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croître l'orgueil de nos adversaires; elles auraient, en se prolongeant, une funeste influence sur l'esprit de nos soldats.

« Il nous faut la paix ou la guerre.

<< Si l'on veut sincèrement la paix, entrons dans Rome.

<< La discipline de l'armée et la générosité de notre gouvernement sont les plus puissantes garanties d'ordre et de liberté que puissent désirer les Romains.

<< Veut-on faire un nouvel appel aux armes? la science militaire et la valeur française triompheront promptement, soyez-en certain, de tous les obstacles.

« C'est donc, à mon avis, une réponse nette et précise que nous devons en ce moment réclamer. Nul mieux que vous ne saurait l'obtenir par un langage en rapport avec les intérêts de la France. »

Ainsi pressé et ne recevant point la contre-proposition qu'on lui avait promise, M. de Lesseps se décida à signifier aux autorités romaines une menace de rupture.

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Ces négociations, mal entamées, entraînaient des lenteurs déplorables. Le commandant en chef et les autres généraux de l'armée, paralysés dans leurs mouvements, voyaient avec peine un état de choses qui pouvait avoir des conséquences fatales s'il se prolongeait. En effet, il était à craindre que

les influences délétères de la saison et la mal aria, ce fléau mortel de la campagne romaine, ne réduisissent le camp français en un vaste hôpital. En présence de ces appréhensions, un parti décisif devenait indispensable; le général Oudinot le provoqua en réunissant, le 23, en un conseil de guerre, les officiers-généraux et le chef d'étatmajor. Tous les membres de ce conseil reconnu→ rent que les lenteurs des négociations de M. de Lesseps ne sauraient se prolonger plus longtemps sans danger.

Le duc de Reggio écrivit à ce sujet, coup sur coup, trois lettres motivées, l'une au ministre de guerre, les deux autres à M. de Lesseps.

la

« Vous êtes, monsieur, très-séduisant, disait-il dans l'une d'elles au diplomate; personne ne le sait mieux que moi. Legénéral Vaillant a, lui aussi, été sous le charme en vous écoutant. Mais à la réflexion, il reste très-convaincu que le statu quo auquel nous nous condamnons est funeste et porte la plus grave atteinte à la dignité et aux intérêts de la France, non moins qu'à l'honneur militaire. Les autres officiers-généraux que j'ai vus ce matin m'ont fait spontanément la même déclaration.

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« Nous vous supplions de ne plus enchaîner notre liberté d'action, je vous le demande en particulier très-instamment : c'est le seul moyen de négocier ensuite avec avantage. »

La seconde lettre était non moins pressante et plus explicite encore:

« Dans l'espoir que vous aviez de voir Rome, appréciant les intentions de notre gouvernement, ouvrir ses portes à l'armée française, vous m'avez, dès le 17 de ce mois, invité à faire suspendre les hostilités. Bien que cette disposition contrariât les opérations militaires commencées, et voulant d'ailleurs m'associer à votre pensée, j'ai arrêté les mouvements qu'il m'importait essentiellement de terminer.

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Depuis cinq jours la situation semble n'avoir fait aucun progrès. Au point de vue militaire, le statu quo ne pourrait, je le répète, se prolonger sans de graves inconvénients. :.

« En cet état de choses il vous paraîtra sans doute comme à moi indispensable de réclamer du gouvernement de Rome une réponse prompte et définitive aux propositions dont vous avez posé les bases dans l'intérêt des populations ro

maines.

«Si l'on ne vous donne pas la satisfaction que vous avez le droit d'attendre, vous jugerez sans doute aussi comme moi que le moment est venu de rendre à l'armée toute son indépendance.

>>

Le même jour le général de division, Rostolan, précédé par les colonels Lebarbier de Tinan, chef d'état-major général, et Niel, chef d'état-major

du génie, arrive au quartier général, il prend immédiatement le commandement de la deuxième division. De son côté le duc de Reggio met à l'ordre du jour la constitution définitive de l'armée expéditionnaire. Les préparatifs d'attaque sont poussés avec vigueur malgré les protestations du ministre plénipotentiaire qui persiste à vouloir terminer pacifiquement une question que désormais

le sort seul des armes doit résoudre d'une manière digne de la France.

Si la position de M. de Lesseps était fausse au quartier général elle était périlleuse à Rome. Deux femmes fanatisées, l'une Italienne et l'autre Française, avaient juré sa mort, d'autre part un parti puissant et disposé à repousser toutes les chances de conciliation s'était formé contre lui. Ce parti, abusé par les espérances d'une prochaine révolution en France, ne laissait échapper aucune occasion de le présenter aux yeux de la population romaine comme un obstacle et une cause permanente d'agitation. Il crut sa vie menacée : d'après ces considérations il résolut de s'établir pour quelque temps à la villa Santucci. Il s'y rendit le 24 après avoir adressé aux autorités romaines la lettre suivante, remarquable surtout par l'accusation indirecte mais transparente qu'il faisait peser sur Mazzini:

2

« Messieurs les président, vices-présidents

et membres de l'Assemblée générale.

« Dans la gravité des circonstances et au moment où va se terminer fatalement une crise qui abattra ou relèvera à jamais le drapeau italien, un dernier devoir m'est imposé celui de faire connaître publiquement la vérité comme je l'ai déjà fait connaître à mon gouvernement.

<< Le public s'est beaucoup trop occupé de moi: il s'inquiète, il s'agite, et les héroïques citoyens de Rome voient bien avec cet instinct populaire qui distingue les masses, que quelqu'un les trompe.

Moi, l'homme de la paix, de la vérité et de l'humanité, j'ai en mains la preuve que l'on me désigne déjà au poignard de l'assassin, comme la cause de l'agitation et de l'inquiétude publique. Je ne veux être un obstacle pour personne, et afin de laisser au pays, à l'Assemblée, au pouvoir constitué l'entière liberté de réfléchir, de discuter, de décider, je me retire pour quelques jours au quartier gé néral de l'armée française. De là je veillerai effica cement d'accord avec le général en chef à la sûreté de mes compatriotes inoffensifs qui restent à Rome. Lorsque tout espoir sera perdu, j'irai moimême les chercher, s'il y a lieu, mais criant ên attendant: Malheur, malheur à la ville éternelle, si l'on touche un seul cheveu d'un Français ou de tout autre étranger!

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