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ventions capitales. - Le Parnasse, les Olympiques et quelques autres Traités de sa jeunessę.

(1619-1621.)

Descartes était depuis deux ans en Hollande, et comme il voulait courir le monde et le voir sous tous ses aspects, il devait songer à quitter cette contrée. Une occasion unique s'offrait à lui d'étudier l'homme au milieu des grandes luttes politiques et religieuses, et dans la fureur des passions fanatiques en même temps que dans l'exaltation de l'héroïsme guerrier. Au commencement de l'été de l'année 1619, il passa en Allemagne où grondaient les premiers coups de tonnerre d'un orage terrible, et où s'engageait, au milieu des convulsions de la Bohême, le grand drame de la guerre de Trente ans. Il prit, aux mêmes conditions qu'en Hollande, du service dans l'armée catholique du duc de Bavière. Sa

qualité de volontaire lui permit de se rendre à Francfort pour voir le couronnement de l'empereur Ferdinand (28 juillet 1619). Ce fut une des intéressantes comédies dont il voulut se donner le spectacle, pour ne pas ignorer ce que les premiers acteurs jouent de plus important sur la scène du monde.

y

Il retournait vers l'armée qui devait opérer en Souabe au printemps suivant, lorsque l'hiver l'arrêta, dès le mois d'octobre, dans le duché de Neubourg (1), sur le Haut-Danube, et le força à prendre ses quartiers. Nous touchons à un moment solennel de la vie de Descartes et de la pensée moderne. C'est pendant cet hiver que Descartes trouve la Méthode applicable à toutes les sciences et invente l'Analyse qui n'en est qu'un cas particulier. Avant donc que de continuer à rendre compte de ses pensées et de ses découvertes, et de suivré son génie audacieux sur les routes nouvelles qu'il se fraie dans un monde inconnu, saluons ces montagnes du Haut-Danube où Descartes a fait ses premières découvertes, où la pen

(1) Et non pas à Prague. V. un article du Journal des Savants, 1860. Cet article renferme plusieurs erreurs sur cette époque décisive de la vie de Descartes.

sée moderne qui sommeillait encore s'est éveillée pour la première fois à la conscience d'elle-même, où, pour la première fois aussi, le génie de la France a pris son plein vol vers les sommets lumineux de la pensée (1).

« J'étais alors, raconte Descartes, en Allema» gne, où l'occasion des guerres, qui n'y sont pas >> encore finies, m'avait appelé; et, comme je re» tournais du couronnement de l'Empereur vers >> l'armée, le commencement de l'hiver m'arrêta » en un quartier où, ne trouvant aucune con>>versation qui me divertit, et n'ayant, par bon>> heur, aucuns soins ni passions qui me trou» blassent, je demeurais tout le jour enfermé » seul dans un poêle, où j'avais tout le loisir de » m'entretenir de mes pensées. Entre lesquelles >> l'une des premières fut que je m'avisai de con» sidérer que souvent il n'y a pas tant de perfec>>tion dans les ouvrages composés de plusieurs » pièces et faits de la main de plusieurs maîtres, » qu'en ceux auxquels un seul a travaillé......

» Et ainsi je pensai que les sciences des livres, >> au moins celles dont les raisons ne sont que probables et qui n'ont aucunes démonstrations,

(1) V. Disc. de la Méth. OEuvr., I, p. 132 sqq.

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s'étant composées et grossies peu à peu des opinions de plusieurs diverses personnes, ne >> sont point si approchantes de la vérité que les >>> simples raisonnements que peut faire naturelle>>ment un homme de bon sens touchant les >> choses qui se présentent. Et ainsi encore je pensai que pour ce que nous avons tous été >> enfants avant que d'être hommes, et qu'il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs qui étaient souvent >> contraires les uns aux autres, et qui, ni les uns »> ni les autres, ne nous conseillaient peut-être >> pas toujours le meilleur, il est presque impos» sible que nos jugements soient si purs ni si so>>lides qu'ils auraient été, si nous avions eu l'u»sage entier de notre raison dès le point de >> notre naissance, et que nous n'eussions jamais » été conduits que par elle.

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» A l'exemple de quoi je me persuadai... que, » pour toutes les opinions que j'avais reçues jus>>ques alors en ma créance, je ne pouvais mieux >> faire que d'entreprendre une bonne fois de les » en ôter, afin d'y en remettre par après ou d'au>> tres meilleures, ou bien les mêmes lorsque je >> les aurais ajustées au niveau de la raison et je >> crus fermement que par ce moyen je réussirais

>> à conduire ma vie beaucoup mieux que si je >> ne bâtissais que sur de vieux fondements, et » que je ne m'appuyasse que sur les principes » que je m'étais laissé persuader en ma jeunesse, >> sans avoir jamais examiné s'ils étaient vrais.....

» Ayant appris, dès le collége, qu'on ne saurait » rien imaginer de si étrange et de si peu croya»ble, qu'il n'ait été dit par quelqu'un des philo

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sophes; et depuis, en voyageant, ayant reconnu » que tous ceux qui ont des sentiments contraires >> aux nôtres, ne sont pas pour cela barbares ni » sauvages, mais que plusieurs usent autant ou >> plus que nous de raison.

» Et ayant considéré... que, néanmoins, la plu» ralité des voix n'est pas une preuve qui vaille >> rien pour les vérités un peu malaisées à dé>> couvrir, à cause qu'il est bien plus vraisembla>> ble qu'un homme seul les ait rencontrées que >>> tout un peuple ; je ne pouvais choisir personne >> dont les opinions me semblassent devoir être préférées à celles des autres, et je me trouvai » comme contraint d'entreprendre moi-même de » me conduire. >>

Son but, dès lors, est de reconstruire en entier l'édifice de ses idées, et de renouveler les fondements des sciences et de la philosophie. L'audace

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