Images de page
PDF
ePub

» elles retiennent longtemps, parce qu'elles sont têtues. >> Le quiétisme est l'hypocrisie de l'homme pervers et la vraie religion de la femme tendre. Il y eut cependant un homme d'une honnêteté de caractère et d'une simplicité de mœurs si rares, qu'une femme aimable put, sans conséquence, s'oublier à côté de lui, et s'épancher en dieu; mais cet homme fut le seul ; et il s'appelait Fénelon. C'est une femme qui se promenait dans les rues d'Alexandrie, les pieds nus, la tête échevelée, une torche dans une main, une aiguière dans l'autre, et qui disait: « Je veux brûler >> le ciel avec cette torche et éteindre l'enfer avec cette » eau, afin que l'homme n'aime son Dieu que pour lui» même. » Ce rôle ne va qu'à une femme.

L'exemple d'une seule en entraîne une multitude. Il n'y a que la première qui soit criminelle; les autres sont malades. O femmes, vous êtes des enfants bien extraordinaires :

Quand on écrit des femmes, il faut tremper sa plume dans l'arc-en-ciel, et jeter sur sa ligne la poussière des ailes du papillon. Comme le petit chien du pèlerin, à chaque fois qu'on secoue sa patte, il faut qu'il en tombe des perles, et il n'en tombe point de celles de M. Thomas.

Faute de réflexion et de principes, rien ne pénètre jusqu'à une certaine profondeur de conviction dans l'entendement des femmes; les idées de justice, de vertu, de vice, de bonté, de méchanceté, nagent à la superficie de leur âme, elles ont conservé l'amour-propre et l'intérêt personnel avec toute l'énergie de nature; plus civilisées que nous en dehors, elles sont restées de vraies

sauvages en dedans, toutes machiavélistes du plus au moins; où il y a un mur d'airain pour nous, il n'y a souvent qu'une toile d'araignée pour elles.

Tandis que nous lisons dans les livres, les femmes lisent dans le grand livre du monde; aussi leur ignorance les dispose-t-elle à recevoir promptement la vérité quand on la leur montre. Aucune autorité ne les a subjuguées. Au lieu que la vérité trouve à l'entrée de nos crânes un Platon, un Aristote, un Épicure, un Zénon en sentinelles et armés de piques pour la repousser. Elles sont rarement systématiques, toujours à la dictée du moment.

Thomas ne dit pas un mot du commerce des femmes pour un homme de lettres; et c'est un ingrat. L'âme des femmes n'étant pas plus honnête que la nôtre, mais la décence ne leur permettant pas de s'expliquer avec notre franchise, elles se sont fait un ramage délicat, à l'aide duquel on dit honnêtement tout ce qu'on veut, quand on a été sifflé dans leur volière. Elles nous accoutument encore à mettre de l'agrément et de la clarté dans les matières les plus sèches et les plus épineuses. On leur adresse sans cesse la parole, on veut en être écouté, on craint de les fatiguer ou de les ennuyer, et l'on prend une facilité particulière de s'exprimer qui passe de la conversation dans le style. Quand elles ont du génie, je leur en crois l'empreinte plus originale qu'en

nous.

Le fond de sa nature était l'enthousiasme. Meister

l'a bien connu. «Il semble que l'enthousiasme fût devenu la manière d'être la plus naturelle de sa voix, de son âme, de tous (1) ses traits. Il n'était vraiment Diderot, il n'était vraiment lui que lorsque sa pensée l'avait transporté hors de lui-même-Quand je me rappelle le souvenir de M. Diderot, l'immense variété de ses idées, l'étonnante multiplicité de ses connaissances, l'élan rapide, la chaleur, le tumulte impétueux de son imagination, tout le charme et tout le désordre de ses entretiens, j'ose comparer son âme à la nature, telle qu'il la voyait lui-même, riche, fertile, abondante en germes de toute espèce, douce et sauvage, simple et majestueuse, bonne et sublime, mais sans aucun principe dominant, sans maître et sans Dieu. »

Il avait des vues sur tous les objets; on ne pouvait toucher cet esprit toujours fermentant, sans en faire jaillir une flamme; et ce n'étaient pas des saillies isolées, de simples vivacités, mais l'égalité d'une raison puissante qui se portait promptement au centre des choses, et de là les illuminait.

