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bune, alors je le dis hautement, mais avec douleur, les populations coloniales ne doivent rien attendre de leur ingrate métropole, rien de nos efforts en leur faveur; elles ne doivent compter que sur elles-mêmes, ne prendre conseil que des circonstances, et se donner au premier etat libre continental ou insulaire qui voudra les recevoir au rang de ses citoyens, à celui qui leur garantira la jouissance de ces droits sacres et Inalienables de l'homme et du citoyen, si longtemps outragés par leurs prétendus protecteurs.

M. l'amiral de Rigny, ministre de la marine. Je regrette' que l'honorable orateur ait terminé son discours en répetant presque textuellement un axiome fameux prononcé au sujet des colonies. Je n'insisterai pas pour rappeler les consé-' quences qu'eut alors ce propos.

Son système m'a paru consister en ce que la première loi est urgente, et non pas la seconde : d'où résulterait que vous voteriez la loi qui concède aux hommes de couleur des droits politiques, et non la loi qui porte les conditions sous lesquelles ces droits seront exercés.

Je n'ai pas l'intention de suivre l'orateur dans le detail des faits qu'il a cités, et qui se rapportent à des événements antérieurs et éloignés; je dirai seulement quelques mots sur ceux d'une époque plus rapprochée.

Il vous a dit que le gouvernement avait compté sur la fin de la session, pour discuter cette foi, pour l'emporter d'assaut en quelque sorte. Je dirai que cette loi, qui est l'exécution de la Charte, a été présentée dans la session dernière, qu'une commission fit son rapport, mais que les travaux n'en permirent pas la discussion: qu'elle a été présentée cette année à la Chambre des pairs: que le gouvernement a eu égard à quelques observations faites dans le rapport de M. Passy, et qu'il y a pris quelques dispositions.

Je dirai encore que cette loi a été dans l'autre Chambre l'objet d'un examen approfondi, et que, rapportée ici, elle y a subi l'épreuve d'une commission qui, à la majorité de 8 voix sur 9, l'a adoptée sans changement.

Il a dit que le gouvernement a refusé à la commission des documents qu'il sait exister au ministère de la marine. Je déclare que tous les renseignements venus des colonies, notamment de la Guadeloupe que l'on a citee, ont été communiqués. A la verité, il y avait un document qui portait une liste nominative, que je n'ai pas cru devoir communiquer. Je dirai que l'orateur est d'autant moins fondé à réclamer cette communication, que je ne lui demande pas la communication des noms des 1,500 pe sonnes qu'il a 'prétendu être commissionnees ici.

L'honorable préopinant a dit que la justice n'était pas la même pour tous dans les colonies; que quand il s'agit de juger des blancs, on est partial en leur faveur. On a pu se plaindre de cela à une certaine époque où l'ensemble des juges dans les colonies appartenait aux localités. Mais depuis l'ordonnance de 1828, qui a créé une jurisprudence métropolitaine, je crois que la justice est rendue équitablement.

On a cité un fait accompli depuis que j'ai l'honneur de diriger l'administration de la marine; on a parlé d'un abus de pouvoir d'un gouverneur qui a renvoyé de la colonie un juge pour avoir diné avec des gens de couleur. Ce n'est pas pour ce fait que la personne dont il s'agit a été l'objet de cette mesure rigoureuse. Le gouverneur est investi d'un droit fort étendu, et peut

faire sortir de la colonie toute personne dont la presence peut troubler l'ordre, mais il n'a usé de ce droit que pour le désordre et le scandale qui suivirent le diner dont on vous a parlé. Au reste, cette personne, qui, je pense, s'etait conduite sans mauvaise intention, a été placée dans un tribunal, c'est-à-dire qu'elle a échangé une place amovible contre une place inamovible.

