en chef recueillit partout des preuves non équivoques de reconnaissance et de sympathie. Partout, les autorités et les populations saluèrent en lui le libérateur de Rome et des États pontificaux. Dégagées des étreintes révolutionnaires, les unes et les autres pouvaient manifester librement leurs vœux et leurs sentiments. Cependant, le cabinet français engagé à l'intérieur dans la lutte révolutionnaire, tenu en échec par les ennemis ardents de la société, laissait sans direction réelle, sans instruction positive, le général en chef à Rome, et les ministres plénipotentiaires à Gaëte. Malgré l'éclatante approbation récemment accordée à l'énergie militaire de l'un, à l'habileté diplomatique des autres, et à l'unanimité de leur concert, il trouvait que les affaires pontificales ne se terminaient pas au gré de son impatience. Le lieutenant-colonel Edgar Ney, officier d'ordonnance du Président de la république fut chargé de faire connaître à Rome que la condescendance du gouvernement français pour celui du Saint-Siége touchait à son terme et devait amener le remplacement du duc de Reggio; à cet effet, il devait communiquer au général en chef, une lettre grosse de tempête, la voici : << Mon cher Edgar, « La République française n'a pas envoyé une armée à Rome pour y étouffer la liberté italienne, mais au contraire pour la régler, en la préservant contre ses propres excès, et pour lui donner une base solide, en remettant sur le trône pontifical, le prince qui, le premier, s'était placé hardiment à la tête de toutes les réformes utiles. J'apprends avec peine, que les intentions bienveillantes du Saint Père comme notre propre action, restent stériles en présence de passions et d'influences hostiles. On voudrait donner comme base à la rentrée du pape la proscription et la tyrannie : dites de ma part, au général Rostolan, qu'il ne doit pas permettre qu'à l'ombre du drapeau tricolore, on commette aucun acte qui puisse dénaturer le caractère de notre intervention. « Je résume ainsi le pouvoir temporel du pape : Amnistie générale, sécularisation de l'administration, code Napoléon, et gouvernement libéral. « J'ai été personnellement blessé, en lisant la proclamation des trois cardinaux, de voir qu'il n'était pas même fait mention du nom de la France ni des souffrances de nos braves soldats. Toute insulte faite à notre drapeau ou à notre uniforme me va droit au cœur, et je vous prie de bien faire savoir que, si la France ne vend pas ses services, elle exige au moins qu'on lui sache gré de ses sacrifices et de son abnégation. Lorsque nos armées firent le tour de l'Europe, elles laissèrent partout, comme trace de leur pas sage, la destruction des abus de la féodalité et les germes de la liberté. Il ne sera pas dit qu'en 1849 une armée française ait pu agir dans un autre sens et amener d'autres résultats. « Dites au général de remercier, en mon nom, l'armée de sa noble conduite. J'ai appris avec peine que physiquement même elle n'était pas traitée comme elle devrait l'être. Rien ne doit être négligé pour établir convenablement nos troupes. « Recevez, mon cher Edgar Ney, l'assurance de ma sincère amitié. « LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE. » Deux jours avant le départ de cet officier supérieur, le ministre de la guerre avait expédié au général Oudinot des dépêches portant que la question militaire de Rome étant résolue, l'effectif du corps expéditionnaire allait recevoir une notable réduction. Alors le commandement n'était plus à la hauteur de la position du duc de Reggio, il se trouvait autorisé à rentrer en France. A son arrivée à Rome, M. Edgar Ney se rendit le soir même chez le général Rostolan, appelé par son ancienneté au commandement en chef. Dans cette première entrevue, le général se montra trèssurpris du rôle agressif qu'on voulait lui assigner. Il comprit de suite les difficultés que le gouverne ment français allait se créer en répudiant si brusquement une conduite empreinte d'autant de fer meté que de conciliation et qui honoráit à la fois son prédécesseur et notre diplomatie. Le duc de Reggio avait appris indirectement l'arrivée du colonel Ney, il n'en reçut que le lendemain vers midi la confirmation par la visite de cet officier. Le général en chef lui reprocha, en termes sévères, un retard qui était à la fois un manque de déférence et l'oubli d'un devoir militaire. M. Edgar Ney chercha à s'excuser, disant qu'il croyait avoir été devancé par le courrier chargé des ordres ministériels; il supposait d'ailleurs que le général était déjà parti de Rome. Le général répliqua, dit-on, que ce n'était pas la première fois qu'une position analogue se présentait. « Un jour, dit-il, c'était en mars 1811, sur les frontières du Portugal et de l'Espagne, un homme de guerre illustre, après avoir rendu d'immenses services, avait commis des actes sérieux de désobéissance : le général en chef Masséna se vit dans l'obligation de faire un grand exemple; il lui retira le commandement du corps d'armée qui marchait sous ses ordres. Un jeune aide-de-camp reçut la pénible mission de lui porter, avec la nouvelle de son remplacement, l'ordre d'aller attendre en Espagne les volontés de l'Empereur. Ce fut, les larmes dans les yeux et avec les marques de la plus profonde affliction, que le porteur de ce message se présenta devant le glorieux capitaine. Le premier mouvement de celui-ci fut une explosion de colère, le second fut le sentiment d'une énergique résignation. La douleur du jeune aide-decamp l'avait tellement attendri, qu'oubliant la sienne propre, il se plut à le consoler par les paroles les plus affectueuses. » « Mon enfant, lui ditil, en le pressant avec force sur sa poitrine, je quitterai demain les braves que j'ai tant de fois conduits à la victoire : en attendant, restez près de moi, nous partagerons cette nuit une botte de paille et mon manteau. » Depuis lors le vaillant capitaine et l'aide-de-camp n'ont jamais perdu le souvenir de cet épisode, le premier surtout qui né cessa de répondre par une sollicitude toute paternelle aux sympathies respectueuses de celui qu'il se plaisait en toute circonstance à appeler son camarade de lit. L'illustre guerrier était le maréchal Ney, votre père, le jeune officier c'était moi. » Le général Oudinot ne se faisait pas illusion sur le motif de son remplacement, mais, fier d'avoir été l'instrument providentiel d'une grande œuvre, il savait que l'ingratitude est impuissante à obscurcir les services dont l'importance et l'éclat ont l'opinion publique pour juge. Le libérateur de Rome, le général qui avait étouffé le principal foyer de l'anarchie en Europe, mettait avec raison toute sa confiance dans l'impartialité de l'histoire ; mais il s'affligeait de voir substituer à des idées |