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raison, et la Mathématique n'en est qu'une branche. Ceux qui nient le plus son utilité ne sont pas ceux qui s'en servent le moins. Ils ressemblent à ces gens qui, comptant de tête, croient l'Arithmétique inutile. On ne peut penser sans faire usage de ses idées, de ses axiômes, de ses définitions, de ses théorèmes. Si le nombre de ceux-ci est petit, ils rachètent cette infériorité par l'importance des vérités qu'ils contiennent. Ce nombre d'ailleurs peut s'accroître indéfiniment.

Pour cela il faudrait donner à la langue métaphysique la clarté et la précision sévère des Mathématiques. Le moyen d'y arriver est de noter chaque idée distincte et simple par un signe clair ou bien défini; et, ensuite, de ne procéder à la démonstration des théorèmes qu'en s'appuyant sur des définitions claires et sur des principes évidents ou parfaitement démontrés. On peut dire que s'il y a encore en Philosophie tant de choses dont on dispute, ou du moins dont on peut disputer, c'est que la langue métaphysique n'est pas arrêtée sur certains points, et que, sur d'autres, elle n'est pas du tout faite. Un langage incorrect laisse toujours prise à l'argumentation sophistique. Mais les sophistes ont aussi attaqué la Mathématique, et c'est même là l'une des causes de la rigueur

qu'a revêtue de bonne heure cette langue dans les écoles grecques. Il faut faire aujourd'hui pour la Métaphysique ce que la Grèce a fait pour la science mathématique.

Ce progrès nous conduira peu à peu à un autre et nous permettra de nous approcher, — sans jamais l'atteindre toutefois, du but dernier et suprême de la science, à savoir d'une langue unique reproduisant l'unité des choses.

La beauté et la simplicité des lois mathématiques qui régissent le monde physique est un reflet de la perfection de Dieu; les lois éternelles et absolues du monde moral, belles et parfaites aussi, malgré bien des obscurités pour un premier regard, en sont un reflet plus manifeste encore. Mais en vertu même de la perfection de Dieu et de la simplicité de son essence, il y a nécessairement un rapport exact et une corrélation parfaite entre les lois morales et les lois mathématiques. Celles-ci sont l'écho de celles-là. Je dirai mieux elles sont les mêmes lois vues par le dehors. Si nous nous élevons jusqu'à Dieu, nous voyons les deux ordres de lois dans leur unité, et elles nous apparaissent comme deux projections, sur deux plans distincts, d'un seul et même objet, c'est-à-dire, de la perfection divine. Le monde

physique, régi par les lois mathématiques, correspond au monde spirituel régi par les lois morales. Il s'ensuit que l'expression adéquate, mathématique, des faits et des êtres physiques, serait en même temps l'expression métaphorique des faits et des êtres moraux; que l'équation exprimant l'organisme humain, - l'équation de la vie, serait en même temps l'expression de l'âme humaine et de son degré d'être; et enfin, que, si pour un instant donné, comme le dit Laplace, une intelligence connaissait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, - si d'ailleurs cette intelligence était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, elle embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome, que rien ne serait incertain pour elle; que l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux, et qu'elle aurait dans cette formule l'expression de l'ordre physique et de l'ordre moral. Bien plus, elle y trouverait l'expression la plus haute de la Puissance Infinie, dont nous ne faisons que bégayer le nom dans nos langues imparfaites. Mais l'esprit humain n'offre qu'une faible esquisse de l'intelligence que nous venons de concevoir; et tout

ce que peuvent faire ses efforts dans la recherche de la vérité, c'est de le rapprocher constamment de cet idéal dont il restera cependant toujours indéfiniment éloigné. Quoi qu'il en soit, il est évident que, dans une certaine mesure, l'homme ne doit pas désespérer d'arriver à des formules mathématiques des phénomènes physiques, chimiques et biologiques, et par conséquent, à l'expression du degré de perfection de chaque être; et qu'il pourra remplacer la langue métaphysique actuelle, non-seulement, d'abord, par une langue plus précise, mais, dans la suite, par une langue parfaite, qui, se prêtant aux transformations analytiques, deviendra un instrument de découverte.

Détachons nos regards de cet idéal lointain, et revenons à ce qui est dès aujourd'hui réalisable. Il est possible de créer la vraie langue philosophique entrevue par Descartes et Leibnitz; il est possible surtout de revenir aux idées hardies et sublimes de Descartes sur la Méthode, tout en les tempérant sagement, et en les complétant.

La science est tout entière en puissance dans l'entendement. Sous l'excitation de la sensation, elle passe successivement à l'acte par l'enchaînement des notions et des vérités premières. C'est de cette idée élevée que découlent, dans Descartes,

ces méthodes générales qui dominent tous les objets de la connaissance et qui éclairent l'esprit dans toutes les directions; c'est de là que descendent aussi ces belles maximes relatives à l'éducation de l'esprit qu'on trouve dans le Traité des Règles.

L'esprit français, en ce moment abaissé par le Positivisme, a besoin de revenir aux idées de Descartes et de s'en inspirer pour porter en avant la science du monde physique et celle du monde moral. Dans l'étude du moi particulièrement, il faut revenir aux idées à priori, rétablir la distinction nette et féconde des opérations sensitives et des opérations intellectuelles, et suivre de nouveau la voie large ouverte par Descartes et continuée par Bossuet, Fénelon, Malebranche et Leibnitz. L'Angleterre et l'Ecosse, avec leur esprit d'observation terre à terre et leur empirisme un peu vulgaire, ont étouffé la vraie Psychologie dans son berceau et l'ont remplacée par un avorton informe que nos modernes spiritualistes ont voulu en vain réchauffer et faire vivre: il n'est pas viable. La Psychologie, sans Métaphysique, est quelque chose de plus misérable que la Physique sans idées à priori et sans calcul. Tombée des régions lumineuses entr'ouvertes par Descartes et

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