Images de page
PDF
ePub

de la presse? Il ne peut que les déférer aux tribunaux, c'est ce qu'il a toujours fait avec beaucoup d'exactitude; il n'a point la responsabilité des jugements qui interviennent; en un mot, je ne puis accepter cette assertion de l'orateur, que le gouvernement se traînerait à la remorque d'une tendance désordonnée; l'observation des lois, voilà son but; le maintien de la Charte de 1830 et du trône de Louis-Philippe, voilà l'objet constant de tous ses efforts; et ce trône et cette Charte sont inébranlables, malgré les efforts des partis. (Très bien !)

M. le comte de Montlosier. Je désire sincèrement avoir tous les torts dans cette discussion, et que M. le ministre de l'intérieur et le pays aient raison contre moi.

L'article unique du projet de loi est adopté.) On passe au scrutin secret sur l'ensemble de la loi.

[blocks in formation]

M.

DUPIN.

PRÉSIDENCE DE
Séance du mardi 9 avril 1833.

La séance est ouverte à une heure.
Le procès-verbal est lu et adopté.

M. le Président. L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet de résolution proposé par la commission chargée d'examiner la réclamation de M. Viennet concernant le journal « La Tribune. »

La Chambre ayant rejeté hier la proposition de l'ordre du jour pur et simple, il reste à examiner plusieurs propositions d'ordre du jour motivé qui ont été faites par MM. Jollivet, Mercier et de Belleyme. Divers orateurs sont inscrits contre ces propositions d'ordre du jour motive; ce sont MM. Duvergier de Hauranne, Augustin Giraud, Jaubert, Madier-Montjau... (Rires aux extrémités.)

M. le comte Jaubert (de sa place). Je voudrais bien savoir pourquoi des rires s'élèvent... (Mouvement prolongé.)

M. le Président. J'invite la Chambre à garder le silence qu'elle a observé hier.

La parole est à M. Jollivet.

Voix diverses: La lecture! la lecture!

M. Jollivet. Messieurs, j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre mon ordre du jour motivé; il est ainsi conçu :

« Considérant que les articles qui ont donné lieu à la communication de M. Viennet ne sauraient atteindre la Chambre, que les intérêts du pays réclament tous ses instants, la Chambre passe à l'ordre du jour. »

Plusieurs membres : Très bien!... Aux voix! aux voix!

M. Jollivet. Messieurs, si j'avais cédé au mouvement d'indignation, aux sentiments de mépris qu'ont excités en moi les articles du journal la Tribune, j'aurais plus énergiquement motivé l'ordre du jour; mais je crois que la Chambre se doit à elle-même, doit à sa dignité de répondre par la modération aux attaques de ses ennemis voilà pourquoi j'ai ainsi motivé ma proposition.

M. le Président. M. Duvergier de Hauranne la parole contre l'ordre du jour motivé.

Voix diverses: Il faut lire les divers amendements proposés sur l'ordre du jour motivé... On pourra choisir.

D'autres voix : Non! non! C'est inutile!... Aux voix! aux voix!

M. le Président. On vient de vous soumettre une rédaction; si vous la trouvez bien, vous l'adopterez; si vous ne l'approuvez pas; vous la rejetterez, et on passera ensuite à une autre rédaction.

M. Charles Dupin. Mais alors nous ne pouvons pas les comparer.

M. Duvergier de Hauranne. Je ne viens point renouveler une discussion épuisée, et, dans laquelle je ne pourrais que répéter ce qui a été dit hier par mes honorables amis, mais j'éprouve le besoin de refuser hautement, pour ma part, la transaction qui nous est proposée aujourd'hui. J'ai voté contre l'ordre du jour pur et simple, mais je le comprenais; je ne comprends pas, je l'avoue, l'ordre du jour motivé. Que veut-on, en effet, par cet ordre du jour? On veut que nous reconnaissions l'offense et que nous la subissions; que nous déclarions le délit et que nous reculions devant le devoir de le punir; que nous proclamions l'importance de la presse et que nous fléchissions devant elle. Je ne crains pas de le dire, jamais exemple plus funeste n'aurait été donné aux pouvoirs de toute nature chargés de défendre la société. J'espère, pour le repos, pour le salut de la France, que cet exemple ne serait pas suivi.

