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Il est de notoriété publi

N'était-il pas naturel de donner quelque privilége au commerce de ce vin, pour engager les habitants nonseulement à demeurer dans le pays, mais encore à en cultiver les vignes? Ces vins, d'ailleurs, méritent une distinction à cause de leur qualité. Il n'y en a point de plus propres pour le commerce étranger, parce qu'il n'y en a point qui soutiennent mieux le transport de la mer; ils ont même cette propriété singulière qu'ils s'y bonifient; mais il est essentiel pour cela qu'ils soient dans toute leur pureté, qu'ils ne soient point coupés avec des vins, soit du Languedoc, soit de la haute Guyenne, dont la qualité fort inférieure les altère et leur fait perdre leur crédit, tant chez les nations étrangères que dans nos colonies de l'Amérique. que, que de tous nos vins, il n'y en a point qui aient plus de réputation chez les peuples du Nord et surtout en Angleterre et en Hollande, que ceux de la sénéchaussée de Bordeaux. C'est à la faveur de ces vins que pour achever les cargaisons, se font ensuite des achats de ceux du Languedoc et de la haute Guyenne, qui, par eux-mêmes, ne seraient point recherchés. Ainsi, c'est aux vins du Bordelais que le Languedoc et la haute Guyenne doivent en partie le débit des leurs; c'est à ces vins que toute la France est redevable du commerce immense qui se fait par les étrangers dans le port de Bordeaux. Il est donc essentiel, pour maintenir ce commerce, de conserver la réputation du vin de Bordeaux et d'ôter aux nations qui le recherchent la crainte qu'il puisse

être altéré. Comme la confiance est l'âme du commerce, la défiance en est la ruine. L'on est aujour– d'hui obligé de prendre des précautions contre l'idée même de la fraude. Les deux peuples les plus puissants dans le commerce se sont plaints hautement par leurs ambassadeurs d'avoir été trompés. Il est nécessaire, pour les tranquilliser, de dissiper jusqu'aux soupçons. Ce n'est pas assez que le commerce soit exempt de fraudes, il faut que l'on ne puisse même y en soupçonner; c'est l'objet des règlements qui sont en vigueur depuis tant de siècles dans le port de Bordeaux. >>

Ces règlements soumettaient, en effet, à la surveillance des jurats la forme et la contenance des barriques, la qualité des objets destinés à la culture de la vigne, l'époque des vendanges eu égard à la maturité du raisin, et même les procédés du com

merce.

Ainsi, il était ordonné qu'il n'y aurait qu'une mesure et une forme de barrique pour tous les pays de la sénéchaussée bordelaise, et que ces barriques seraient invariablement de la contenance de 32 veltes ou 120 pots.

Les barriques bordelaises ne pouvaient être vendues et transportées hors la sénéchaussée, sous peine de perte des barriques et d'une amende déterminée par les jurats, suivant l'importance de la

contravention.

Les tonneliers qui ne fabriquaient pas les barriques conformément aux coutumes étaient également

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punis d'une amende, et chacun d'eux devait marquer les barriques faites par lui d'une marque particu

lière.

Il était expressément défendu, sous peine d'amende et de saisie, de loger dans des barriques de forme et de contenance bordelaises, les vins récoltés hors la sénéchaussée; et notamment les vins du Languedoc ne pouvaient descendre à Bordeaux que dans des futailles d'une contenance déterminée, savoir les vins de Gaillac et Rabastens et autres vins du Languedoc, dans des pipes de 54 ou 56 verges au plus; et dans des demi-pipes de 27 ou 28 verges au plus; et les vins de Carcassonne et du bas Languedoc dans des muids de 90 verges, dans des demimuids de 45, dans des tiercerolles de 60 et dans des quarts de muid de 22 à 23 verges, même dans des futailles de plus grande contenance que les muids, si bon leur semble, à la charge que toutes les dites futailles seront figurées différentes et cerclées différemment des barriques dans lesquelles les vins de la sénéchaussée de Bordeaux ont coutume d'être mis (1).

En ce qui regarde les œuvres et carrassonnes servant à soutenir les vignes, il était établi :

<< 1° Que le pau qui se vendrait sur le port de Bordeaux serait long de huit pieds au moins; le biballot de sept pieds; le carrasson de deux pieds et quart;

» 2o Que le cercle vendu sur le port de Bordeaux

(1) Delurbe, Anciens Statuts de Bordeaux, p. 190.

devrait toujours être de longueur voulue; et que ceux qui vendraient des faisceaux dans l'intérieur desquels se trouveraient des cercles rompus, gâtés ou courts, seraient condamnés à des dommages et à une amende de 65 sols bordelois;

» 3o Que le merrain vendu sur le port de Bordeaux devrait toujours être de bonne qualité, sous peine de dommages-intérêts et d'une amende déterminée par les jurats. »

La récolte elle-même du raisin n'était pas abandonnée au caprice ou à l'incapacité du propriétaire, mais surveillée au contraire par l'autorité du pays, dans l'intérêt du commerce.

Il était défendu à toute personne ayant vigne, de quelque état et condition qu'elle fût, de vendanger avant que les jurats n'en eussent annoncé le moment en faisant sonner la grosse cloche de la ville, à peine d'une amende.

Les verjus et raisins ne pouvaient être apportés ou vendus dans la ville qu'après les octaves de SaintMichel. La moindre fraude était sévèrement punie à l'égard des cultivateurs; ainsi, les journaliers qui étaient convaincus d'avoir emporté chez eux des fruits, sécailles, sarments ou autres objets, quelque faible qu'en fût l'importance, sans en avoir obtenu permismission du propriétaire, étaient condamnés à une amende de 65 sous bordelais.

Enfin, un grand nombre d'arrêts du parlement et de décisions des jurats faisaient défense aux commerçants de mélanger les vins ou d'en altérer la force et

la qualité de quelque manière que ce fût, sous peine de grosse amende et de déchéance du droit de bourgeoisie (1).

ARTICLE II.

COMMERCE DES BLÉS ET FARINES.

Si les principes qui présidaient à Bordeaux au commerce des vins avaient pour but de protéger la qualité des produits du pays, la législation sur les blés se proposait surtout de défendre la position du consommateur pauvre et d'éviter les disettes.

En général, le commerce des blés était libre à l'importation; quant à l'exportation, elle n'avait pas dans le pays bordelais de législation fixe; dans les années d'abondance, des édits spéciaux en prononçaient la liberté; mais dans les années de faible récolte, les jurats avaient par eux-mêmes le droit d'arrêter la sortie de toutes les céréales (2).

Le principe de la liberté d'importation était absolu; la vie du peuple y trouvait une de ses plus grandes garanties. «< En l'année 1575, dit la Chronique bordelaise, il y avait grande disette et cherté de grains, le peuple était en appréhension d'une famine; tout à coup arriva sur le port et hâvre si grande quantité de navires chargés de blé qu'il vint à fort bas prix, ce qui arrive ordinairement à Bordeaux. »

(1) Delurbe, Anciens Statuts de Bordeaux, p. 205. laise, p. 84.

Chron. borde

(2) Les droits intérieurs de province à province frappaient les céréales comme toute autre marchandise.

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