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pensée, vous ne savez donc pas qu'en restant auprès de moi vous ferez involontairement obstacle << à ma mise en liberté ? » Elle voyait, en effet, dans l'arrivée de M. Deneux, la preuve que les ministres avaient l'intention de lui laisser atteindre en prison le terme de sa grossesse. Mais M. Deneux lui représenta que, s'il revenait à Paris, les journaux légitimistes nieraient plus obstinément que jamais la déclaration du 22 février, ce qui mettrait le gouvernement dans la nécessité de plus en plus impérieuse de les confondre par une preuve positive, au risque de lui imposer, à elle, une plus longue captivité. Elle parut frappée de cette observation; et, dans un second entretien qui eut lieu le 28 mars, elle déclara à M. Deneux qu'elle acceptait sa présence et ses soins.

Ce jour-là commença pour M. Deneux une vie de sollicitude, d'abnégation. Tout entier au désir de rappeler sa malade au repos et à la liberté, il ne craignit pas d'attirer sur sa tête la réprobation de son parti, dont il fallait, pour servir la mère de Henri V, déjouer les calculs et braver les passions. Car ici l'intérêt de la princesse et celui du parti légitimiste étaient manifestement opposés. Pour faire tomber devant elle les portes de sa prison, MarieCaroline n'avait qu'un moyen, qui était de mettre en lumière la vérité, vérité redoutable que le parti légitimiste aurait voulu couvrir d'un voile éternel, dût la mère de Henri V rester plus long-temps victime de l'importance du secret!

Mais ce n'était pas d'un simple aveu que les ministres avaient besoin; cet aveu, il avait été fait le 22 février et publié le 26: ce que gouvernement

le

exigeait, c'était une constatation publique, appuyée sur des témoignages officiels, telle enfin que toute controverse devînt impossible. Or, cette constatation, la duchesse de Berri éprouvait à la permettre une répugnance invincible, d'abord par pudeur, ensuite parce que, déjà trompée, elle ne croyait pas qu'on lui accordât la liberté pour prix du sacrifice qu'on osait lui demander.

Voici quel fut, à ce sujet, le plan soumis au général Bugeaud par M. Deneux: un certain nombre de personnes notables de Blaye et de Bordeaux auraient été désignées par le gouvernement pour recevoir, de la part de médecins accoucheurs choisis en nombre égal par le gouvernement et la princesse, une déclaration constatant la grossesse. L'acte dressé, la princesse se serait embarquéc en présence des mêmes personnes, et l'acte n'aurait été envoyé à Paris que lorsque le bâtiment se serait trouvé loin des parages de Blayc. Ce plan portait l'empreinte d'une défiance dont les ministres n'avaient que trop mérité l'injure. Le général Bugeaud parut néanmoins disposé à l'adopter; il répondit à M. Deneux qu'il allait rédiger des propositions qui seraient mises sous les yeux de la duchesse de Berri et des ministres. Et il ajouta que si, les conditions une fois acceptées, le gouvernement s'avisait de manquer à sa parole, il s'emparerait, lui Bugeaud, de la corvette la Capricieuse, et conduirait Madame en Sicile de sa pleine autorité.

Si la duchesse de Berri avait pu croire un instant à la sincérité des promesses de ses ennemis, elle aurait cédé peut-être; mais elle était convaincue que

<< trompe.

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c'était en pure perte qu'elle autoriserait une constatation dont l'outrageante solennité était si propre, d'ailleurs, à la remplir d'effroi. Une conversation qu'elle eut sur ce point avec M. Deneux donnera une idée des tourments auxquels était en proie cette malheureuse femme. « J'aime mieux, disait-elle à << son médecin, accoucher à Blaye que consentir à « la constatation qu'on me demande. Si je fais con« stater mon état, on ne manquera pas de publier « le résultat dans les journaux, et je resterai ici, << tandis que la déclaration faite au moment de « l'accouchement ne sera pas rendue publique. « Oh! pour cela, cela, j'ose affirmer que Madame se Comment! Monsieur Deneux, vous « croyez que les ministres oseraient la publier? « Je ne le mets pas en doute, Madame. Mais ce << serait une infamie qui n'aurait pas de nom. « le feront, Madame, soyez-en sûre. — Eh bien, « s'ils le font, je divulguerai ce qui devait rester « caché, je dirai le nom de mon époux; mais, comme « les lois françaises m'y obligent pour légitimer « mon enfant, l'odieux de cette révélation retoma bera tout entier sur mes ennemis; tandis que, si je faisais constater ma grossesse, c'est moi seule « qu'on accuserait, et l'on ne manquerait pas de « dire que j'ai voulu obtenir ma liberté avant d'ac« coucher, l'obtenir à tout prix, parce que mon en« fant n'était pas légitime. »>

Ils

Ces considérations la décidèrent, et elle écrivit au général Bugeaud pour lui annoncer son refus.

