; ils ne peuvent consentir à ce que leur honneur soit sans cesse attaqué, à ce que leur existence soit sans cesse troublée, et impunément troublée par la calomnie et le débordement de toutes les mauvaises passions. La liberté en un mot n'est pas ce qu'elle doit être, je dis plus, la liberté est compromise quand la licence, marchant la tête levée et l'œil menaçant, semble braver les lois et affecte de se jouer des alarmes et de l'indignation des hommes de bien.

L'application des lois peut seule faire cesser ces symptômes de dissolution sociale; leur juste sévérité peut seule faire triompher la liberté et rassurer la société. L'impunité ne ferait qu'encourager les fauteurs de désordre, augmenter le mal et le rendre peut-être incurable. On est malheureusement obligé de le reconnaître, l'indulgence et la longanimité sont des moyens impuissants pour avoir raison des hommes de parti; ces moyens sont considérés par eux comme des preuves de faiblesse et de timidité.

Voyez si rien peut désarmer leur haine et les faire renoncer à leurs sinistres projets. La France, après de longues convulsions, après avoir essayé de différents régimes, après avoir éprouvé les effets de la bonne et de la mauvaise fortune, secoua récemment le joug humiliant qui lui avait été imposé; elle doit à son héroïsme la conquête d'un ordre de choses qui doit faire son bonheur et sa gloire; la monarchie constitutionnelle et vraiment populaire, car elle a été fondée et proclamée par le peuple; ce gouvernement reconnu dans tous les temps comme le meilleur de tous, par les hommes les plus éclairés et les plus sincèrement attachés à la liberté, la monarchie constitutionnelle, parvient à s'établir sur des bases solides; une famille toute française, dont le patriotisme égale les vertus, une famille identifiée depuis longtemps, et en tous points, avec nos opinions et nos intérêts, unit sa destinée à la cause nationale: les vœux de tous les hommes de bien, de tous les vrais patriotes, sont accomplis; les principes de liberté et d'égalité qui leur sont si chers triomphent enfin, le bonheur de la France peut être désormais assuré.

Mais ces heureux résultats ne satisfont pas les hommes de parti : le bonheur de leur patrie est ce qui les touche le moins; les uns regrettent un passé dont ils exploitaient les abus, et aimeraient mieux voir la France déchirée en lambeaux que de la voir heureuse sous un gouvernement qui n'existe pas exclusivement pour eux. Les autres, pleins de présomption et d'ambition,

critiquent et veulent détruire un ordre de choses qui n'est pas leur ouvrage et ne leur donne pas une politique selon la haute capacité qu'ils croient avoir. Il leur importe peu que le pays ait confiance dans le gouvernement qu'il s'est donné, que son affection lui soit acquise, ils s'inquiètent peu que la France, fatiguée de ses longues dissensions, épuisée de sacrifices, veuille jouir en paix des heureuses destinées qu'elle a conquises; c'est en vain qu'elle demande du repos et de la sécurité pour son commerce et son industrie, pour les progrès des sciences et des arts, pour cicatriser enfin les blessures dont elle a été atteinte dans la lutte longue et glorieuse qu'elle a eu à soutenir. Les factions sont inexorables; elles le seront tant que leurs passions ne seront pas satisfaites. Il faut que le pays soit tourmenté, il faut que les hommes les plus honorables soient insultés et calomniés, il faut même que le chef de l'Etat, et tout ce qui a le plus de droit à notre amour et à notre respect soit l'objet des plus indignes outrages, il faut enfin semer la méfiance, irriter les esprits, empoisonner les opinions pour amener un conflit entre les citoyens abusés par les plus injustes déclamations, trompés par les plus injustes manœuvres; les larmes et le sang ne les effraient pas, la Vendée et les journées de juin ne l'attestent que trop. Je le répète, les factions sont inexorables; il faut que tout soit de nouveau mis en question, au risque de voir périr la civilisation et l'ordre social, pour que leur ambition et leurs théories insensées puissent avoir quelques chances de succès.

Les premiers pouvoirs de l'Etat sont restés jusqu'à ce jour spectateurs inactifs de tous ces excès; ils pouvaient espérer qu'ils auraient un terme; ils pouvaient croire que leur longanimité désarmerait enfin les hommes de parti les plus furieux et les plus implacables; ils se sont trompés, la générosité a été considérée comme timidité et faiblesse; l'impunité n'a fait qu'augmenter leur audace. Il est temps cependant que le pouvoir législatif s'occupe sérieusement du mal toujours croissant que fait la licence; il ne peut permettre que ce fléau continue à désoler le pays, et fasse de nouveaux progrès; il est de son devoir de faire usage de toutes les ressources de la légalité pour protéger la société, faire respecter les lois et donner à tous un salutaire exemple.

