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bres du Sacré-Collége suivirent dans plusieurs embarcations. Dès que la chaloupe royale eut quitté le rivage, tous les vaisseaux napolitains, français et espagnols arborèrent l'étendard papal aux acclamations des marins qui, montant dans les cordages, firent retentir les airs, d'énergiques vivats. Pie IX, le premier pape qui montait sur un bâtiment à vapeur, devait s'embarquer à bord de la frégate napolitaine le Tancrède. Les officiers le reçurent la tête découverte et le genou en terre. Un instant après le signal du départ fut donné et l'artillerie de la place salua le pontife par cent et de canon.

un coups

L'escadrille catholique marchait dans l'ordre suivant :

Le Tancrède.

Le vapeur de guerre espagnol le Colomb. Il portait à son bord le général en chef Cordova, le viceamiral Bustillos, et les autres officiers de l'armée expéditionnaire espagnole.

Le vapeur français le Vauban, le vapeur espagnol la Castille, le vapeur napolitain il Delfino. La reine des Deux-Siciles, les princes et les princesses montaient la frégate à vapeur le Guiscardo.

Après avoir admis l'équipage au baisement du pied, Pie IX descendit dans l'oratoire du bâtiment pour y bénir et indulgencier l'image de la Vierge.

En traversant le canal de Procida, le Tancrède se vit tout à coup entouré d'une centaine de barques chargées d'hommes agitant des bannières aux couleurs de Pie IX, et poussant les cris les plus enthousiastes. Une larme brilla dans les yeux du Saint Père, lorsqu'il leva la main pour bénir ces marins au front bronzé. Plus loin, au moment où le Tancrède parut dans les eaux de Chiaja, le vaisseau anglais qui s'y trouvait à l'ancre arbora le pavillon pontifical et salua de vingt-un coups de canon. Il était deux heures, tous les vaisseaux en rade arborèrent la même bannière et firent le même salut. De leur côté, les forts et toutes les batteries de la capitale saluèrent de vingt-un coups de canons. Le Tancrède, marchant à demi-vapeur, rasait la rade, afin que Sa Sainteté pût saisir dans son ensemble et ses détails le magnifique panorama de Naples. L'immense population groupée sur le rivage pouvait apercevoir, sur le pont de la frégate, au milieu de leur cortége, la soutane blanche du chef de l'Église et la haute taille du roi des Deux-Siciles. De même, le pape et le monarque pouvaient entendre les vivats qui partaient de tous les points de la rade, mêlés, sans se confondre, aux bruyantes détonnations de l'artillerie.

L'escadrille étant arrivée à Granutello, tous les bâtiments se pavoisèrent et exécutèrent de nouvelles salves. L'endroit choisi pour le débarque

ment était richement orné. LL. AA. RR. le comte d'Aquila, le prince de Salerne et l'Infant d'Espagne don Sébastien y attendaient le Saint Père. Les voitures de la cour étaient là, entourées de nombreux détachements de gardes royaux à cheval et à pied; les grenadiers de la garde formaient une double haie sur la route qui conduit au château de Portici ; tous les habitants de la ville en habits de fête faisaient retentir les airs de leurs acclamations; les cloches des églises sonnaient à toute volée, tandis que la voix du canon, dominant tous ces bruits, confondait en un seul tous ces transports d'amour et de réjouissance.

En descendant de voiture, Pie IX se rendit à la chapelle où se trouvaient réunis tous les cardinaux pour chanter un Te Deum, et recevoir la bénédiction du Saint-Sacrement.

Sa Sainteté admit ensuite à sa table le roi et son auguste famille, pendant que le cardinal Antonelli recevait à la sienne les cardinaux et les autres personnages de distinction. Le repas terminé, Ferdinand II prit congé du Saint Pontife, et repartit pour Naples.

Pendant ce temps, les troupes françaises continuaient à donner à Rome l'exemple de toutes les vertus militaires; leur discipline faisait l'admiration du monde entier. Chaque jour les indigents assiégeaient, au moment des repas, les casernes et

recevaient une part de leur ration. La charité de tout temps fut la compagne du courage. La même main qui durant les combats donnait la mort, distribuait pendant la paix le pain de la fraternité chrétienne. Chaque jour de pieux ecclésiastiques français, à la tête desquels on voyait monseigneur Luquet, évêque d'Hezebon, les abbés Masson, Bastide, Villiers de l'Isle-Adam et tant d'autres, les initiaient à la connaissance de l'histoire de Rome par l'histoire des monuments antiques. Chaque jour nos soldats, invincibles sur les champs de bataille, se montraient fervents chrétiens dans les temples sacrés. Chaque jour des retours inouis signalaient d'éclatantes conversions.

Cependant ces exemples, loin de toucher les cœurs des ennemis de la religion et de la société, ne faisaient que redoubler leur haine, et cette haine se manifestait périodiquement par des actes d'une nature déplorable. La répression immédiate toujours était néanmoins impuissante à prévenir la récidive. Les démagogues, persistant dans leurs rancunes systématiques, ne laissaient échapper aucune occasion de manifester leurs antipathies contre les Français. Trop faibles pour agir ouvertement, ils procédaient par voies d'intimidations. If ne se passait pas de jour que le commandant en chef ne reçût des lettres anonymes, dans lesquelles on lui disait que le poignard qui avait assassiné le

comte Rossi s'aiguisait pour lui-même. Les Romains connus pour leur attachement à la France étaient l'objet d'incessantes menaces. Des listes de proscription, rédigées dans l'ombre, se dressaient contre eux. Leurs personnes, déclarées traîtres à la patrie, devaient un jour servir d'holocaustes à la république romaine.

En attendant, encouragés par l'indulgence, les démagogues recouraient aux moyens les plus puérils pour faire de la fantasia patriotique. Les uns portaient à leur chapeau de paille des rubans aux couleurs italiennes, les autres des rubans de velours noir ou des crêpes étroits, en signe de deuil de la défunte république romaine. Ceux-ci rabattaient l'aile droite de ce même chapeau, pour donner à leur physionomie le caractère formidable qui manquait à leur coeur; ceux-là enfin se distinguaient en portant au cou d'énormes cravates rouges. Une méprisante pitié faisait justice de ces démonstrations partout où elles se manifestaient. Des tentatives d'une nature provocatrice n'avaient pas un meilleur succès.

Un soir, un officier demande à un jeune homme qui fumait au Corso la permission d'allumer son cigare au feu du sien. Celui-ci, sans daigner formuler une seule parole, tire de sa bouche le cigare éclairé, puis, après que le Français s'en fût servi, le jette à terre et le foule aux pieds avec mépris.

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