Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

» Rien de plus éloigné de ma pensée qu'une telle supposition. On peut donner d'excellentes rai>> sons pour établir la réalité du monde extérieur, » et la meilleure sans doute est que nous ne pou»vons pas nous empêcher de l'admettre. Il n'y a » donc pas lieu de douter de la réalité des choses » extérieures, et un pareil doute sera toujours >> frivole. Mais ce qui n'est pas frivole, c'est la >> difficulté où nous sommes de déterminer avec

[ocr errors]

précision ce qui est extérieur et ce qui ne l'est

[merged small][ocr errors][merged small]

Pour Descartes, la difficulté se résout facilement. Ce qu'il y a d'extérieur, ce qui subsiste de la matière en l'absence de tout sujet sentant et pensant, c'est ce qui est l'objet des mathématiques, l'étendue, la forme et le mouvement (1); le mouvement surtout, essentiel à presque toutes les manifestations de la matière, et auquel se ramènent déjà le son, la lumière, les couleurs et la chaleur.

Je n'hésite pas à affirmer que cette dernière idée est à la fois la plus profonde et la plus fé

(1) Nous avons déjà vu qu'il néglige l'idée du nombre si féconde pour Képler, et à laquelle la chimie devait nous ramener.

conde de Descartes, et que si les sciences expérimentales modernes veulent s'en inspirer de nouveau, elles lui devront, comme au xviie siècle, quelques-unes de ces conquêtes immortelles qui renouvellent et transforment les idées de l'homme sur la nature.

Telles sont avec leurs lacunes et leurs profondeurs les idées métaphysiques auxquelles Descartes s'arrête en 1629, et que, sauf une exception, il ne changera plus dans la suite.

C'est en Frise, au château de Franeker, comme nous l'avons dit, qu'il parvint à fixer et à coordonner ces idées, ce qu'il n'avait pu faire ni en France ni en Italie. Le climat moins chaud de la Frise, son ciel vaporeux, ses plaines uniformes et paisibles, ses calmes horizons, étaient plus favorables à l'éclosion de sa pensée; et c'est dans cette même province, la plus septentrionale de la Hollande, qu'il se rendra encore en 1635 pour écrire le Discours de la Méthode et revoir les Essais qui le suivent. Ce pays lui offrait un calme et tranquille asile; il est venu deux fois lui demander la paix de la retraite et l'inspiration féconde de la solitude, loin du tumulte des armes et des bruits

du monde. « Le repos dont il jouit, nous dit le >> savant M. Eekhoff (1), ne fut pas perdu; il » vécut ici pour ainsi dire séparé du monde, et il >> travailla à perfectionner les sciences dont il est » devenu le réformateur, et à éclairer l'esprit » humain dont il est le guide... Les idées de Des>> cartes ont illuminé le monde : nous nous ré>> jouissons que quelques-uns des rayons, lancés >> par cet astre brillant sur l'humanité, soient » partis d'ici. »

La Hollande, au XVIe siècle, a servi à abriter la pensée libre et indépendante; elle est digne encore aujourd'hui, par ses lumières et par son ardeur scientifique, d'un passé si noble et si glorieux.

Des hauteurs de la Métaphysique nous allons voir Descartes descendre dans les domaines des sciences inférieures et les féconder par de nouveaux germes de vie.

(1) Recherches inédites sur le séjour de Descartes en Frise.

CHAPITRE VII.

Le Savant universel.

(1629-1633.)

Sauf l'exception capitale de l'année 1629, Descartes ne donnait que « fort peu d'heures par an >> à la psychologie et à la métaphysique (1). D'ailleurs, quand même il aurait eu le goût exclusif de ces deux sciences, il n'aurait pas eu le temps de s'abandonner aux douceurs de la contemplation intérieure, si chère à Jouffroy et aux Ecossais, ni à la recherche passionnée des idées pures. Le P. Mersenne ne lui laisse pas de relâche; il l'accable de questions sur les mathématiques, la physique générale, l'optique, l'acoustique, la chimie, la physiologie, la linguistique; il le met en relation avec les savants de France et de l'étranger, et lui

(1) V. IX, p. 125 sqq.

communique les observations qu'ils ont faites et les questions qu'ils ont proposées. Comme Peiresc, Mersenne est, au XVIIe siècle, l'un des centres de la république savante; il excite partout les géomètres, les physiciens et les philosophes à des recherches nouvelles: il excelle lui-même à former des questions et à trouver des problèmes nouveaux qu'il leur propose, et il provoque entre eux une émulation et même des luttes qui tournent au profit de la science. Descartes répond à toutes les questions avec une justesse, une clarté et une pénétration admirables. Pour comprendre la vaste et infatigable activité de ce grand génie, il faut lire sa correspondance, et songer qu'en même temps il expérimentait, observait, prenait des notes pour la Dioptrique, les Météores, le Monde, la Géométrie, et commençait déjà à rédiger ces grandes et belles œuvres qui ont renouvelé les sciences et la philosophie.

A partir de 1629, Descartes embrasse le domaine entier de la science. Il mène de front toutes les sciences particulières, celles du moins qui étaient nées de son temps et auxquelles il était possible de faire faire des progrès. On pourrait aujourd'hui lui reprocher plus d'une exclusion celle des sciences historiques et de la

:

« PrécédentContinuer »