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« fléchir. Est-il plus sacré que celui de l'irrespon«sabilité royale qui a fléchi pourtant lorsque vous « avez déposé Charles X ?» Passant ensuite aux désordres qu'on affrontait en faisant comparaître la duchesse de Berri devant des juges désignés par le hasard : « Croyez-vous, ajoute-t-il, que ce sera assez « de toutes les forces dont le gouvernement dispose, « pour protéger, selon le vent qui soufflera, tantôt « la tête des juges, tantôt celle des accusés ? Vous << avez vu le jugement des ministres, vous avez vu pendant dix jours la ville de Paris tout entière « sous les armes, la capitale du royaume dans l'at«titude et l'anxiété d'une ville de guerre qui a subi « un assaut? eh bien, vous n'avez rien vu. Vous « avez vu les troubles du mois de juin? eh bien, « vous n'avez rien vu. »>

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Plusieurs orateurs de la gauche se présentent pour répondre à M. de Broglie. M. de Ludre annonce qu'il votera le renvoi des pétitions au gardedes-sceaux avec cette clause : « Pour faire exécuter « les lois du royaume. » M. de Bricqueville rappelle que, lors de sa proposition relative au bannissement de la branche aînée, le gouvernement déclarait le code pénal applicable à ceux des membres de la famille déchue qui tenteraient la guerre civile; et il s'étonne qu'on mette aujourd'hui à sortir du droit commun l'empressement qu'à une époque encore si récente on mettait à y rester. « On parle, « s'écrie M. Cabet, du péril qu'il y aurait à soumettre «< la duchesse de Berri à la juridiction ordinaire : « le gouvernement est-il donc si mal affermi qu'il « ne puisse subir une pareille épreuve ?

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Alors, et pour mieux combattre la dynastie dont ils étaient les serviteurs aveugles, M. Berryer se rangea résolument du parti des ministres. Comme eux, il reconnut que traîner la duchesse de Berri devant des juges serait une faute et un danger; comme eux, il affirma qu'elle vivait dans une sphère où ne pouvait l'atteindre le glaive de la loi commune. Au point de vue monarchique, la mère d'un roi légitime n'étant liée par aucun devoir de soumission nécessaire à un prince que l'insurrection seule avait couronné, la duchesse de Berri s'étai mise, à l'égard de Louis-Philippe, non pas en éta de révolte, mais en état de guerre. Il y avait à statuer sur une défaite, non sur un délit, question de politique, non de justice; et c'était conséquemmen au pouvoir exécutif à voir ce qu'en une telle occur rence il lui était permis d'oser.

M. Thiers comprit la portée fatale de cette adhé sion: il essaya de donner le change aux esprits Convaincu que c'était surtout à la pusillanimité de l'assemblée qu'il fallait faire appel pour arriver au succès, il se complut à dérouler devant elle je n sais quel tableau sinistre : les juges tremblant su leurs siéges, les accusateurs interdits, l'accusé triomphant de l'impossibilité où seraient ses enne mis d'apporter contre elle des preuves matérielle et décisives, les passions excitées en sens divers e prêtes à s'entrechoquer, les scènes du procès de ministres se renouvelant, plus graves encore, plu épouvantables, et le gouvernement forcé, s'il faisai venir l'accusée, de Blaye à Paris, « d'échelonner su << la route 80 ou 100 mille hommes. >>

Effrayée par cette évocation de vains fantômes, la Chambre abandonna aux ministres le soin de décider, sous leur responsabilité, mais selon leurs caprices, du sort de la duchesse de Berri.

Ainsi, de l'urne même où les lois prennent naissance, on faisait sortir l'arbitraire et toutes ses témérités; la légalité, si ardemment soutenue par Casimir Périer, faisait place à la raison d'état, hypocrisie du despotisme; les intérêts de la politique, qui changent et passent, se substituaient aux droits de la justice, qui sont éternels; le jury, dont on avait proclamé si fastueusement la sainteté, on le dénonçait maintenant comme un pouvoir accessible aux faux ménagements, à la corruption, à la peur; le principe de l'égalité devant la loi, inscrit dans la charte sans réserve, on le sacrifiait à un genre d'inviolabilité qu'on n'avait pas respecté lorsqu'il s'était agi de prendre une couronne, et qu'on respectait quand il n'était plus question que de venger la société offensée; enfin, et par une contradiction monstrueuse, un gouvernement qui se disait appuyé sur les voeux de la nation se déclarait trop faible pour affronter les suites d'un procès, et paraissait craindre que ce ne fut pas assez d'une armée sur le passage d'une femme deux fois vaincue et prisonnière! C'était du vertige.

