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la reprise des hostilités avec des forces présumées insuffisantes en regard de l'attitude de l'armée romaine grossie par des renforts considérables, ils voulurent à tout prix faire connaître au quartier général les dispositions de l'ennemi. Pour remplir cette mission difficile, il fallait un homme intelligent, courageux et dévoué. M. Mangin réunissait ces trois conditions, il connaissait le général Lante, qui avait fait la dernière guerre de l'indépendance, il était de plus lié d'amitié avec son aide de camp M. Galvagni, remplissant alors les fonctions de directeur de la police : il leur fit part du projet qu'il avait conçu et les pria de lui prêter leur concours en lui facilitant les moyens de se rendre au camp des Français pour prévenir, s'il était possible, la reprise d'une lutte sanglante. Le général refusa sous le prétexte qu'il dépasserait la limite de ses pouvoirs en favorisant une démarche que les triumvirs seuls pouvaient apprécier et autoriser au besoin. M. Mangin se présente immédiatement devant le triumvirat : ce fut Mazzini qui le reçut. << Monsieur, répondit le triumvir après avoir écouté peu favorablement sa proposition, votre démarche nous importe peu, car nous avons prouvé à l'Europe entière que Rome ne craignait pas la France. Nous avons défendu aux Français de s'approcher de

nos remparts, nous saurons faire respecter cette défense; Rome est la ville éternelle, malheur à qui

la touche!» M. Mangin insiste; enfin, après de longs pourparlers avec ses collègues, Mazzini lui accorde un laisser-passer. Il était six heures du soir. M. Mangin sort par là porte Angelica pour rejoindre la porte Cavallagieri. Un grand nombre de gardes civiques étaient en armes sur les remparts; le courageux Français, accompagné d'un capitaine d'état-major que les triumvirs lui avaient donné pour le protéger en cas de besoin, arbore au bout de sa canne un mouchoir blanc. « Arrière, lui crie-t-on, arrière, on ne passe pas ! Il avance toujours, les gardes civiques font feu sur lui, il poursuit sa marche, les balles sifflent au-dessus de sa tête, et le cocher s'arrête, disant : « Rentrons en ville; il est possible que votre métier soit de vous faire tuer, le mien est de vivre pour ma femme et pour mes enfants. » Le capitaine romain ajoute: « Vous le voyez, monsieur, nous nous ferions tuer ici sans profit ni gloire; rentrons dans Rome.— Eh bien soit, répond M. Mangin; nous recommencerons demain. »

En effet, le lendemain ils reprirent la même route et arrivèrent sans obstacles jusqu'à là Malagrotta; mais là ils tombent dans un parti de Garibaldiens; M. Mangin, malgré son caractère diplomatique et les protestations du capitaine romain qui l'accompagne, est arrêté. Les fusils sont braqués sur sa poitrine, un colonel de cavalerie,

nommé Masina, menace de le faire fusiller. Il ne faut rien moins que l'intervention de Garibaldi, lui-même, pour le préserver d'une mort certaine; il est forcé de rentrer dans Rome.

En présence de ces difficultés, un courage moins vigoureusement trempé aurait faibli, mais son énergie grandit en proportion de l'obstacle. Il se présente de nouveau devant Mazzini, non plus cette fois en suppliant, mais en homme qui a le droit de parler haut. « La puissance du général Garibaldi, s'écrie-t-il, l'emporterait-elle sur le pouvoir des triumvirs, et il raconte les dangers qu'il a courus, les violences auxquelles il a été soumis et le refus de Garibaldi de le laisser passer outre; dans l'intérêt de Rome, bien plus que dans celui de la France, il importe que ma mission s'accomplisse; elle s'accomplira. » Mazzini lui délivre un nouveau sauf-conduit et M. Mangin repart une troisième fois et parvient sans obstacles à sa destination; il trouve le général en chef assez gravement indisposé; le duc de Reggio, prévoyant les conséquences fâcheuses qui pouvaient surgir d'un système de temporisation, répondit à ces propositions: « Les Romains veulent la guerre, mieux vaut plus tôt que plus tard : cependant, si mieux inspirés ils consentaient à faire acte de soumission envers la France, ils me trouveraient toujours prêt à accueillir toutes propositions conformes à la dignité de

la France et aux intérêts de la souveraineté pontificale. » Mais les renforts n'étaient arrivés qu'en partie. Les défenseurs de Rome profitèrent de ce temps d'arrêt pour continuer leurs travaux de résistance et poursuivre le cours de leurs excès. Le 2 mai, la commission des barricades indiqua les centres où devaient, au premier coup de canon, se réunir les combattants en armes. Le 3, elle fit appel au patriotisme intéressé des forgerons, les suppliant, au nom du peuple, de se rendre au sein de la commission afin d'y prendre connaissance des tribolis, instrument parfait pour tourmenter l'ennemi. Cette machine d'un nouveau genre, était formée avec des planches hérissées de clous. La commission offrait une prime de trente écus, payés comptant, contre la livraison de mille tribolis. Le même jour elle décréta, pour chaque rue l'organisation des barricades mobiles, et lança une proclamation fulminante contre l'armée napolitaine.

Que pour quelque temps, disait-elle, l'insurrection devienne l'état normal du pays, la vie de tout patriote; que les tièdes aient pour punition la honte et les traîtres la mort! De même que la République fut grande pendant la paix, qu'elle soit terrible pendant la guerre. » En outre, elle recommande aux habitants des provinces d'organiser l'insurrection contre l'ennemi, en bandes de

dix ou de cinquante volontaires, en les reliant au grand centre de Rome, qui attaquera de front. Elle promet le grade de capitaine à tout homme qui en réunira dix ou cinquante; des terrains, des honneurs et de l'argent à tout homme qui combattra pour le salut de la République ro

maine.

Il était impossible que ces excitations permanentes ne se traduisissent pas en actes déplorables. Ce jour-là même, trois paysans sont assaillis par quelques hommes en délire. « Ce sont des jésuites déguisés, s'écrie-t-on, » aussitôt la foule se rassemble aux cris de : mort aux jésuites ! elle enferme ces trois malheureux dans un cercle qui se resserre à chaque instant; vainement ils supplient et jurent qu'ils ne sont point prêtres, les cris de mort redoublent; une femme de la campagne de Rome, se glissant comme une couleuvre à travers la foule, s'approche d'eux et les frappe du poignard qui sert d'épingle à la couronne de ses cheveux. Ce fut le signal du massacre. En un instant les trois victimes sont égorgées, déchirées en pièces; la multitude, folle de colère, se lave les mains dans leur sang; elle se partage les lambeaux de leur chair, puis, aux chants lugubres des paroles sacramentelles que l'Église catholique accorde à ses morts, elle précipite dans les flots du Tibre les restes palpitants de ces trois nouveaux

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