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plus étaient celles qui avaient trait à l'augmentation de l'armée. Aussi eut-il soin d'objecter que les fonds manquaient pour la mesure proposée; qu'il y aurait lieu, par conséquent, à une demande de crédit qu'on n'était pas sûr de voir accueillie avec faveur; qu'on s'exposait gratuitement à des orages parlementaires dont on ignorait les suites; que, pour son compte, il ne se souciait nullement de jouer sa responsabilité sur un coup de dé. M. Thiers insista, il représenta que la cause de Christine était la cause de la révolution de juillet elle-même, il se fit fort d'en convaincre la Chambre, et l'emporta enfin.

Les débats duraient depuis plusieurs jours le Conseil s'assembla une dernière fois pour arrêter d'une manière définitive la mesure en discussion. Quel fut l'étonnement du roi et de M. Thiers, quand tout-à-coup le maréchal Soult s'écria, en parlant des nouvelles troupes qu'il s'agissait de lever : « Je << n'en ai pas besoin! » Cette sortie à laquelle personne ne s'attendait, émut vivement le roi, qui, à ce qu'on raconte, s'emporta jusqu'à dire « Mon« sieur le maréchal, vous faites du gâchis. Le << maréchal Soult ne fait pas de gâchis », répliqua le ministre, en proie à un ressentiment contenu. Et il sortit brusquement. Le changement imprévu qui s'était manifesté dans son opinion fut attribué par certains de ses collègues à des préventions que lui aurait bassement suggérées un agent subalterne. Cet agent lui aurait fait croire qu'on n'avait mis la mesure sur le tapis que pour le compromettre devant les Chambres et le laisser tomber sous le coup

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d'un vote improbateur. Rien n'était plus invraisemblable. Quoi qu'il en soit, la démission du maréchal Soult paraissant imminente, le roi lui écrivit, pour le calmer, une lettre convenable. Lui, recevant le message avec humeur, il se contenta de répondre qu'il verrait ce qu'il avait à faire. Il fallait songer à lui donner un successeur : on jeta les yeux sur le maréchal Maison. Mais cédant bientôt à des conseils autres que ceux de la colère, le vieux ministre de la guerre remit à temps le pied dans les affaires publiques; et la bonne harmonie rentra au sein du Conseil. Telle se présente au jugement de l'histoire la politique extérieure suivie en 1833 par le gouvernement français. En Orient, elle fut incertaine, irréfléchie, aveugle, pleine de contradictions. Vis-à-vis de l'Angleterre, elle se résuma dans un engagement d'une témérité rare. Absolument nulle à l'égard du Portugal, elle prit à l'égard de l'Espagne un caractère de décision qu'il faudrait louer si l'on y eût donné suite. Au fond, l'année 1833 ne fut marquée ni par le nombre ni par l'éclat des événements. Mais beaucoup de solutions y furent préparées, et la Providence y posa devant les passions des hommes plus d'un problème important et redoutable.

CHAPITRE IV.

Expédition de Savoie.·

Association de la Jeune Italie; ses principes; son organisation; son but. Mazzini et Ramorino. Rapports de Mazzini avec les républicains français; sages appréhensions de Buonarotti; son portrait. — Entrevue de Mazzini et de Ramorino à Genève; plan adopté. Mouvement sur la Savoie; comment il échoue. Influence de cet échec sur l'attitude du gouvernement français. — Une lutte terrible se prépare entre le pouvoir et le parti républicain. — Poursuites contre M. Cabet. — Mort tragique de Dulong. Loi contre les crieurs publics; scènes d'horreur. Loi contre les associations; une grande bataille se prépare. — Affaire des 25 millions. - Démission du duc de Broglie.— Intrigues secrètes. — Remaniement ministériel.— Symptômes avant-coureurs d'une révolution.

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Nous entrons dans une époque remplie de tempêtes. Réduit en 1833 à une sorte de sommeil agité, l'esprit révolutionnaire allait se réveiller à Lyon, impétueux et terrible.

Ce fut en Savoie qu'il éclata d'abord. Il avait eu son point de départ à Genève, et il devait s'étendre sur l'Italie tout entière pour en changer la face. Ces premiers mouvements ne présentent donc pas, à proprement parler, une physionomie française; mais ils émanaient de la révolution de 1830 : ils étaient de nature à influer puissamment sur le cours de ses destinées; ils se liaient d'une manière intime aux mouvements de l'esprit français; ils tenaient en éveil, au milieu de la France attentive, de nobles

sympathies et des espérances qui ne demandaient qu'à être encouragées; enfin, ils se combinaient avec les efforts du parti démocratique dans le Jura, à Lyon, et à Grenoble. Sous tous ces rapports, ils valent que nous leur consacrions quelques pages; d'autant qu'ils ont été jusqu'ici imparfaitement connus et mal appréciés.

De conspirateur, Charles Albert était devenu roi de Sardaigne. Ses trahisons n'étaient un mystère pour aucun de ses anciens complices. Et cependant quand elle vit un des siens sur un trône, la vieille charbonnerie ne put se défendre d'un tressaillement d'orgueil et d'espoir. Le monarque ne tiendrait-il pas quelques-unes des promesses du prince? Plusieurs le crurent, et une lettre fut publiée qui lui rappelait son passé. Charles Albert y répondit par des poursuites, par des menaces de proscription. Les patriotes italiens comprirent alors qu'un prince qui les avait eus pour confidents ne pouvait plus être que leur ennemi. L'association, connue sous le nom de la Jeune Italie, s'organisa.

A la différence du carbonarisme qui avait été sceptique et libéral, la Jeune Italie fut profondément religieuse et démocratique. Elle avait pour fondateur et pour chef M. Mazzini, pour but l'indépendance et l'unité de l'Italie, pour symbole une branche de cyprès, pour devise ces mots : Maintenant et toujours (ora e sempre), pour moyens l'insurrection et la propagande, l'épée du conspirateur et la plume du journaliste. Ses principes, la Jeune Italie les répandait par un journal établi à Marseille; sa campagne révolutionnaire, elle la préparait par

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