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de la quadruple alliance. Des hommes qui n'en connaissaient même pas les clauses se prirent à en exagérer l'importance jusqu'au ridicule. A les entendre, ce n'était pas moins qu'une vaste et durable confédération des monarchies constitutionnelles dans un but vraiment européen; un contrepoids venait d'être trouvé à la sainte-alliance, à la vieille politique du Continent; l'ère de la diplomatie moderne venait de s'ouvrir. Si bien que, grâce aux commentaires de quelques gazetiers mal informés, grâce aux hâbleries de quelques diplomates à la suite, des proportions imposantes furent données à un traité de circonstance, qui ne réglait que des intérêts passagers, et qui n'avait évidemment ni portée, ni avenir. Mais ce qu'il y eut de plus extraordinaire, c'est que M. de Talleyrand atteignit, du coup, aux dernières limites de sa renommée. Dans une oeuvre qui était si loin d'être la sienne, on ne manqua pas de voir le résultat de ses profondes méditations, le couronnement des travaux de sa vie diplomatique. Or, on lui avait fait dans la négociation une part si humble, si tardive, si conforme, en un mot, à sa médiocrité, que Louis-Philippe eut un moment le dessein d'en témoigner son humeur à M. de Miraflores, quand il fut question de décerner aux signataires du traité les distinctions honorifiques d'usage!

Au reste, cette alliance anglaise dont on lui attribuait, avec une amphase aussi niaise que mensongère, le mérite d'avoir formé les noeuds, M. de Talleyrand ne la prenait pas tellement à coeur qu'il ne fût disposé à la sacrifier aux premiers mouvements de son orgueil offensé; et nous le verrons, dans la

suite, fouler lui-même aux pieds ses prétendus titres à l'immortalité, tout simplement pour tirer vengeance de lord Palmerston qui s'était plu à le faire attendre une heure dans son antichambre!

CHAPITRE VII.

Élections du mois de juin 1834.

Secrètes dissidences dans le Cabinet. Lutte sourde entre le maréchal Soult et M. Guizot. Divisions dans le Conseil au sujet de M. Decazes et du duc de Bassano.-M. Thiers abandonne le maréchal. Soult. Le roi, M. Guizot et M. Thiers au château d'Eu; le roi consent à la retraite du maréchal Soult et à son remplacement par le maréchal Gérard. M. de Sémonville sacrifié au duc de Decazes. Débats dans le Conseil sur la question de l'amnistie. Dissidence entre M. Thiers et le maréchal Gérard.

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Le Conseil se prononce contre l'amnistie; pourquoi. Retraite du maréchal Gérard. Crise ministérielle: intrigues diverses. - Combinaison proposée par M. Thiers. Le roi la repousse, en haine de M. de Broglie. - Dissolution du Cabinet. - Scènes étranges qui en sont la suite. - Ministère des trois jours. - De quelle manière il tombe; jugement qu'en porte le roi. Le ministère précédent revit sous la présidence du maréchal Mortier. - Interpellations à la Chambre. Ordre du jour motivé.

La Chambre des députés avait été dissoute au moment même où la session venait d'expirer, et on avait dû procéder à des élections nouvelles. Or, lể résultat n'en pouvait être douteux. Vaincu de la veille, le parti républicain n'obtint dans le corps électoral qu'un petit nombre de suffrages. Le gouvernement, au contraire, entrait en lice soutenu par l'éclat de sa récente victoire : il eut pour lui tous les flatteurs du succès, race vile, partout trèsnombreuse, mais qui se distingue dans les monarchies par l'effronterie de sa bassesse.

Au reste, ce gouvernement, si fort en apparence, portait en lui des causes actives de dissolution. Et peut-être le lecteur nous saura-t-il gré de mettre ici au grand jour quelques scènes d'intérieur, bien propres à montrer tout ce que renferme de mesquin et de misérable la vie secrète des monarchies. Rien de plus triste et, souvent, rien de plus instructif que l'histoire de la puissance en déshabillé.

Dans le maréchal Soult, M. Guizot, d'accord en cela avec M. de Broglie, ne voyait qu'un soldat brutal, fier d'un renom que sa capacité ne justifiait pas, affectant un orgueil toujours mêlé de ruse, et grevant le budget outre-mesure par les dispendieux caprices de son administration. De son côté, le maréchal Soult professait pour M. Guizot, M. de Broglie et les doctrinaires, le genre de dédain naturel à l'homme d'épée : il s'irritait de leur morgue, de leur talent surtout. Dans la lutte sourde, née de ces antipathies, M. Thiers avait été long-temps, non pas l'allié du maréchal, mais son défenseur officieux. Car M. Thiers, tout plein des souvenirs de l'Empire, ne put jamais se défendre d'un certain respect pour l'uniforme. Malheureusement, le maréchal Soult avait le goût des subalternes, il aimait à s'entourer de courtisans obscurs. Et ceux-ci, pour se donner auprès de lui une importance, s'étudiaient à l'isoler dans le Conseil, en l'aigrissant contre tous ses collègues. Il en résulta, de sa part, une défiance qui enveloppa bientôt M. Thiers lui-même. Si bien qu'en peu de temps il se forma, dans le Cabinet, une sorte de ligue sous laquelle il était impossible que le maréchal ne succombât point tôt ou tard.

Telles furent les véritables causes de sa chute : voici quelle en fut l'occasion.

Les esprits étaient fort occupés alors des affaires d'Afrique. Notre conquête s'y trainait péniblement depuis 1850 et ne s'y installait pas. Le courage des soldats s'y fatiguait à poursuivre, dans des expéditions sans nombre et sans fruit, des cavaliers rapides, maîtres de l'espace et gardiens insaisissables d'un sol brûlant. Il nous en coûtait beaucoup d'or, et le plus pur de ce sang généreux qui a toujours bouillonné dans les veines de la France. D'ardentes préoccupations s'ensuivirent. On se demanda si le mal ne venait pas de la fréquence excessive des excursions, et, par conséquent, de la prédominance de l'esprit militaire en Afrique. On se demanda s'il ne serait pas bon, pour asseoir enfin notre conquête à Alger, d'y envoyer un gouverneur civil duquel relèveraient les généraux. Cette opinion se fortifia, s'étendit, s'empara de la Chambre après avoir envahi la presse. Elle servait indirectement les vues ou, plutôt, les répugnances des doctrinaires, à l'égard de l'Afrique. « Alger, disait M. de Broglie, est << une loge à l'Opéra. La France est assez riche assu<< ment pour avoir une loge à l'Opéra; mais celle-là « lui coûte trop cher. » Or, depuis que M. de Broglie était sorti du Conseil, ses dégoûts y étaient représentés par M. Guizot, son ami. Quant à M. Thiers,

'Si nous n'avons pas encore parlé de nos expéditions en Algérie, c'est parce qu'il nous a paru convenable, pour éviter la confusion des faits, de rejeter à la fin de l'ouvrage, l'histoire de la France à Alger, depuis la conquête. Aussi bien, cette histoire forme par sa nature un tableau tout-à-fait à part.

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