Aussi les légitimistes furent-ils saisis de joie; et pendant que le parti républicain s'abandonnait, contre le pouvoir, aux transports d'une sombre colère, eux, relevant la tête, ils se répandirent, sur les discours de MM. Thiers et de Broglie, en commentaires pleins de fiel et d'orgueil; ils appelèrent

la séance du 5 janvier la séance aux aveux : le parti légitimiste n'était donc pas mort, comme on l'avait tant dit et répété, puisque, pour le contenir, suivant la déclaration des ministres, il ne fallait pas moins de cent mille soldats! Et ils adressaient à M. de Broglie des félicitations railleuses sur le service qu'il venait de rendre à la cause des bonnes doctrines ne lui reprochant autre chose que son inconséquence, et comparant ce pouvoir, qu'on voyait vivre du passé qu'il insultait, au vautour qui vit de la proie qu'il défigure.

Le parti ministériel était engagé dans une impasse il se défendit avec embarras; et, comme sa confusion lui donnait les apparences de la faiblesse, l'audace de ses adversaires s'en accrut.

Tel était l'état des esprits, lorsque tout-à-coup des rumeurs étranges se répandent. Un amour mystérieux, une imprudence sans excuse, voilà ce qu'on raconte de la duchesse de Berri, et l'on parle d'un scandale inévitable. Repoussées par les légitimistes comme autant de calomnies impures, ces rumeurs sont propagées sourdement par ceux dont elles ont charmé la curiosité ou qui en recherchent l'ignoble profit. Plus volontiers que partout ailleurs, on s'en entretint au château, quoiqu'à mots couverts. Les courtisans se montraient crédules par flatterie. La reine s'étant quelquefois échappée en plaintes, moitié sévères, moitié affectueuses, sur la légèreté de sa nièce, les courtisans se plurent à leur donner, dans la circonstance, une interprétation cruelle, par cette persuasion que le roi l'aurait pour agréable. Lui, en effet, soit politique, soit indifférence réelle,

il laissait un libre cours à la licence de propos dont l'injure, pourtant, semblait devoir rejaillir sur sa famille. Et non-seulement il toléra le bruit qu'on faisait autour de lui du déshonneur présumé de sa nièce, mais il ne craignit pas de mêler à ce qu'on en disait ses propres conjectures et tous les détails piquants que lui fournissait sa mémoire sur les intrigues de l'ancienne Cour.

Les soupçons allaient grandissant un accident survint qui était de nature à les confirmer. Dans la nuit du 16 au 17 janvier, la prisonnière avait été atteinte de vomissements; et une dépêche télégraphique en apporta aussitôt la nouvelle aux Tuileries. La duchesse de Berri, depuis son entrée à Blaye, n'avait eu d'autre médecin que M. Gintrac; mais c'était un homme plein de savoir et de probité, dont elle estimait le caractère et dont les soins lui étaient chers. Le gouvernement aurait donc pu s'en reposer sur M. Gintrac de la santé de MarieCaroline, d'autant que cette princesse avait déjà refusé de recevoir le docteur Barthez, chargé auprès d'elle d'une mission médicale, tout officielle. Les ministres en décidèrent autrement. Pour mettre leur responsabilité à l'abri, et peut-être aussi pour éclaircir un mystère dont pouvait tirer parti une politique implacable, ils résolurent d'envoyer deux médecins à Blaye, en leur donnant pour instructions patentes d'examiner ce qu'avait d'inquiétant la situation de la prisonnière, et les meilleurs moyens de guérison. Les deux médecins choisis partirent dans la nuit du 24 au 22 janvier : c'étaient MM. Orfila et Auvity. En annonçant leur départ, la

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