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qui couronnent Madrid, et où étaient placées les divisions de dragons des généraux Latour-Maubourg et Lahaussaye et la garde impériale à cheval. L'anniversaire du couronnement, cette époque qui a signalé tant de jours à jamais heureux pour Ja Francé, réveilla dans tous les cœurs les plus deux souvenirs, et inspira à toutes les troupes d'un enthousiasme qui se manifesta par mille acclamations. Le'tems était superbe et semblable à celui dont on jouit en France dans les plus belles journées du mois de Mai.

Le maréchal duc d'Istrie envoya sommer la ville, où s'était forinée une junte militaire, sous la présidence du général Castellar, qui avait sous ses ordres le général Morla, capitaine-géneral de l'Andalousie et inspecteur-général de l'artil lerie. La ville renfermait un grand nombre de paysans armés qui s'y étaient rendus de tous côtés, 6000 hommes de troupes de ligne et 100 pièces de canon. Depuis huit jours, on 'barricadait les rues et les portes de la ville; 60,000 hommes étaient en armes: des cris se faisaient entendre de toutes parts, les cloches de 2000 églises sonnaieut à la fois, et tout présentait l'image du désordre et du délire.

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Un général de tronpes de ligne parait aux avant-postes pour répondre à la sommation du duc d'istrie; il était ac-' compagné et surveillé par 30 hommes du peuple dont le cos tume, les regards et le farouche langage rappelaient les assassins de Septembre. Lorsqu'on demandait au général es pagnol s'il voulait exposer des femmes, des enfans, des veillards aux horreurs d'un assaut, il manifestait à la dérobée la douleur dont il était pénétré ; il faisait connaître par des sigues qu'il gemissait sous l'oppression ainsi que tous les honnêtes gens de Madrid et lorsqu'il élevait la voix ses paroles étaient dictées par les misérables qui le surveillaient. On ne put avoir aucun doute de l'excès auquel était portée la tyrannie de la multitude, lorsqu'on le vit dresser procès-verbal de ses propres discours, et les faire attester par la signature des spadussins qui l'environnaient.

L'aide-de-camp du due d'Istrie, qui avait été envoyé dans l' ville saisi par des hommes de la dernière classe du peuple allait être massacré, lorsque les troupes de ligne indignées le prirent sous leur sauve-garde et le fireut remettre à son général.

Un garçon boucher de l'Estramadure qui commandait une' des portes, osa demander que le duc d'Istrie vint lui-même dans la ville les yenx bandés: le général Montbrun repoussa cette audace avec indignation; il fut aussitôt entouré, et il ne s'échappa qu'en tirant son sabre. Il faillit être victime, de l'imprudence avec laquelle il avait oublié qu'il n'avait point à faire à des ennemis civilisés.

Peu de tems après, des déserteurs des gardes Wallones se rendirent au camp. Leurs dépositions donnèrent la con

viction que les propriétaires, les hommes honnêtes étaient sans influence: et l'on dut croire que toute conciliation était impossible..

La veille le marquis de Perales, homme respectable qui avait paru jouir jusqu'alors de la confiance du peuple fut ac cusé d'avoir fait mettre du sable dans les cartouches. Il fut aussitôt étranglé, et ses membres déchirés furent envoyés comme des trophées dans tous les quartiers de la ville. On arrêta que toutes les cartouches seraient refaites, et trois ou quatre mille moines furent conduits au Retiro et employés à ce travail. Il avait été ordonné que tous les palais, toutes les maisons seraient constamment ouverts aux paysans des environs qui devaient y trouver de la soupe et des alimens à discrétion.

L'infanterie française était encore à trois lieues de Madrid. L'empereur employa la soirée à reconnaître la ville et à arrêter un plan d'attaque qui se conciliat avec les ménagemens que méritent le grand nombre d'hommes honnêtes qui se trouvent toujours dens une grande capitale.

Prendre Madrid d'assaut pouvait être une opération militaire de peu de difficulté; mais amener cette graude ville à se soumettre en employant tour-à-tour la force et la persuasion, et en arrachant les propriétaires et les véritables hommes de bien à l'oppression sous laquelle ils gemissaient, c'est là ce qui était difficile. Tous les efforts de l'empereur dans ces deux journées u'eurent pas d'autre but; ils ont été couronnés du plus grands succès.

A sept heures la division Lapisse, du corps du Maréchal duc de Bellune, arriva. La lune donnait une clarté qui semblait prolonger celle du jour. L'empereur ordonna au général de brigade Maison de s'emparer des faubourgs, et chargea le géneral de division Lauriston de protéger cette occupation par le feu de 4 pièces d'artillerie de la garde. Les voltigeurs du 16e régiment s'emparent des maisons et notarment d'un grand cimetière. Au premier feu, l'ennemi montra autant de lâcheté qu'il avait montré d'arrogance pendant toute la journée.