Messieurs, vous vous engagez à reculer devant le scandale d'un procès que je crois nécessaire et que l'on ne peut éviter, selon moi, qu'au prix d'un scandale bien plus grand un honorable général vous a cité hier l'exemple de l'Assemblée constituante. Il vous a dit que, pendant sa longue existence, l'Assemblée constituante n'avait cessé d'être injuriée, outragée, calomniée, et que jamais elle n'avait songé à se faire justice à elle-même. Je prie l'honorable général de nous dire qui faisait justice, et de quoi justice se faisait sous l'Assemblée constituante? En vérité, quand des têtes étaient impunément promenées dans Paris, quand on n'osait ni condamner, ni même poursuivre des assassins connus; quand, par un mot que son auteur s'est ten

reproché pour que je veuille le citer on allait jusqu'à excuser, en pleine séance, les plus sanglants désordres, l'Assemblée constituante eût ěté bien venue à punir quelques injures, quelques outrages, quelques calomnies! L'Assemblée constituante, Messieurs, ne s'est pas fait justice, parce que, sous l'Assemblée constituante, il n'y avait pas de justice. (Fives réclamations à gauche. Marques d'adhésion au centre.) Non, Messieurs, sous l'Assemblée constituante il n'y avait pas de justice. C'est une assemblée qui avait de grandes, de nobles qualités; mais il lui manquait celles qui font les gouvernements, celles qui fondent l'ordre dans un pays. Sous l'Assemblée constituante, je le répète, il n'y avait pas de justice, et l'honorable général sait mieux que nous ce qui en est résulté. Qu'on ne nous cite donc pas l'exemple de l'Assemblée constituante, ou plutôt qu'on nous le cite, mais pour nous engager à ne pas l'imiter.

Au centre: Très bien !

M. Duvergier de Hauranne. Messieurs, il est temps encore de montrer à la France que nous sommes un pouvoir digne d'elle, et capable de la défendre contre ses ennemis. Je vote contre tous les ordres du jour motivés, quelles que soient leur forme et leur rédaction. (Nouveau mouvement d'adhésion.)

M. le général Lafayette (de sa place). Je déclare que depuis le jour où l'Assemblée constituante s'est établie à Paris, jusqu'à la fin de la session, il n'y a pas eu d'autre assassinat commis dans la capitale que celui d'un boulanger, dont les deux assassins ont été arrêtés, jugés et pendus. (Mouvement.)

M. Duvergier de Hauranne. A l'époque dont j'ai parle, l'Assemblée constituante était en effet à Versailles; mais il n'est pas moins vrai que lorsque Barnave dit le mot auquel j'ai fait allusion, le sang avait coulé, et que ce sang n'a jamais été vengé.

M. le comte Jaubert. Messieurs, la Chambre a déjà voté, dans sa session de 1831, un ordre du jour motivé; celui-là, Messieurs, était un symptôme et une garantie de force, il s'agissait de soutenir le système que l'illustre Périer a fait triompher à cette tribune; il s'agissait de rendre à tous les bons citoyens la confiance qu'ils commençaient à perdre. Aujourd'hui l'ordre du jour qu'on vous propose serait un acte de faiblesse indigne de vous ce ne serait pas au profit d'un système quelconque, on ne saurait alors véritablement où l'on irait; au lieu de donner de la confiance aux bons citoyens, ce serait le découragement qui les saisirait. Si Vous reculez devant l'accomplissement d'un devoir qui vous est imposé par vos serments, de quel droit exigerez-vous quelque énergie des fonctionnaires chargés de faire respecter l'autorité, soit à Paris, soit dans les provinces ? de quel droit exigerez-vous des douze jurés, des citoyens pris au hasard dans le sein de la société, assez d'héroïsme...

Voix à droite: Parlez en face! on ne vous entend pas !