J'ai eu l'honneur de dire à la Chambre que les deux lois me paraissent connexes; que l'une concédant ds droits politiques, et l'autre réglant les conditions sous lesquelles ces droits seront exercés, il était nécessaire que ces lois fussent votees ensemble. Je dirai que les colonies, par suite de la législation sur les sucres qui a été adoptée ou qui va l'ètre, reçoivent une assez rude atteinte, et qu'il peut résulter une fermentation par suite du retard que la loi subirait dans cette enceinte. Je considère les colonies comme etant dans un état pénible, mais j'ai la confiance que la loi qui est présentée, sans être la meilleure possible, est pourtant la mieux appropriée aux circonstances, et qu'elle est propre à calmer les inquiétudes, à rassurer les esprits.

M. Réalier-Dumas. Messieurs, la justice est le premier besoin des peuples. Pour qu'ils la respectent, qu'ils la craignent et qu'ils se soumettent, sans murmurer à ses arrêts, il faut qu'ils ne puissent pas douter de son impartialité.

La justice, telle qu'elle est rendue dans les colonies est-elle et peut-elle être vraiment impartiale avec les éléments dont elle est composée ? C'est ce que je vais examiner en très peu de mots.

Deux classes sont en présence dans les colonies l'une, qui prétend avec raison à la jouissance de droits naturels, de droits positifs, que le règne de la force, quel que soit le temps qu'il ait à durer, n'a jamais pu prescrire contre elle; l'autre, au contraire, qui prétend la maintenir dans l'espèce d'ilotisme où elle a vécu jusqu'à ce jour.

La sagesse des lois dont vous vous occupez en ce moment, la loyauté du ministre qui sera principalement chargé de leur execution me rassurent pour l'avenir. Les divisions devront cesser de droit; mais elles existeront longtemps encore de fait. Ce n'est qu'à la suite de longues années que les lois pourront réagir sur les mours. L'empire des préjugés ne se détruit pas en un jour.

Les magistrats out pour mission de rétablir la concorde entre les partis, en punissant également les excès auxquels ils se livrent. Eh bien! les magistrats ne sauraient la remplir, parce qu'ils ne sont pas indépendants. L'inamovibilité n'y est pas moins nécessaire qu'en France. Je me trompe, elle est beaucoup plus nécessaire dans les colonies que partout ailleurs, à cause des haines et des divisions qui règnent parmi les habitants.

Le magistrat n'a rien à craindre de la classe opprimée; mais il n'en est pas de mène de la classe qui opprime. Que résulte-t-il de là? c'est qu'il ne peut tenir que d'une main tremblante la balance de la justice Sa conscience lui crie bien: Sois juste. Mais son intérêt lui dit aussi : Ménage les blancs. Ils ne sont pas moins puissants à Paris qu'ici, crains pour ton avenir. Ces craintes ne sont pas sans doute fondées; l'esprit de justice qui anime le vainqueur de Navarin m'en est un sûr garant. Mais telle est l'opinion des magistrats français des colonies. J'en ai la preuve en main. Ils ne se considèrent pas comme des juges, mais comme des commis de la justice,

dont le gouverneur militaire peut disposer à son gré. Heureux encore si, pour être restés impassibles et fermes au milieu des passions qui agitent ces malheureuses contrées, ils ne sont pas enlevés à leurs fonctions et embarqués comme de vils criminels.

Que faudrait-il donc faire dans les colonies sous le rapport de l'administration de la justice? Quelques voix Mais c'est étranger à la loi!

M. Réalier-Dumas. Tant que les colons seront divisés entre eux comme ils le sont aujourd'hui, il faut que la justice y soit rendue par des magistrats étrangers au pays. Il faut que non seulement ils soient indépendants, mais il faut que tous croient qu'ils le sont. Je voudrais que pendant 10 ans au moins tous les juges des colonies fussent choisis dans l'intérieur de la France. Les sujets ne manqueront pas, surtout si on leur promet, et qu'on leur tienne parole, qu'après cinq ans ils auront le droit d'être placés en France dans le même rang qu'ils occupaient dans les colonies. On obtiendrait par là un avantage immense; ce serait de les empêcher de contracter des habitudes, des liaisons avec des hommes dont ils finiraient par partager les passions s'ils étaient condamnés à passer leur vie au milieu d'eux.