1 Voici sa lettre :

« Je ne puis que vous savoir gré, général, des motifs qui vous ont

Peu de temps après, une dépêche télégraphique mandait M. Ménière à Paris. Là, ce médecin fut appelé dans la salle du conseil, et il rendit compte. devant les ministres assemblés de tout ce qu'il savait sur l'état des choses à Blaye. D'après ces renseignements, il fut décidé d'une manière définitive qu'on ferait accoucher la princesse dans sa prison. Le roi désira ensuite entretenir M. Ménière en particulier. Il se montra péniblement affecté de la rigueur déployée contre une nièce de sa femme, et se représenta comme la victime des nécessités du régime constitutionnel. Puis, prévoyant sur quels points pouvaient rouler les conversations de la princesse et de M. Ménière, il indiqua longuement à celui-ci le langage qu'il aurait à tenir, et se complut à lui tracer son rôle.

Marie-Caroline n'avait plus d'autre chance de salut qu'une évasion habilement préparée. L'idée en vint à quelques-uns de ses partisans, et M. de Choulot fut désigné, à son insu, comme le chef de la conspiration. Il s'était rendu digne de ce pé

<< dicté les propositions que vous m'avez soumises. A la première lecture, « je m'étais décidée à répondre négativement. En y réfléchissant, je n'ai << point changé d'idée. Je ne ferai décidément aucune demande au << gouvernement. S'il croit devoir mettre des conditions à ma liberté, si << nécessaire à ma santé, tout-à-fait détruite, qu'il me les fasse con<< naître par écrit. Si elles sont compatibles avec ma dignité, je jugerai « si je puis les accepter. En toute occurrence, je ne puis oublier, « général, que vous avez en toute occasion su allier le respect et les « égards dus à l'infortune aux devoirs qui vous étaient imposés. J'aime « à vous en témoigner ma reconnaissance. >>

MARIE-CAROLINE »

Quelques jours après, la duchesse de Berri ayant communiqué cette lettre à M. Deneux, et celui-ci en témoignant sa surprise, la princesse lui dit « Il faut savoir caresser le lion pour n'en être pas griffé. »

rilleux honneur par sa hardiesse dans le dévoûment, par les sacrifices de tout genre qu'il avait faits à la cause de la légitimité, et notamment par les fréquents voyages qu'il avait entrepris pour cette cause, et où il avait compromis une partie de sa fortune. Il était alors à Paris, et il revenait de Prague, d'où il rapportait, pour la duchesse de Berri, des lettres, des portraits et des paroles de consolation. Désespérant de pénétrer par la ruse dans la citadelle de Blaye, il s'adressa d'abord au ministre de la guerre, ne cachant rien de ce qu'il avait fait pour la duchesse de Berri lorsqu'elle était encore libre et armée. « Vous vous êtes conduit << en vrai chevalier français », dit à M. de Choulot le maréchal Soult; mais il ajouta que, pour être admis auprès de la princesse, une autorisation du roi lui-même ne serait pas suffisante; que c'était là une question d'État, et que les ministres avaient à en délibérer. Le lendemain, M. de Choulot apprit que sa demande était repoussée. Il ne se rebuta point, écrivit au roi une lettre dans laquelle il redoublait d'instances, et confiant dans les ressources de son audace, il partit pour Blaye. Il se présente au général Bugeaud, invoque auprès de lui des motifs d'humanité, des motifs d'honneur, et parvient enfin à se faire ouvrir les portes de la prison. Il trouva la duchesse de Berri très-abattue, et rejetant sur les souffrances prolongées de sa captivité le tort de la déclaration arrachée à sa faiblesse. L'entrevue fut courte : M. Bugeaud n'avait assigné à la visite qu'une durée de douze ou quinze minutes. Avant de prendre

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