M. le comte Jaubert. Vous m'entendez bien !... (Rires.)

M. le Président. Ne faites pas dégénérer en risée une discussion aussi grave; si l'on faisait plus de silence, on pourrait écouter de tous les

côtés.

M. le comte Jaubert. De quel droit, dis-je, exigerez-vous des douze jurés pris au hasard dans le sein de la société assez d'héroïsme (le mot n'est pas trop fort) pour condamner des perturbateurs en présence des menaces, des outrages, des lettres anonymes qui viennent sans cesse les chercher jusqu'auprès du foyer domestique? Cet héroïsme ne se rencontrera plus, si la Chambre, qui par état est obligée d'avoir du courage, n'en montre pas dans cette circonstance. (Rumeurs.) C'est de vous qu'en fait de gouvernement vient l'impulsion, c'est votre majorité qui fait et défait constitutionnellement les ministres; c'est à vous de communiquer au ministère, à l'administration, à la magistrature, la force dont tous ces pouvoirs ont besoin pour soutenir la Charte de 1830 et la royauté de Louis-Philippe. Tout dépérit, Messieurs, si vous n'usez pas des prérogatives qui sont dans vos mains. On vous dit quelquefois que les lois manquent. Non, ce sont les hommes qui manquent aux lois; et je craindrais que la Chambre, en adoptant l'ordre du jour motivé, prouvât la vérité de cette assertion.

Messieurs, si vous adoptiez l'ordre du jour motivé, on vous taxera de faiblesse, et à juste titre; on vous dira que vous avez sacrifié à la peur. Messieurs, c'est sur cet autel que la Convention, qui comptait aussi parmi ses membres beaucoup d'honnêtes gens, a sacrifié des milliers de victimes humaines! On vous accusera d'avoir peur de la presse, cette puissance gigantesque, envahissante, quí bientôt aurait absorbé tous pouvoirs si nous la laissions faire. Je veux parler de la mauvaise presse, et c'est aussi elle qui domine. Ce serait la pire des tyrannies, plus insupportable mille fois que le despotisme dans les mains d'un grand homme. On peut dire de cette puissance de la presse ce qu'on a dit d'une autre : Elle ne nous paraît grande que parce que nous nous rapetissons devant elle; levons-nous! On vous accusera aussi d'avoir peur de l'émeute; on vous en menace tous les jours, et les dispositions sont assez bonnes pour cela, et les gens qui ont fait les 5 et 6 juin sont encore disposés à recommencer, et on les encourage tous les jours. On vous dira que vous avez peur de la plaidoirie. Nous savons à quel abus, à quel excès la défense des accusés, chose si respectable en elle-même, a été portée depuis quelque temps.

J'ai été témoin récemment d'un procès politique; j'ai entendu attaquer avec un talent admirable, mais aussi avec une audace tout aussi grande... Ce mot s'allie au respect dù au talent. M. Berryer. Pas trop avec le respect dû à la personne !

M. le comte Jaubert. J'ai entendu mettre en question la royauté de Juillet au profit de cette legitimité qu'à aucun prix nous ne voudrions voir reparaître dans notre pays. Nous avons été témoins de ce scandale; vous croyez peut-être le voir renouveler dans cette enceinte au profit d'une autre opinion. Je ne le crains pas; j'en ai pour garantie le caractère élevé du président de cette Chambre, qui à coup sûr ne permettrait pas qu'on pùt ici prêcher des doctrines républicaines, et des doctrines qui tous les jours sont mises en honneur dans certaines feuilles publiques; et si elles ont retenti dans nos tribunaux, elles ne seraient pas permises ici. Si ja mais le président pouvait un instant oublier ses devoirs, la Chambre assurément l'y aurait bientôt rappelé. Je n'ai donc pas peur de la plaidoirie.