Je voudrais que dans l'intérêt de leur dignité, de cette considération sans laquelle ils ne sauraient faire aucun bien, les tribunaux relevassent du ministère de la justice, comme l'enregistrement et les douanes relèvent du ministère des finances. Je ne saurais trop le dire, on n'aura aucun respect pour la magistrature des colonies, tant qu'elle sera ou que l'on pourra la croire soumise au régime du sabre du gouverneur. Otons à nos tribunaux d'outre-mer tout ce qui pourrait leur donner quelque ressemblance avec ces tribunaux d'exception, ces commissions à la justice desquelles on a tant de peine à croire, parce qu'elles sont toujours plus ou moins sous la dépendance du pouvoir.

M. l'amiral de Rigny, ministre de la marine. Sans vouloir rien dire de désagréable au préopinant, je dirai que ce qu'il vient de dire me semble hors de propos. Il n'est pas question de l'organisation judiciaire qui sera la conséquence de la loi qui vous est présentée. Quand cette organisation sera traitée ici, les observations qui viennent de nous être présentées pourront trouver place.

M. Réalier-Dumas. Je ne m'attendais pas à parler sur cet objet je l'ai traité incidemment parce que le ministre l'a traité incidemment. J'étais bien aise de faire observer que la justice n'est pas, dans les colonies, ce qu'elle devrait être : la vérité ne saurait être trop connue.

M. le Président. Voici l'article 1er:

Dans les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de Bourbon et de la Guyane, le conseil général sera remplacé par un conseil colonial, dont les membres seront élus, et les attributions réglées conformément aux dispositions de la présente loi. >>

M. Roger. Quelque défectueux que soit le projet de loi soumis à vos délibérations, projet de loi que j'appellerai une déception, mon intention n'était pas de prendre part à la discussion, parce que je désespère d'introduire dans la loi aucune amélioration. Le soin qu'on a eu de la rejeter à la fin de la session, l'intérêt qu'on a mis à refuser de la laisser discuter lundi dernier, prouvent

qu'on n'a pas voulu que nous puissions y introduire de changements.

Je me serais donc abstenu de prendre la parole, mais je regarde comme un devoir de signaler que la disposition de l'article 1er combinée avec celle de l'article 25 constitue une violation formelle de la Charte. Cette violation consiste en ce que ces deux articles excluent le Sénégal de la participation au régime légal; le dernier article explique même formellement que cette colonie sera exclusivement régie par des ordonnances royales.

L'article 64 de la Charte porte, au contraire, en propres termes, que les colònies seront désormais régies par des lois. Or, ce n'est pas là un de ces articles, comme on l'a dit de quelques autres passés inaperçus dans la Charte de 1830; c'est, au contraire, un des articles qui ont été modifiés avec intention, après de justes réclamations. Suivant la Charte de 1814, les colonies doivent être régies par des lois et des règlements. En 1830, on a reconnu l'abus de cette disposition, et le mauvais usage qui en avait été fait; la Chambre a voulu que, désormais, les colonies fussent uniquement régies par les lois, et elle a fait disparaître de la Charte la disposition relative aux règlements particuliers.

Je conçois, jusqu'à un certain point, que le pouvoir législatif en France puisse intervenir pour faire la part de ce qui restera à la législation et de ce qui tombera dans le régime des ordonnances; mais je ne conçois pas que le pouvoir législatif puisse intervenir pour dire précisément le contraire de ce que dit la Charte, c'est-à-dire : Telle colonie sera exclue du domaine de la loi, et ne sera régie que par des ordonnances.

Quelle que soit à cet égard ma conviction, je ne vous propose pas d'amendement, car je n'aurais aucun espoir de le faire admettre; mais je me dois à moi-même de protester formellement contre la disposition de l'article 1er du projet de loi, comme contenant une violation flagrante de la Charte. Cette violation sera réparée plus tard, j'en ai la confiance; car la Charte doit redevenir tôt ou tard une vérité; c'est donc dans l'intérêt de l'avenir que je proteste je proteste aussi dans l'intérêt de la colonie du Sénégal, qui se trouve dépouillée de ses droits constitutionnels, dans l'intérêt d'un pays auquel on tente ainsi de porter le dernier coup. Mais on n'étouffera pas ses plaintes, et le règne de ses ennemis ne saurait encore durer longtemps.