Le duc de Bellune employa toute la nuit à placer son artillerie dans les lieux désignés pour l'attaque.

A minuit, le prince de Neufchâtel envoya à Madrid un lieutenant-colonel d'artillerie espagnole, qui avait été pris à Somo-Sierra, et qui voyait avec effroi la folle obstination de es concitoyens. Ilse chargea de la lettre ci-jointe. (No. 1.) Le 3, à neuf heures du matin, le même parlementaire revint au quortier-genéral avec la lettre ci-jointe. (No. 2.)

Mais déjà le général de brigade d'artillerie Sénarmont, oficier d'un grand mérité, avait placé ses trentes pièces d'ar tillerie, et avait commencé un feu frès-vif qui avait fait brèche aux murs du Retiro. Des voltiguers de la division TTT

TOME IH.

Vilate, ayant passé la brèche, leur bataillon les suivit et en moins d'une heure 400 hommes qui défendaient le Retiro furent culbutés. Le palais du Retiro, les postes importans de l'observatoire, de la manufacture de porcelaiue de la grande casserne et de l'hôtel de Medina Celi, et tous les débouchés qui avaient été mis en défense, furent emportés par nos troupes.

D'un autre côté, vingt pièces de canon de la garde jetaient des obus et attiraient l'attention de l'ennemi sur une fausse attaque.

On se serait peint difficilement le désordre qui régnait dans Madrid, si un grand nombre de prisonniers, arrivant successivement, n'avaient rendu compte des scènes épouvan tables et de tout genre dont cette capitale offrait le spectacle. On avait coupé les rues, crenellé les maisons, des barricades, de balles de coton et de laine avaient été formées; les fenêtres étaient matelassés, ceux des habitans qui désespéraient du succès d'une aveugle résistance fuyaient dans les campagnes d'autres qui avaient conservé quelque raison et qui aimaient mieux se montrer au sein de leurs propriétés devant un ennemi généreux que de les abandonner au pillage de leurs propres concitoyens, demandaient qu'on ne s'exposât point à un assaut. Ceux qui étaient étrangers à la ville, ou qui n'avaient rien à perdre, voulaient qu'on se défendît à toute outrance, accusaient les troupes de ligne de trahison et les obligeaient à continuer le feu.

L'ennemi avait plus de 100 pièces de canon en batterie: un nombre plus considérable de pièces de 2 et 3 avaient été déterrées, tirées des caves et ficelées sur des charrettes, équipage grotesque qui seul aurait prouvé le délire d'un peuple abandonné à lui-même. Mais tous moyens de défense étaient devenus inutiles: étant maître du Retiro ou l'est de Madrid. L'empereur mit tous ses soins à empêcher qu'on entrât de maison en maison. C'en était fait de la ville si beaucoup de troupes avaient été employées. On ne laissa avancer que quelques compagnies de voltigeurs que l'empereur se refusa toujours à faire soutenir.

A 11 heures le prince de Neufchâtel ecrivit la lettre cijointe (No. 3.) S. M. ordonna aussitôt que le feu cessât sur tous les points.

A 5 heures le général Morla, l'un des membres de la junte militaire, et don Bernardo Yriarte, envoyé de la ville, se rendirent dans la tente de S. A. S. le major-général. Ils firent connaître que tous les hommes bien pensans ne doutaient pas que la ville ne fût sans ressources, et que la continuation de la défense était un véritable délire: mais que les dernières classes du peuple et que la foule des hommes étrangers à Madrid, voulaient se défendre et croyaient le pouvoir. Ils demandaient la journée du 4 pour faire entendre raison