Messieurs, dans la défense, on se contentera

de vous dire ce que certains orateurs qui ont été entendus hier vous ont dit. L'un d'eux, l'honorable général Lafayette, vous disait, à propos du procès d'un journal notoirement républicain: "Ce sera toujours la liberté que je défendrai. Oui, je l'ai défendue, moi républicain, de sentiments innés et d'habitude de jeunesse ; je l'ai défendue contre la prétendue république qui voulait la violer. »

Vous le voyez, Messieurs, toujours même système la république en avant, sur le premier plan, et toujours la monarchie pour pis-aller.

Je vous fais sentir aujourd'hui, par des exemples, ce que serait la défense; et si vous avez entendu hier, par respect pour la liberté de la tribune, les paroles que je viens de citer, vous ne jugerez probablement pas nécessaire, si le défenseur n'allait pas plus loin, de l'interrompre.

Un autre orateur, dans un temps où le meurtre des rois est sans cesse prêché avec impunité, vous a dit hier qu'un des torts de l'Assemblée constituante avait été de placer sa confiance en Louis XVI. Un autre orateur vous a dit que la Convention avait cru, « dans l'intérêt général, devoir juger un roi ».

Vous n'avez vu là, Messieurs, que des paroles générales qui n'ont pas une extrême importance, vous les avez laissé passer. Si la défense se renfermait dans les mêmes termes, vous ne jugeriez probablement pas convenable de l'arrêter.

Enfin, Messieurs, on ne contestera pas dans la défense vos pouvoirs plus qu'ils n'ont été contestés dans la séance d'hier. En effet, un honorable député vous a dit que la Chambre avait la prétention de représenter la France; d'où l'orateur concluait, sans doute dans sa pensée, que la Chambre n'est qu'une représentation imparfaite de la France, attaquant ainsi, par ce seul mot, la Charte de 1830 tout entière, la loi des élections en vertu de laquelle vous siégez et faisant un appel au suffrage universel, et pourtant vous ne l'avez pas arrêté.

M. le général Lafayette, vous a dit encore hier que 31 millions de Français étaient hors de la représentation du pays. Ce serait précisément là, Messieurs, le texte que viendrait défendre, à cette place, le défenseur du journal la Tribune. Vous ne l'interrompriez pas plus que vous n'avez interrompu hier l'honorable général.

Enfin, le défenseur de la Tribune ne fera pas plus d'insinuations contre le caractère personnel des membres de cette Chambre que n'en a fait hier un de nos honorables collègues. En effet, il vous a parlé de l'accroissement de fortune de quelques-uns, des motifs de certaines récompenses, du hasard heureux qui a pu fortifier certaines spéculations. A cela mon honorable collègue et ami M. Dumon a dit que nous pouvions, avec quelque confiance, laisser pénétrer dans le secret de nos patrimoines. C'est, Messieurs, que nous avons un patrimoine; et c'est là le secret de nos opinions.

Voix à droite: Qu'est-ce que cela signifie?... Est-ce que nous n'avons pas nous aussi un patrimoine ?

M. le comte Jaubert. C'est précisément parce que nous sentons la société attaquée dans ses fondements, qui sont la propriété, la sûreté des citoyens, que nous défendons le gouvernement, qui est le représentant de ces intérêts.

Je devais cette réponse à des insinuations dont

j'aime à croire que notre honorable collègue n'a pas senti toute la portée.

Voix à droite Est-ce une insinuation que vous faites vous-même?

M. le comte Jaubert. Je dis que la défense de la Tribune ne peut présenter ni plus d'inconvénients ni plus de scandale que les discours que je viens de citer.

Enfin, Messieurs, un système de temporisation perpétuelle vous est proposé à l'égard de la presse. Vous voyez où ce système vous a menés. L'audace toujours croissante de nos ennemis doit nous faire présager les plus grands dangers, si nous n'y apportons pas remède.

