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rie qui étoit à bord de l'efcadre françoife. Des exemplaires qu'il avoit envoyés en Europe, il en eft à peine parvenu la moitié, mais ce petit nombre laiffoit encore l'auteur exposé à voir fon ouvrage imprimé fans correction, & rendu public fans fon aveu.

De nouvelles courfes dans l'intérieur des Etats Unis lui ayant fourni de nouvelles obfer. vations non moins intéreffantes que les premieres, quelques-unes fe font répandues, & ont été publiées en Allemagne fans fuite & fans liaifon. Cette circonstance a déterminé l'auteur à faire imprimer lui-même fon journal.

Après avoir lu ces voyages, on trouvera cette efpece d'apologie de l'auteur auffi fuperflue que modefte, pour un ouvrage qui eft écrit avec la franchise & la rapidité qui convient à un homme de guerre, & avec la correction qui convient à un homme de lettres, en mêmetems qu'il offre toute la variété & l'étendue de connoiffances qui caractérisent un homme très inftruit.

Quelques perfonnes ont trouvé que des détails privés de voyageur revenoient trop fouvent dans cet ouvrage, & que l'auteur y par loit trop fouvent de fes hôtes & des bons ou mauvais repas qu'il avoit rencontrés. Si le jour. nal de M. de Chatellux étoit celui d'un voyage fait en France ou dans une contrée de l'Europe très connue, cette critique pourroit être fondée; mais il nous peint par ces détails les mœurs américaines, le genre d'hospitalité du pays, l'efpece & le degré d'abondance des den

rées, les traces plus ou moins profondes de la guerre ces détails n'ont donc pas été, nous l'avouons, fans inftruction & fans intérêt pour nous. Quand il nous repréfente la vie patriarchale qu'on mene dans les habitations de l'intérieur de l'Amérique, & qu'il parle enfuite de la vie plus fenfuelle & plus recherchée des villes maritimes, nous voyons un peuple nail fant & encore épars, dont les destinées & les mœurs préfentes doivent être auffi diverses que le fol, le ciel & le genre d'occupations que chaque individu a choifis. Si nous nous tranfportons à un fiecle de nous, nous voyons alors ces différences prefque effacées par l'aggrégation plus intime de toutes ces colonies qu'un même efprit & un même intérêt vont animer par l'augmentation de population qui va remplir les vuides qui les féparent, par la facilité des communications qui vont s'ouvrir; enfia fi nous ajoutons à ce fiecle un autre fiecle encore, les familles, les fortunes, les mœurs, fe font confondues, & les habitans de l'Amérique feptentrionale ne forment plus qu'une grande nation qui a perdu toutes les nuances primitives de fes diverfes origines, pour le revêtir d'un caractere uniforme & général. M. de Charellux fe trouve-t-il quelquefois dans des habitations dépourvues des premiers befoins de la vie, où l'on n'a que des galettes cuites au four & de méchant grog à lui offrir? Cela tempere les idées de terre promife & d'abondanceauxquelles notre imagination aifément prévenue pour un pays de liberté, & d'autres journées

plus heureufes de l'auteur nous avoient déja livré; & cela nous donne cependant le fenti ment d'un autre genre de mifere que celle qui regne dans nos climats : car là c'eft une pauvreté qui n'avilit ni n'afflige, parce qu'elle ne tient à aucune caufe d'oppreffion & d'esclavage. Ce font feulement des colons nouveaux qui n'ont pas encore fait fortune, & auxquels la terre & l'espérance ne peuvent point manquer. Dans dix ans tout aura pris une face nouvelle, & nous fommes fûrs que fi nous allons alors vifiter les mêmes plantations, nous les trouve. rons en pleine profpérité.

En voilà peut être affez pour juftifier M. le marquis de Chatellux fur les détails dans lefquels il eft entré; mais nous pouvons ajouter encore que ces détails font facilement & agréa blement écrits; qu'ils ne font que fervir utilement de liaifon & d'ombre à des morceaux plus brillans & plus vigoureux, & qu'à les en, vifager fous ce rapport feulement, il faut être de bien mauvais goût ou au moins de bien mauvaise humeur pour leur chercher que relle.

Deux volumes in 8vo. qu'on trouve plus. courts encore après les avoir lus, contiennent la relation de trois voyages différens dans lefquels l'auteur a parcouru les provinces les plus intéreffantes des Etats Unis, vifité tous les lieux qui ont été le théatre de quelque événement remarquable, & fait en un mot cinq ou fix cens lieues, toujours à cheval, toujours obfervant, faifant toujours ufage de beaucoup d'ef

prit & de beaucoup de connoiffances préliminaires. L'espace n'a donc pas été trop long pour la matiere, & beaucoup d'écrivains n'ont pas eu d'auffi bonnes raifons pour faire de plus gros ouvrages, & fur-tout autant de talent pour fe les faire pardonner.

Après avoir lu le premier volume avec un intérêt attachant, on eft ramené par la réflexion à vingt morceaux de divers genres, tous, ou curieux, ou inftructifs, ou piquans, ou pleins de bonne philofophie, tous diftingués par la couleur & par la perfection de flyle qui leur eft propre. Nous tombons au hafard fur un morceau où voyageant au milieu d'un pays âpre & défert, la contemplation de la na ture en défordre & qui n'a pas encore été embellie ou dégradée par les mains de l'homme, lai rappelle les fyftêmes de M. de Buffon, & enfin fait apparoître à fon imagination M. de Buffon lui même, qui lui femble être dans fon propre domaine, & qui vient lui interpréter & lui prouver les modifications du globe.

» Tandis que je méditois fur le grand tra » vail de la natute qui emploie des centaines » de fiecles à rendre la terre habitable, (ajoute » M. de Chatellux, paffant ainfi par la tranfi» tion la plus heureufe d'un fujet à l'autre) » un nouveau fpectacle bien propre à contraf»ter avec l'objet de mes contemplations fixat » mes regards & excita ma curiofité : c'étoit

l'ouvrage d'un feul homme qui, dans l'ef» pace d'une année, avoit abattu plufieurs ar pens de bois & s'étoit conftruit une maison

A S

» au milieu d'un terrein affez vaste qu'il avoit » défriché. «

C'étoit un de ces nouveaux établiffemens qu'on appelle dans le pays Improvements ou New Settlements, que l'auteur voyoit pour la premiere fois. Il explique enfuite la maniere dont ils fe forment. En lifant ces intéreffans détails, on jouit de la puiffance de l'homme; on admire cette providence fuprême qui a affigné à la mature qui doit durer toujours, une action fucceffive & lente, & qui a donné en revanche à l'homme qui ne doit paffer que quelques momens fur la terre, une force & une activité qui font en apparence au deffus de fa conftitution; l'on voit avec plaifir combien les befoins de l'homme font bornés quand il a la fageffe de s'en tenir à la vie fimple & paifible de l'agriculture, & on ne peut conce. voir que tant de malheureux fans fortune qui, ́ en Europe, font réduits à mendier, à intriguer ou à s'avilir pour atteindre à vivre, ne préferent point d'aller chercher en Amérique la liberté & le bonheur qui leur tendent les bras.

Veut on voir comment un homme éclairé, humain & fpirituel voyage & ne laiffe rien échapper de ce qui le frappe fous ces trois rapports? L'auteur traverse un nouveau comté qui fe formoit au milieu de la guerre dans les bois du Connecticut, comté auquel la reconnoiffance publique venoit de donner le nom de Washington. Vaine attention, observe-t-il, puifque la mémoire du hiros vivra fans doute plus

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