du peuple. Le prince major-général les presenta à S. M l'empereur et roi, qui leur dit: "Vous employez en vain le nom du peuple, si vous ne pouvez parvenir à le calmer, c'est parce que vous-mêmes, vous l'avez excité, vous l'avez égaré par des mensonges. Rassemblez les curés, les chefs des couvens, les alcades, les principaux propriétaires et que d'ici à 6 heures du matin la ville se rende, ou elle aura cessé d'exister. Je ne veux ni ne dois retirer mes troupes: Vous avez inassacré les malheureux prisonniers français qui étaient tombés entre vos mains. Vous avez, il y a peu de jours, laissé traîner et mettre à mort dans les rues deux domestiques de l'ambassadeur de Russie parce qu'ils étaient nés Français. L'inhabileté et la lâcheté d'un général avaient mis en vos mains des troupes qui avaient capitulé sur le champ de bataille, et la cas pitulation a été violée. Vous, monsieur Morla, quelle lettre avezvous écrite à ce général? Il vous convenait bien de parler dú pillage, vous qui étant entré en Roussillon avez enlevé toutes les femmes et les avez partagées comme un butin entre vos soldats. Quel droit aviez-vous, d'ailleurs, de tenir uu pareil langage? La capitulation vous l'interdisait. Voyez quelle a été la conduite des Anglais, qui sont bien loin de se piquer d'être rigides observateurs du droit des nations. Ils se sont plaints de la convention du Portugal, mais ils l'ont exécutée. Violer les traités militaires, c'est renoncer à toute civilisation, f'est se mettre sur la même ligne que les Bedouins du Désert. Comment donc osez-vous demander une capitulation, vous qui avez violé celle de Baylen? Voilà comme l'injustice et la mauvaise foi tournent toujours au préjudice de ceux qui s'en sont rendus coupables. J'avais une flotte à Cadix; elle était l'alliée de l'Espagne, et vous avez dirigé contr'elle les mortiers de la ville où vous commandiez. J'avais une armée espagnole dans mes rangs: J'ai mieux aimé la voir passer sur les vaisseaux anglais et être obligé de la précipiter du haut des rochers d'Espinosa, que de la désarmer; j'ai préféré avoir 7000 ennemis de plus à combattre que de manquer à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à Madrid. Je vous donne jusqu'à demain 6 heures du matin. Revenez alors, si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il s'est soumis. Sinon vous et vos troupes, vous serez tous passés par les armes.'

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Le 4, à six heures du matin, le général Morla et le général don Fernando de la Vera, gouverneur de la ville, se présentèrent à la tente du prince major-général. Les discours de l'empereur répétés au milieu des notables; la certitude qu'il commandait en personne; les pertes éprouvées pendant la journée précédente avaient porté le repentir et la douleur dans tous les esprits; pendant la nuit, les plus mutins s'étaient soustraits a danger par la fuite, et une partie des troupes s'était débandée,

A dix heures, le général Belliard prit le commandement de Madrid; tous les postes furent remis aux Français, et un pardon général fut proclamé.

A dater de ce moment, les hommes, les femmes, les enfans se répandirent dans les rues avec sécurité. Jusqu'à onze heures du soir, les boutiques furent ouvertes. Tous les citoyens se mirent à détruire les barricades et à reparer les rues; les moines rentrèrent dans leurs couvens, et en peu d'heures Madrid presenta le contraste le plus extraordinaire, contraste inexplicable pour qui ne connaît pas les mœurs des grandes

villes.

Tant d'hommes qui ne pouvaient se dissimuler à eux-mêmes ce qu'ils auraient fait dans pareille circonstance, s'étonnent de la'générosité des Français; 50,000 armes ont été rendues, et 100 pièces de canon sont réunies au Retiro. Au reste, les angoisses dans lesquelles les habitans de cette malheureuse ville ont vécu dépuis quatre mois, ne peuvent se dépeindre. La junte était sans puissance : les hommes les plus ignorans et les plus forcenés exerçaient le pouvoir, et le peuple, à chaque instant massacrait ou menaçait de la potence ses magistrats et ses gêhéraux.'

Le général de brigade Maison a été blessé. Le général Bruyère qui s'était avancé imprudemment dans le moment où l'on avait cessé le feu, a été tué. Douze soldats ont été tnés, cinquante ont été blessés. Cette perte si faible pour un événement aussi mémorable, est due au peu de troupes qu'on à engagées; on la doit aussi, il faut le dire, à l'extrême lâcheté de tout ce qui avait les armes à la main.

L'artillerie a, comme à son ordinaire, reudu les plus grands

services.

Dix mille fuyards échappés de Burgos et de Somo-Sierra et la 2ème division de l'armée de réserve se trouvaient, le 3, à trois lieues de Madrid; mais, chargés par un piquet de dragons ils se sont sauvés en abandonnant 40 pièces de canon et 50 caissons.

Un trait mérite d'être cité :

Un vieux général, retiré du service et âgé de 83 ans était dans sa maison à Madrid, près de la rue d'Alcala. Un officier français y entre et s'y loge avec sa troupe. Ce respectable vieillard paraît devant cet officier, tenait une jeune fille par la main, et dit: Je suis un vieux soldat, je connais les droits et la licence de la guerre; voilà ma fille: je lui donne 900,000 liv, de dot; sauvez-lui l'honneur et soyez son époux," Le jeune officier prend le vieillard sa famille et sa maison sous sa protection. Qu'ils sont coupables ceux qui exposent tant de citoyens paisibles, tant d'infortunés habitans d'ane grand ca pitale à tant de malheurs!

Le duc de Dantzick est arrivé le 3 à Ségovie.

Le duc d'Istria, avec 4000 hommes de cavalerie, s'est mis

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