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Renferme ces jours de vengeance
Dans les trésors de ta fureur !

O Lisbonne ! ô fille du Tage!
O superbe reine des mers!
L'Océan avec toi partage
Le tribut de ses flots amers.
Pour dompter des ondes rebelles

La Fortune attacha ses ailes
A tes vaisseaux impérieux;
Et dans ces lointaines contrées,
De nos astres même ignorées,
Tu lanças la foudre des dieux.

Tu brisas les fers tyranniques
Dont l'Espagne enchaînait tes bords;
Tu vis les Iles Britanniques
Et l'Inde s'unir dans tes ports.
Ville superbe et malheureuse,
De trésors, de gloire amoureuse,
Quel orgueil charmait tes regards
A l'aspect des forêts errantes,
Des mâts dont les têtes flottantes
Ombrageaient au loin tes remparts!

Le dernier soleil qui t'éclaire
Pâlit sous des voiles sanglans;
Les premiers traits du sagittaire
Menacent tes peuples tremblans ;
La mer, qui te rendait hommage,
Ne t'offre qu'un tribut d'orage

Dont tes remparts sont insultés :
Tage! dis-nous quelle épouvante
Jusqu'à ta source frémissante
Repousse tes flots révoltés?

Déjà les fières destinées
Précipitent l'instant fatal;
Le cri des parques mutinées
De ta chûte est l'affreux signal.
Au bruit des ondes qui mugissent,
Des noirs tourbillons qui rugissent,
Des vents, dans les airs déchaînés,
Murs, tours, palais, tremblent, s'écroulent;
Leurs débris se heurtent et roulent
Sur tes habitans consternés.

Tout périt, art, beauté, courage;
Rang, sexe, âge, espoir, tout s'éteint;
Tout est la mort ou son image,
Tout la fuit, la reçoit, la peint.
La flamme ondoyante, insensée,
Du sein des palais élancée,
Roule dans les cieux obscurcis;
Et la cendre éparse et brûlante
S'élève en nue étincelante

Que percent d'effroyables cris. (1)

Toi, dont la touchante aventure

(1) Vous y étiez donc ? dit Louis Racine à Lebrun, lorsqu'il entendit la lecture de ces strophes,

Consacra ces momens d'horreur ;
Jeune amant, la race future
Sur ton sort répandra des pleurs.
Déjà ta flamme impatiente
Revolait au sein d'une amante
Qu'un père accorde à tes soupirs;
Déjà tu vois cette journée'
Où le flambeau de l'hyménée
S'allume au feu de tes desirs.

De fleurs les autels s'embellissent,
Et l'Hymen reçoit vos sermens :
Tremble, Amour! tes roses pâlissent
Sur la tête de ces amans.
Cependant leur brûlante ivresse
Semblait accuser la paresse

De la nuit promise à leurs feux :
Ah! recule, nuit trop fatale !.....
Mais sur la couche nuptiale
Le plaisir s'élance avec eux.

Plaisir trompeur! nuit peu durable!
Amour, protége leur sommeil !
Tendre épouse, amant déplorable...
Mais quels bruits ! quel affreux réveil !
Quel spectacle ses yeux découvrent!
Les voûtes s'ébranlent,
La mer roule sur les lambris:
Son épouse fuit, éperdue;

s'entr'ouvrent,

Il court; ses pas, son cœur,

sa vue,

La cherchent parmi les débris.

11 ose enlever son amante:
L'amour connaît-il les dangers?
Il saisit une barque errante,
Il veut fuir aux bords étrangers:
L'espoir, la voile se déploie ;
Mais l'onde rappelle sa proie
Et la repousse en mugissant :
Un même gouffre les rassemble;
Et, jaloux d'expirer ensemble,
Ce couple y tombe en s'embrassant,

Lisbonne, quels objets funèbres
Le jour dévoile à tes regards!
Tes yeux regrettent les ténèbres,
Le soleil cherche tes remparts:
Il voit des mères intrépides,
A travers les flammes avides,
Saisir des berceaux embrasés :
Du jeune époux la veuve expire;
Le vieillard fuit, tombe, soupire,
Et meurt sur ses fils écrasés.

Leur roi (1), plein d'un trouble funeste,
Revolait vers ces murs chéris;

Un peuple errant, un faible reste,
L'environne en poussant des cris :

(1) Il revenait de Belem à Lisbonne,

Elle n'est plus!... L'horreur farouche,
A ces mots a glacé leur bouche;
Leur silence peint ses malheurs :
Il lève en frémissant la vue,
Et sur Lisbonne disparue

Il égare ses yeux en pleurs.

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Les cris, le désespoir, les larmes
D'un peuple cher et malheureux,
Repassaient, avec les alarmes,
Dans son cœur tendre et généreux.
A la mort la nuit joint ses ombres;
Roi, peuple, erraient sur ces bords sombres;
La terre mugit à l'entour:

Famille auguste et gémissante!
Un gouffre, la mort, l'épouvante,
Quel palais quelle horrible cour!

Le jour et les besoins renaissent,
La faim ranime ses tourmens;
L'abîme, les feux reparaissent,
L'oeil cherche en vain des alimens.
Leur bouche se nourrit de plainte;
Dans les pleurs la soif est éteinte;
Leur roi veille et gémit sur eux:
Sa pompe irrite sa misère,
Sa grandeur lui semble étrangère
Et son sceptre un poids douloureux.

Tu fus, Lisbonne !... ô sort barbare!
Tu n'es plus que dans nos regrets!

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