A ce sujet, qu'il me soit permis de vous rappeler qu'au commencement de cette législature, lorsque nous sortions des collèges électoraux qui nous avaient élus, quelques députés pensèrent que cette Chambre ne devait pas commettre la faute qui avait contribué à perdre la Chambre de 1830; que nous ne devions pas nous laisser démolir pièce à pièce par la mauvaise presse; que c'était un devoir impérieux pour nous de l'empêcher; que nous avions contracté à cet égard envers le pays une véritable dette qu'il fallait acquitter. Messieurs, cet avis ne fut pas suivi. Dans les commencements, on pensa qu'il était trop tôt; on demanda s'il ne valait pas mieux attendre une meilleure occasion. Dieu sait si elles se sont renouvelées! et pourtant on a persisté dans ce système déplorable de temporisation. Aujourd'hui, Messieurs, Dieu veuille qu'il ne soit pas trop tard! Je ne le pense pas; c'est pourquoi je m'oppose à l'ordre du jour motivé.

:

D'autres personnes mettent en avant cet argument Mais la presse s'affaiblit par ses propres excès à quoi bon donner aux organes les plus décriés de la presse une importance qu'ils ont perdue? Messieurs, ceci ne me paraîtrait qu'un aveu d'impuissance. La presse perd de son crédit par les gens éclairés et raisonnables. Mais, Messieurs, vous le savez, le nombre des ignorants, de ceux qu'on peut entraîner à des actions coupables par l'appât du pillage, est bien autrement grand; et c'est de ce danger que je veux, pour ma part, préserver la société.

Enfin, Messieurs, nous avons entendu hier de longues récriminations de la part de nos honorables collègues de l'opposition. J'ai toutes les peines du monde à comprendre ces reproches. En bonne conscience, s'il y avait une portion de cette Assemblée qui eût à se plaindre des procédés de l'autre, nous y serions plus fondés que nos honorables adversaires.

Tantôt ils se vantent à cette tribune de représenter seuls la partie loyale, patriote, courageuse de la nation c'est nous traiter, ce me semble, sans cérémonie, pour me servir des expressions mêmes de l'orateur auquel je fais allusion. Pour moi, je croyais qu'il y avait aussi loyauté à donner assistance à un gouvernement bien intentionné, à ne lui susciter d'embarras ni à l'intérieur ni à l'extérieur. Nous avons aussi la prétention d'être bons patriotes, et d'avoir donné tout autant de gages à la Révolution de Juillet. Quant au courage, j'en appelle à l'opposition elle-même: n'y a-t-il pas, par le temps qui court, autant de courage pour le moins à défendre le pouvoir qu'à l'attaquer? Qui, de nos honorables adversaires ou de nous est le plus en butte aux menaces, aux provocations de tout genre, au dévergondage de la presse? Pour qui sont, - je prévois que vous allez rire (Rires aux extrémités.), pour

[ocr errors]

qui sont ces ignobles charivaris, dont plusieurs ont failli dégénérer en assassinats? Ces scènes scandaleuses, véritable attentat contre la liberté des opinions, l'opposition les a-t-elle une seule fois frappées de son improbation? Non; toutes les fois, au contraire, qu'il en a été question dans cette enceinte, elle n'y a vu que des espiègleries patriotiques, et n'a fait qu'en rire! Jalouse d'un genre de popularité que nous sommes loin de lui envier, elle a reçu les ovations de ceux-là mêmes qui venaient de nous poursuivre de leurs vociférations.

Et ces biographies mensongères qui nous attaquent dans notre honneur politique, presque dans la vie privée, sous quels auspices sont-elles publiées? sous celles d'un club ostensiblement dirigé par le chef habile d'une section notable de l'opposition. (Mouvement.)

Tantôt encore, l'opposition, oubliant les sommes énormes dont ses exigences et son esprit remuant ont surchargé le Trésor (nous en ferons le compte quelque jour), se proclame la seule partie de la Chambre qui soit économe des deniers publics. Ce reproche nous a été adressé par un député qui, la veille, avait mis de côté sa rigidité d'habitude, pour essayer de justifier une dépense de 4,800,000 francs, la plus irrégulière peut-être que jamais ministre des finances, dans un état constitutionnel, eût osé faire; et demain peut-être le même député viendra, à propos du déficit Kessner, nous taxer de molle condescendance ou de complicité. (Agitation aux extrémités. Marques d'adhésion aux centres.)