On reconnaissait sa main dans un grand nombre de pages les plus fortes du Système de la nature, de l'Esprit et de l'Histoire philosophique des Deux Indes. Lors du soulèvement contre le Système de la nature, il fut très-inquiet, il se tint à Langres, prêt à passer la frontière. Paraissait-il un livre hardi, comme le

(1) Mélanges. — Grimm, 1786, x, 202, etc.

livre De la Nature, par Robinet, on affectait de le lui attribuer.

Son style est à part: il a essentiellement le feu, mais ce sont proprement autant de styles que de différentes émotions, et jamais homme n'y a été plus ouvert ; c'est la naïve empreinte de l'âme. Ce ne sont pas tableaux mais esquisses de maître : il n'a fait que des esquisses, suivant un certain tour de tête qui vient une fois et ne vient plus après, chaque fois crayonnant avec une verve incomparable. Pascal, l'auteur des Pensées, esquisse à sa façon : il marque rapidement le trait profond, ineffaçable, inflexible, qui commande le dessin futur; il saisit d'abord ce durable aspect des choses, qui se découvre à la réflexion opiniâtre; le trait de Diderot est errant, mais plein de vie, c'est le premier jet abondant, la première main hardie, impétueuse, la première impression des choses sur un esprit admirablement fait. C'est un grand artiste qui n'a laissé que des cartons, mais des cartons immortels.

On ne saurait, en parlant de Diderot, trop parler de l'écrivain, mais il serait injuste d'oublier l'homme. Il a dit vraiment de lui : « Si la nature (1) a fait une âme sensible, vous le savez, c'est la mienne. » Et ceci qui est honnête: « Quant à moi, qui n'ai pas la peau fort tendre, et qui serais plus honteux d'un défaut que j'aurais, que de cent vices que je n'aurais pas, et qui me seraient injustement

(1) V. Grimm, 1770, vii, 102. - 1770, vi, 473.1770, vi, 342.

reprochés... » Il n'était pas tyran, si on en croit le

Code Denis:

Au frontispice de mon code

Il est écrit: Sois heureux à ta mode;
Car tel est notre bon plaisir.

J'ai déjà cité son mot sur les ingrats; prodigue de ses idées, de sa fortune, de son influence, il fit toujours le bien, jamais le mal, il fut trompé, point corrigé : l'expérience fut quelquefois dure, mais l'expérience ne le découragea pas. Ce qui ne veut pas dire qu'il donnât son affection à tout le monde. Il ne pouvait ni la donner ni la retirer sans peine : « Je fais bien (1) de ne pas rendre l'accès de mon cœur facile; quand on y est une fois entré, on n'en sort pas sans le déchirer; c'est une plaie qui ne cautérise jamais bien. » Il l'avait ouvert à Grimm, et lorsque celui-ci fut menacé de devenir aveugle, il écrivit ce mot charmant, parce que ce n'est pas un mot : « C'est (2) d'une goutte-sereine que Grimm est menacé; et d'avance je vous préviens que son bâton et son chien sont tout prêts. » Quand il avait de forts griefs contre d'anciens amis, sachant bien qu'il pourrait les oublier, il en prenait note sur des tablettes exprès, qu'il ne consultait guère. Meister les vit ouvrir une fois que Diderot voulut lui raconter les torts de JeanJacques. Il était bien le frère de la chère sœur qui ne

(1) Lettre à Mlle Voland, 20 déc. 1765. (2) Ibid., 12 août 1762.

« PrécédentContinuer »