Quels sont, au surplus, les motifs sur lesquels le ministère affecte de s'appuyer pour exclure le Sénégal du régime colonial organisé par le projet de loi? On prétend, en premier lieu, que la population de cette colonie n'est pas assez considérable. Voici la vérité : une statistique a été faite en 1825, avec le plus grand soin. Cette statistique a été faite à cette époque, sans prévoyance assurément du projet de loi sur lequel nous délibérons aujourd'hui. Il en résulta qu'il existait alors 3,900 habitants de condition libre: depuis, ce nombre s'est accru. C'est donc sur une erreur que M. le rapporteur, qui sans doute a été trompé lui-même, n'indique dans son travail qu'un nombre de 2,997 hommes libres; les bureaux lui auraient à dessein fourni ce renseignement inexact. Mais le ministère ne pouvait pas ignorer la vérité, car la statistique de 1825 est dans les bureaux, et j'en ai la mi

nute.

Pourquoi donc refuser d'assimiler le Sénégal à Cayenne, puisque dans les deux colonies c'est à peu près la même population? c'est qu'on sait

que les hommes de couleur libres sont en majorité par le nombre et aussi par les richesses, c'est qu'on serait certain de voir entrer là un bon nombre d'hommes de couleur dans le conseil colonial. Or, lorsque toute la loi est conçue dans le but d'exclure les hommes de couleur des conseils coloniaux, comment pourrait-on se résigner à voir au Sénégal un conseil colonial composé presque entièrement d'hommes de couleur? Cette expérience qui serait si intéressante à faire sous tous les rapports, cette expérience que désirent tant les amis de la civilisation et de l'humanité on n'en veut pas, on la redoute. C'est la précisément le motif qui porte le ministère à refuser au Sénégal les institutions qu'il accorde aux autres colonies; voilà le secret.

On a dit aussi que cette colonie ne comporte ni assez de richesses, ni un nombre suffisant d'électeurs et d'éligibles. Messieurs, les richesses sont relatives dans chaque pays on l'a si bien senti que le cens fixé pour les électeurs et les éligibles en France, n'est pas celui qui a été adopté pour les colonies, et que l'on a fixé même un cens différent pour les diverses colonies. Ainsi, le cens n'est pas le même à la Martinique et à Cayenne, à la Guadeloupe et à Bourbon. On a donc reconnu que les richesses ne sont pas égales dans toutes pour le Sénégal, il fallait aussi fixer un cens particulier en rapport avec l'état des richesses du pays. L'objection n'a donc pas le moindre fondement. Cependant après un travail mal fait, on avait trouvé déjà 77 électeurs et 47 éligibles; mais il faut dire par quelles machinations on est parvenu à réduire ainsi le nombre. Voici ce qu'on m'écrivit de la colonie, quand le travail n'était pas encore terminé, mais, pendant qu'on y procédait dans le plus mauvais esprit.

Après m'avoir dit quelles étaient les améliorations nécessaires au pays, et qu'on avait espéré d'obtenir au moyen d'une organisation semblable à celle qu'on va donner aux autres colonies, on ajoutait :

Vous jugez facilement combien ces améliorations deviennent nécessaires dans un pays qui sort chaque jour de son enfance. Avec le conseil colonial et un délégué, tout cela aurait lieu. C'est ce que sent l'Administration, et voilà pourquoi elle ne veut pas de tout ce qui tient aux libertés. En ce moment, elle torture les petites fortunes de chaque habitant; on réduit tant qu'on peut, afin de ne trouver ni électeurs ni éligibles. Mais si vous exigez que l'on vous présente le travail qui a été fait ici pour arriver à ce résultat anti-libéral vous découvrirez facilement l'intention. Faites-vous-le représenter, vous y trouverez de quoi les battre.

J'ajouterai que ce travail, je n'ai pas pu obtenir qu'il m'en soit donné communication; la fraude aurait été trop facile à y reconnaître.