J'ai énuméré, Messieurs, quelques-uns de nos griefs. Que serait-ce, si je vous rappelais ici cet acte fameux, acte extraparlementaire, ou plutôt antiparlementaire, qu'on appelle le compte rendu, et que j'appellerai, moi, l'acte d'accusation de la majorité de cette Chambre, dressé par la minorité; un acte d'accusation du gouvernement, une sorte d'appel, bien involontaire sans doute, aux passions furieuses qui s'agitent dans les rangs inférieurs de la société. Les passions y ont répondu, et peu de jours après le compte rendu, vous en avez vu dans les rues de la capitale le sanglant commentaire. (Mouvements divers.)

Ah! Messieurs, ce funeste exemple devrait rendre l'opposition plus circonspecte et plus juste

envers nous!

Messieurs, on s'est plaint de la presse qu'on a appelée ministérielle. Moi aussi, Messieurs, j'ai un reproche à lui faire, c'est qu'elle n'a pas sufsamment défendu tout ce que nous avons le plus d'intérêt à défendre. Vous comprendrez les convenances qui font que je n'entre pas à cet égard dans plus de détail. Je dirai seulement à l'occasion des reproches qui ont assez retenti, que la presse ministérielle avait la main pleine de vérités, et qu'elle ne l'a pas ouverte. (Sensation.)

Messieurs, il ne faut pas se dissimuler que les conséquences de la mise en prévention ne seraient rien, si elles ne devaient pas aboutir à la peine la plus sévère que vous ayez le droit de prononcer en vertu de la législation.

Mais, dit-on, ce serait tous les jours à recommencer. Messieurs, à chaque jour sa tâche. Faisons aujourd'hui notre devoir et nous verrons après. Le moment actuel me paraît décisif. Si la Chambre le laisse passer sans sévir, il est démontré pour moi qu'elle, et peut-être d'autres pouvoirs, se trouveront entraînés sur une pente où tout le courage des meilleurs citoyens ne pourra plus les retenir.

Vos

Dans une occasion solennelle, il s'agissait du renvoi de ce ministère odieux qui a précédé la Révolution de Juillet, deux opinions se manifestèrent dans cette Chambre : l'opinion nationale représentée par les 221, qui courageusement dirent au chef du gouvernement d'alors : ministres n'ont pas notre confiance, il vous mènent à un abîme. » A côté de cet avis loyal qui aurait dû être entendu! se produisit une opinion métis, celle caractérisée par un amendement qui réunit 181 voix.

«

C'est une transaction de ce genre qu'on vous propose aujourd'hui. Le péril n'est peut-être pas aussi imminent, je veux bien le croire; mais la conduite serait la même, si vous vous renfermez dans l'ordre du jour motivé. Ce dédain qu'on vous conseille voudrait être fier; mais quelles que soient les formes ingénieuses que l'on emploie pour l'exprimer, on ne parviendra, permettez-moi de vous le dire, qu'à le rendre parfaitement ridicule.

Ce serait un acte de faiblesse déguisé. Il vaudrait bien mieux, selon moi, avouer tout d'un coup que la presse, la mauvaise presse (c'est toujours celle-fà dont j'entends parler) est maitresse de tous les pouvoirs de l'Etat, qu'elle règne seule en France, que toute autorité lui est soumise; du moins on saurait à quoi s'en tenir, et ainsi se trouverait réalisée cette pensée anarchique que la presse est au-dessus de cette tribune même.

Et cependant, Messieurs, les paroles qui descendent de cette tribune sont inspirées par l'opinion publique de la France, dont nous sommes les représentants légaux, et je ne sache pas que le premier écrivain venu ait plus qualité que nous, je dirai même que moi, pour parler au nom de la France.

Jusqu'à présent j'avais cru que le droit de siéger dans cette enceinte était le plus grand honneur qui pût être déféré à un citoyen par ses concitoyens; mais, je le dis avec sincérité, si la Chambre adoptait l'ordre du jour motivé qu'on lui propose, cette haute opinion de notre dignité se trouverait singulièrement modifiée dans mon esprit.