J'appuie les conclusions de la commission.

M. Garnier-Pagès. Ne devons-nous voir dans la réclamation présentée par un de nos collègues que le résultat d'une susceptibilité, résultat elle même des attaques dirigées contre ce collègue depuis quelques jours par la presse? Devons-nous croire qu'il a pu penser que les motifs qui l'engageaient à refuser de faire poursuivre le journal la Tribune pour ce qui le concernait, n'ont point été dans sa pensée aussi applicables à la Chambre tout entière? Devonsnous croire, en un mot, qu'il a pensé que la Chambre pouvait être atteinte par ce qui ne l'a point atteint, lui? Je ne le crois pas.

Je proteste d'abord contre cette expression de parti appliquée à la Chambre ou à la majorité de la Chambre. Je crois que puisqu'elle a la prétention de représenter la France (Mouvement.) elle ne doit ni ne peut vouloir être un parti, elle ne doit surtout pas vouloir avoir une pensée arrêtée de telle sorte que, quoi qu'on demande, la résistance lui paraisse être un devoir. La Chambre, Messieurs, la majorité comme la minorité, doit vouloir maintenir ce qui est bien concédé, ce qui est raisonnable, c'est-à-dire changer ce qui n'est pas bien.

La question posée ainsi, c'est-à-dire posée comme question de parti, dans quelle position se trouve la Chambre? Doit-elle être émue de cette pensée qu'il faut qu'elle résiste constamment? Doit-elle, s'occupant de toutes les attaques qui seront dirigées contre elle, déclarer que c'est là que la lutte doit s'établir, que c'est sur de pareils faits, sur des articles de journaux qu'elle doit agir, parce que, sans cela, la France pourrait courir des périls?"

Je pense autrement, et je crois que la Chambre ne doit s'occuper de la France qu'en faisant des lois, et doit laisser au pouvoir judiciaire, en dehors d'elle, le soin de défendre la société et la Chambre elle-même contre les attaques qui peuvent être dirigées contre l'une ou l'autre. C'est ainsi que la plupart des Chambres qui ont précédé celle-ci ort pensé; et sous la Restauration même, l'exemple qui a été donné en 1826 ne l'avait point été en 1823, quoique la même loi existât dès lors. On avait senti qu'il y avait quelque chose d'exorbitant à vouloir juger une affaire dans laquelle on se trouvait intéressé. En effet, comme on l'a dit et comme il faut le répéter, puisque c'est une vérité, on ne peut moralement, encore qu'on le puisse en vertu des lois, juger dans sa propre cause.

Mais ne devons-nous point aussi examiner si la lutte que nous établirions amènerait les résultats qu'on veut atteindre, dans l'intérêt de la Chambre, et ensuite dans l'intérêt de la France?

D'abord, en ce qui concerne l'intérêt de la Chambre, dans quelle position vous placez-vous? Si vous voulez qu'on vienne à votre barre, on aura le droit de chercher à prouver, ce que sans doute on ne fera pas, de chercher à prouver qu'on a eu raison d'employer les termes qu'on a employés; et, à défaut de quittances qu'on ne pourra produire, on cherchera, dans l'accroissement de fortune de quelques-uns, des motifs aux articles incriminés (Mouvement.), ou demandant aux autres dans quelle campagne ils ont gagné la croix qu'ils portent, faire entendre, à tort sans doute, mais enfin faire entendre que ces croix n'ont été données qu'au député, et parce qu'il était député.

Devra-t-on, Messieurs, pourra-t-on empêcher qu'on ne discute jusqu'au hasard heureux qui a pu favoriser certaines spéculations? Vous ne voudrez pas cela; non pas sans doute que vous ayez à la craindre. Si quelques-uns de nous étaient attaqués, ils se trouveraient dans cette position fâcheuse et funeste que l'attaque seule serait permise; il ne serait pas permis de repondre, on n'aurait pas même l'avantage qu'on trouverait devant les tribunaux où quelqu'un est chargé de représenter la société, et d'en aplutte, et classant la Chambre et même la majo-peler à la raison publique sur ce qui lui parait rité de la Chambre dans l'un de ces partis, il a dit que, puisqu'au dehors il y avait un parti de renversement, il fallait qu'il y eût au dedans du Parlement un parti de la résistance.

Un des orateurs qui m'a précédé à cette tribune a dit avec raison que cette attaque était une affaire de parti, que c'était une affaire de

s'écarter de la vérité.

On ne se bornera pas là, si l'on a à se défendre devant vous. On se demandera s'il y a attaque violente, réitérée; si ce n'est pas le ré

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