La troisième objection faite contre l'assimilation du Sénégal aux autres colonies, consiste à dire que ce pays ne représente pas des intérêts assez grands, assez spéciaux, pour qu'on lui accorde une organisation légale. Je réponds que ses intérêts commerciaux s'élèvent à 4 ou 5 millions, ils sont égaux et même supérieurs à ceux de Cayenne, à qui cependant on ne refuse pas ces institutions; pourquoi donc en priver le Sénégal? Et, sous le rapport des spécialités locales, est-il aucune colonie plus spéciale, plus étrangère à nos mœurs? En est-il une qui soit moins connue de ceux qui l'administrent? En est-il une qui ait plus de rapports plus difficiles et plus

compliqués avec des populations indigènes, des quelles dépend la prospérité de notre commerce? En est-il où la civilisation ait plus à faire?

Si un conseil colonial avait existé au Sénégal, les événements graves et déplorables qui viennent de s'y passer n'auraient pas eu lieu. Nous n'aurions pas eu la douleur d'apprendre qu'un prince maure d'une tribu voisine et influente sur notre commerce, s'étant présenté d'après l'usage et sur la foi des traités dans la ville de SaintLouis, a été saisi et fusillé en 24 heures, par jugement d'une commission militaire. C'est un événement funeste du plus mauvais effet, et qui compromet nos relations commerciales dans le pays. Si nous avions eu un conseil colonial, il aurait éclairé le gouverneur sur les mœurs, sur les usages, sur les besoins du pays, et l'on n'aurait pas eu de caravanes de Maures arrêtées arbitrairement ; des marabouts, des voyageurs mis aux fers et traînant le boulet, forcés å balayer les rues de la ville ce qui provoque des haines, des vengeances, des hostilités, qui peuvent être portées jusqu'au point de compromettre même la sûreté de la colonie.

:

Enfin, si nous avions eu un conseil colonial, nous n'aurions pas été exposés à voir abandonner imprudemment le comptoir d'Albrida dans la rivière de Gambie, cette possession française sur laquelle notre pavillon flotte depuis 200 ans. Parmi les conseillers coloniaux dont on aurait pris l'avis, il se serait trouvé des hommes qui auraient pu éclairer le gouvernement, dire quels sont les intérêts du commerce dans la conservation de ces établissements, et quels sont aussi nos droits que le précédent gouvernement a bien su faire respecter contre les prétentions étrangères.

Voilà des exemples qui peuvent faire voir jusqu'à quel point un conseil colonial est utile surtout dans nos établissements de la côte occidentale d'Afrique.

Le dernier motif dont s'appuie M. le rapporteur, c'est que le Sénégal lui-même aurait émis le vœu de n'être pas compris dans la loi et de ne pas recevoir les institutions légales qui vont être données aux autres colonies. Cette allégation mérite une explication. En effet, une commission a été chargée d'examiner la question de savoir si la loi que nous discutons devait être appliquée au Sénégal. Mais comment était composée cette commission? de 6 fonctionnaires publics auxquels on avait adjoint 6 habitants du choix du gouverneur, et les moins disposés sans doute à le contrarier dans ses vues. Pour faire pencher la balance plus sûrement encore du côté des projets ministériels, le gouverneur luimême présidait les séances. Voilà l'étrange commission qui a émis au nom du pays le vœu dont on cherche à se prévaloir.

Ce n'est pas tout encore; il faut voir sous quelle influence cette commission a dù opérer. Ce n'était pas assez de la mettre sous la présidence du chef de la colonie, il fallait la frapper d'une menace pour ôter l'envie de demander un conseil colonial. En effet, le ministère a fait déclarer que si les habitants voulaient avoir un conseil colonial, il faudrait les frapper d'un nouvel impôt, afin d'augmenter le nombre des électeurs et des éligibles.

Vous sentez qu'à ce prix peu d'habitants auraient été d'avis de demander des institutions Légales, c'eût été les acheter trop cher. Cette menace est consignée en propres termes dans

une lettre ministérielle dont je vais vous communiquer un passage:

"Dans le cas où l'un ou l'autre nombre (celui des électeurs et des éligibles) serait insuffisant, quelle serait la contribution directe qu'il y aurait lieu d'établir à Saint-Louis et à Gorée pour augmenter, soit le nombre des électeurs, soit celui des éligibles?» (30 août 1832, no 62.)