(Ce discours est suivi d'une longue agitation.)

M. Berryer. J'ai demandé la parole pour un fait personnel.

Lorsque je prends la parole pour un fait personnel, la Chambre doit être convaincue que je ne viens pas lui présenter une justification dont je n'ai pas besoin et qu'en aucun cas je ne consentirais à soumettre.

J'ai prouvé, en plus d'une rencontre et dans un cas où des plaintes plus légitimes pouvaient sortir de ma bouche, que je ne voulais pas occuper de moi l'Assemblée. Je n'ai pas cherché à provoquer la susceptibilité et la solidarité de la Chambre. C'était assez montrer combien j'ai de répugnance à l'occuper de moi; mais dans un intérêt plus général, j'ai besoin de vous faire remarquer par quelle étrange contradiction, alors que nous sommes occupés de délibérer sur la question de savoir si la Chambre prendra la défense de sa propre dignité, si elle a été outragée et si elle doit se venger par des moyens légaux, ceux qui se prétendent si jaloux de cette dignité, si humiliés d'une injure, oublient euxmemes à ce point, dans le sein même de la Chambre, et la dignité de ses membres et la leur propre en se plaignant d'un outrage venu du dehors, et osent insulter ceux qui siègent au

milieu de vous, en se constituant juges d'actes qui ne vous sont pas soumis, d'une défense prononcée devant une cour d'assises; on s'est servi du mot d'audace, expression qui ne pourrait avoir de sens que si on l'appliquait au choix même qui en a été fait.

:

Je ne m'étonne pas que les hommes qui agissent de la sorte, qui tiennent un pareil langage, viennent nous dire que la légalité les tue je le crois bien; mais qu'ils se tiennent pour avertis; il y a péril à ce que cette peur qui les presse précipite trop leurs pas; il y a péril en France à méconnaître les lois les plus sacrées et à violer tous les droits, les droits fondamentaux de la société.

Eh quoi! diriger une attaque contre la libre défense des accusés.

Ainsi on viole le droit, on viole la loi, on viole la dignité d'hommes qui ont le droit d'être respectés, on viole l'autorité de la chose jugée; car il n'y a que le tribunal qui juge le procès qui puisse juger aussi le droit et la convenance de la défense, et le silence du magistrat est un arrêt rendu sur l'usage que l'avocat a fait de son droit.

Cette vérité est sacrée. Mais on viole tout, on foule tout aux pieds, oui, la légalité et les droits de tous; mais je le répète, tenez-vous pour avertis; quant à nous, nous le sommes. (Mouvement en sens divers.)

M. Gargnier-Pagès paraît à la tribune.

Voix de l'extrême droite. Ne répondez pas!... Descendez de la tribune!... Il ne faut pas répondre !

M. Parant (de sa place). Le premier qui est monté à cette tribune a cru devoir adresser des reproches à une partie de ses collègues. Certes je ne m'opposeraì pas à la justification de ces derniers...

Voix aux extrémités : Ils n'en ont pas besoin ! M. Parant. Messieurs, vous comprendrez cela comme vous le voudrez. Si l'orateur qui est à la tribune ne tient pas à porter la parole, nous reviendrons à la question qui est de savoir si un ordre du jour motivé doit être ou non adopté. Je propose, en conséquence, qu'on passe à l'ordre du jour si toutefois M. Garnier-Pagès n'insiste pas pour avoir la parole. Ce que je fais est une démarche de conciliation.

(M. Garnier-Pagès, après quelques instants d'hésitation, descend de la tribune.)

M. Auguste Giraud. Messieurs, je n'avais pas l'intention de prendre la parole dans la question grave qui s'agite devant vous, mais l'issue que semble vouloir prendre cette affaire, a changé mes dispositions; c'est surtout quand l'indécision se manifeste au sein de cette Chambre, qu'il faut avoir le courage de l'indépendance de son opinion, et venir la manifester hautement à cettre tribune.

Je n'ai point provoqué la position où se trouve placée la Chambre aujourd'hui; mais comme solidaire de son honneur, de sa dignité, j'ai reconnu qu'une fois le gant jeté, et relevé par elle, il n'y avait plus à reculer. Je ne m'occupe pas aujourd'hui s'il y avait convenance, au moment où l'un de nos honorables collègues veut dénoncer à la Chambre un article de journal, de répondre à la presse révolutionnaire par le dédain ou le mépris.

Vous en avez décidé autrement. Vous avez renvoyé l'examén de cette question dans vos

bureaux; une commission, expression de votre pensée, en a été saisie; à la presque unanimité, elle est venue, par l'organe de son rapporteur, vous demander que le gérant de la feuille dénoncée fùt traduit à votre barre, et vous êtes, sinon sur le point de lui donner un bill d'indemnité, mais de déclarer avec un accent superbe et dédaigneux que vos moments sont trop précieux pour vous arrêter à des attaques qui ne peuvent en rien vous atteindre. Que s'est-il donc passé au dedans et au dehors de cette Chambre pour changer aussi subitement les esprits? Hier, la discussion vous a-t-elle démontré d'une manière bien péremptoire que vous n'êtes pas dans votre droit en cherchant à vous protéger et à venger la société outragée dans la représentation du pays? Les rapprochements que l'on a voulu faire de 1826 et de 1833 ont-ils jeté le trouble et la perplexité dans vos esprits? Les menaces que l'on vous a faites de voir la défense s'ériger en attaques nouvelles contre cette Chambre Vous auraient-elles intimidés? Sont-ce enfin ces déclarations que, s'il y avait combat entre la liberté, on se déciderait alors contre la monarchie, qui ont pu produire une impression sur votre conviction?

N'avez-vous pas été touchés plutôt du parallèle qu'on vous a fait des Chambres 1826 et 1833, de l'esprit de la presse de ces deux époques? Oubliez-vous que nous sommes en présence d'une faction implacable, audacieuse, qui avoue hautement, qui se vante chaque jour de livrer combat à notre système de gouvernement, qui sape les bases de la société pour la renverser, qui ne respecte rien depuis le chef de l'Etat jusqu'au dernier anneau du pouvoir, comme vous le disait votre rapporteur. Un des organes avoués de cette faction vous est dénoncé. Les articles qui ont motivé cette dénonciation sont présents à vos esprits. Depuis cette publication, les numéros ultérieurs de cette feuille périodique sontils venus témoigner par une discussion plus calme qu'ils reconnaissaient qu'ils avaient dépassé les bornes qui leur étaient tracées par le devoir et la raison. Lisez et répondez-moi. C'est donc dans cette situation qu'on vous a proposé un ordre du jour qui n'a échappé qu'à une majorité de quelques voix. On vient tenter par un ordre du jour motivé de mettre à couvert la dignité de cette Assemblée. Vous n'y parviendrez pas; tous les tempéraments, tous les faux-fuyants que vous essayez d'adopter, ne seront aux yeux du plus grand nombre qu'un acte de faiblesse impardonnable.

Ce sera une prime d'encouragement à ce système de calomnie et de diffamation dans lequel on est entré: en un mot, il faudra que la Chambre recule devant les coups redoublés de la presse révolutionnaire. Il en est encore temps, mes collègues, nous pouvons encore, par une attitude énergique, prouver que cette Chambre a la conscience de son mandat, et que son premier devoir est de veiller à sa dignité. Vous avez une arme à votre disposition, usez-en avec circonspection, mais sachez, quand le moment est arrivé, frapper ceux qui, par une combinaison suivie, tentent à nous plonger dans le désordre et l'anarchie. Si vous renoncez à ce droit, vous ne tarderez pas à le regretter; encore quelques moments, et vous verrez si cet ordre du jour motivé, qu'on vous propose aura un effet salutaire. Ce sera, selon moi, le signal d'une nouvelle violence forte de l'impunitě, la presse révolutionnaire redoublera ses attaques contre

« PrécédentContinuer »