Voilà comment on a paralysé le petit nombre d'habitants qu'on a introduits dans la commission pour émettre les vœux du pays, cela explique comment les habitants n'ont pas voulu du conseil colonial.

On ne s'est pas arrêté là, les machinations ont été poussées beaucoup plus loin. Cependant, malgré tout ce qu'on a pu faire, on n'a pas pu empêcher les habitants de laisser percer leurs vœux en faveur du système électif qu'on voulait leur interdire.

M. le rapporteur vous a cité les termes de la délibération de la commission dont j'ai parlé; mais il me permettra de lui dire que ces termes sont tronqués. Je vais les rétablir, et on verra comment la commission a eu le courage d'indiquer les véritables vrux du peuple, nonobstant la position difficile où on l'avait placée.

Après le passage de la délibération cité dans le rapport, voici ce qu'on y lit :

Elle (la commission) émet seulement le vœu que le concours d'habitants au conseil privé ne soit pas facultatif, mais obligatoire pour le gouvernement, lorsqu'il s'agira d une question d'intérêt local.

«La majorité exprime le désir que les habitants membres du conseil solent choisis parmi douze candidats désignés par les électeurs, avec faculté réservée au gouverneur d'avoir l'initiative du choix dans le cas où le nombre des candidats empêchés serait tel que celui des candidats disponibles fùt insuffisant. »>

Voilà comment la colonie a repoussé le système électif, voilà comment elle à manifesté le vœu de n'être pas comprise dans le projet de loi,de ne pas profiter des bienfaits de la Charte!... Ainsi, loin de refuser les institutions qu'on voulait lui donner, la commission, dans la position la plus fâcheuse, exprime cependant le vœu que le système électoral soit établi au Sénégal, et que les affaires y soient éclairées par un conseil élu. On ne demande pas à la vérite un conseil colonial, les menaces ne le permettent pas, il en coûterait trop cher; il faudrait des impositions nouvelles; mais on réclame pour que le conseil privé soit composé d'habitants eius: voilà ce qu'il ne fallait pas tronquer; voilà la vérité tout entière; voilà le véritable sens de la délibération de la commission formée au Sénégal. La Chambre ne peut pas s'y laisser tromper.

M. Charles Dupin. Je demande la parole. M. Roger. Je me résume. Les circonstances, la disposition de la Chambre, ne me permettent pas de proposer un amendement; je n'aurais pas l'espoir de le voir réussir; mais je proteste de toutes mes forces contre ce que je regarde comme une monstrueuse iniquité et comme une violation flagrante de la Charte de 1830.

M. Charles Dupin. Vous avez entendu le préopinant vous dire que j'avais tronqué l'opinion de la commission du Sénégal, consultée pour l'institution du conseil colonial. Comme c'est une inculpation plus que légère et qui inculperait ma bonne foi, je vais montrer que j'ai

cité complètement ce qui concerne le conseil colonial.

Voici ce que j'ai mis dans mon rapport :

"La commission pense à l'unanimité que le système qui régit actuellement le Sénégal est approprié à ses besoins; que le comité de comnierce, avec quelques modifications, et que le concours au conseil privé d'un nombre d'habitants égal à celui des fonctionnaires du gouvernement suffisent dans les questions d'intérêt local.

"Ensuite cette colonie émet un vœu étranger au conseil colonial, et purement relatif au comité du commerce, pour obtenir un nombre égal de délégués des habitants. >

(Ici le rapporteur lit cette partie de l'opinion des habitants du Sénégal.)

Eh bien! Messieurs, aussitôt après la réception de l'avis de l'opinion emise par la commission du Sénégal, le ministre de la marine écrivit au gouverneur de cette colonie: La commission a exprimé le vu qu'il soit fait quelques modifications à l'institution actuelle du conseil du commerce et du conseil privé du Sénégal; je suis disposé à faire à l'égard de l'un et de l'autre ce qui pourra les rendre de plus en plus utiles; je Vous autorise donc à me faire des propositions après avoir pris l'avis du conseil privé, et même, si vous le jugez convenable, l'avis de l'autre commission.»

La Chambre remarquera que cette nouvelle question était parfaitement étrangère à l'institution du conseil colonial, et que je n'en devais pas parler dans mon rapport. (Marques d'asentiment.) Quoi qu'il en soit, j'ai dù rendre à M. le ministre de la marine cette justice de moutrer que pour cette question le gouvernement a pris les devants pour autoriser le gouverneur à sa isfaire les habitants en tout ce qui pourrait être raisonnable.

Après cette explication, il me semble difficile de dire que j'aie rien dissimulé: il me semble également difficile de faire un reproche au gouvernement à l'occasion d'une particularité sur laquelle j'aurais pu insister pour faire ressortir la générosité avec laquelle le gouvernement est al é au-devant des vœux des habitants.

Tant de reproches et de déclamations ont, d'ailleurs, si peu de fondement, qu'on ne vous propose pas d'ajouter le Sénégal aux colonies qui doivent recevoir un conseil colonial.

Si ce qu'on vous a dit était fondé, cette proposition serait un devoir; mais on a voulu seulement présenter des plaintes vagues, et sans autre but que d'attaquer les opérations du ministre de la marine et des colonies.

M. Roger. Je ne propose rien, dit-on, et je manque à mon devoir en ne proposant rien !

Mon devoir, je n'en reconnais pour juge que moi-même je l'ai rempli quand et comme je l'ai cru possible. Ainsi, l'année dernière, quand la loi a été examinée, j'avais l'honneur d'être membre de la commission nommée par cette Chambre. La cominission a entendu, elle a apprécié mes justes réclamations, et c'est à l'unànimité qu'elle avait admis le Sénégal à jouir des avantages d'une organisation légale. Le rapport de l'honorable M. Passy en fait foi.

Dans cette session le ministère, en présentant cette loi à l'autre Chambre, en a retranché ce que la commission y avait inséré pour le Sénégal.

J'ai rempli mon devoir l'année dernière, en introduisant un amendement dans le projet de

loi; j'en aurais fait autant cette année si j'avais eu le moindre espoir de succès. Mais la session est si avancée, que se serait compromettre les intérêts des autres colonies.

Je n'ai pas voulu retarder une loi qui, nonobstant ses vices, peut avoir aussi son utilité; autrement j'aurais présenté une proposition formelle en faveur du Sénégal.

M. Isambert. Il est vrai, Messieurs, que les notables de la colonie du Sénégal, quel qu'ait été le mode de leur choix, ont repoussé l'organisation politique qui vous est proposée pour les 4 colonies principales; et c'est ce qui a pu déterminer votre rapporteur à ne pas transcrire la fin de la dépêche; mais il n'en est pas moins vrai aussi, ainsi que vous l'a dit notre honorable collègue, que les notables réclament l'introduction du système électif pour la création du conseil privé.

Et ne vous trompez pas à ce mot. Le conseil privé, au Sénégal, n'est pas uniquement le conseil du gouverneur, il a des attributions judiciaires; il est cour d'appel; il juge les contraventions aux lois sur la répression de la traite et sur le commerce étranger; il a des attributions politiques. Peut-on laisser, en vertu de l'article final du projet, cette colonie à perpétuité sous le régime des ordonnances?

C'est la question qui vous est présentée, prématurément peut-être, par M. Roger, et qui reviendra sur l'article dernier. Je fais des réserves à cet égard; parce que les établissements de l'Inde, qui, depuis plus d'un siècle, ont une cour royale, qui, par les sacrifices qu'on a faits en 1815, produisent un million au Trésor; si on suspend la Charte pour certaines colonies, ce ne peut être que temporairement, et par une disposition. exceptionnelle.

Quant au Sénégal, toujours est-il que les habitants du Sénégal réclament l'introduction du système électif, et c'est ce que demandait notre honorable collègue M. Roger.

(L'article 1er est adopté.)

"Art. 2. Seront faites par le pouvoir législatif du royaume

1° Les lois relatives à l'exercice des droits politiques;

«2 Les lois civiles et criminelles concernant les personnes libres, et les lois pénales déterminant pour les personnes non libres les crimes auxquels la peine de mort est applicable;

3. Les lois qui règleront les pouvoirs spéciaux des gouverneurs en ce qui est relatif aux mesures de haute police et de sûreté générale;

4. Les lois sur l'organisation judiciaire; «5° Les lois sur le commerce, le régime des douanes, la répression de la traite des noirs, et celles qui auront pour but de régler les relations entre la métropole et les colonies.

M. le Président. Voici un amendement de M. Jaubert sur le second alinéa de cet article :

1 Les lois relatives à l'exercice des droits politiques, aux bases du régime municipal, à la liberté des cultes et de l'enseignement, à l'organisation des gardes nationales, aux conditions d'affranchissement. »

Il y en a un autre de M. de Tracy, qui consiste à ajouter à la fin de l'amendement de M. Isambert ces mots :

«Et aux dispositions concernant les recense

ments. »

M. le Président. La parole est à M. Isambert pour développer son amendement.

Amendement de M. Isambert sur l'article 2

du projet de loi.

«Seront faites par le pouvoir législatif de la métropole, les lois relatives aux bases du régime municipal, à la liberté des cultes et de l'enseignement, à l'organisation des gardes nationales, aux conditions d'affranchissement. »

Sous-amendement de M. de Tracy.

« Et les dispositions concernant les recense

ments. »

M. Isambert. L'article 64 de la Charte de 1830 veut que les colonies soient régies par des lois particulières; la Charte de 1814 autorisait le gouvernement à les régir par des lois et par des règlements. Dans une des dernières séances on vous a dit que la disposition de la Charte ne serait pas violée si vous soumettiez les colonies au régime des ordonnances, pourvu que ce soit en vertu d'une délégation législative; c'est-à-dire qu'on vous propose de revenir à la Charte de 1814.

:

A cet égard, une distinction est à faire sans doute vous pouvez étendre les fonctions de l'administration, déléguer aux gouverneurs des pouvoirs plus étendus qu'aux préfets; mais pouvezVous transporter au gouvernement le pouvoir législatif, sur les matières qui sont de nature constitutive de l'ordre social, l'état des personnes, et même ce qui est de droit naturel, comme la liberté et les affranchissements? La Charte de 1830, apparemment a voulu plus de garanties que celle de 1814; elle ne vous permet pas de déléguer au gouvernement ce qui est dans l'essence de vos attributions. Je m'explique : cette Charte de 1830, par son article 69, à désigné les matières qui devaient être réglées par des lois, auxquelles elle attribue un caractère fondamental; ce sont ces matières que vous ne pouvez pas laisser à la discrétion du gouvernement, car enfin, vous êtes au moins, quant aux colonies, un ouvoir constituant. Eh bien! tout ce qui tient au droit naturel, c'est-à-dire à l'état des personnes, est essentiellement du domaine législatif.

J'ai entendu faire un singulier raisonnement. De ce que les colonies doivent être régies par des lois particulières, on en a conclu que ces lois pouvaient être des ordonnances. Mais que dit la Charte?

Que les lois sont l'œuvre de la Chambre des députés, de la Chambre des pairs et du roi.

Que sont les ordonnances? Des règlements généraux faits par le roi, et nécessaires à l'exécution des lois, sans que, dit la Charte, ces ordonnances puissent jamais suspendre l'exécution des actes du pouvoir législatif.

Reste donc à examiner si l'amendement a été fidèle à cette distinction. Je veux bien qu'à raison de l'éloignement des colonies, vous ne posiez dans vos lois que les principes généraux; que vous laissiez aux ordonnances à développer et à faire l'application de ces principes; mais encore une fois, vous ne pouvez, sans violer la Charte, donner au gouvernement le droit de fixer lui-même les principes organiques des matières qui sont l'objet des amendements proposés.

M. de Tracy vous a proposé de réserver à la législature tout ce qui concerne le recensement. Il a raison, et c'est une omission que j'ai faite. En effet, Messieurs, c'est le complément nécessaire de la loi rendue en 1832 sur la répression de la traite. Cette loi a prévu que des esclaves

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